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Un des Thaïs torse nu ouvrit le panier. Le colonel prit lui-même les pincettes, farfouilla un instant et, comme un magicien sort un lapin d’un chapeau, brandit un ruban clair vivant, fouettant l’air de secousses désordonnées.

Un serpent !

Le reptile, saisi derrière la tête par les deux spatules de bois, dardait une langue furieuse, se détendant comme un ressort. Il pouvait avoir une cinquantaine de centimètres de long, avec le corps strié de bandes jaune clair et marron.

— Regarde, salope, menaça le colonel. C’est un serpent corail. S’il te pique, tu crèves en une minute. Tu vas parler, maintenant ?

Malko sentit la chair de poule lui hérisser la peau. Il avait entendu parler des serpents corail, les reptiles les plus dangereux du monde, vivant à la fois sur terre et dans les rivières chaudes.

— Je ne sais rien, répondit la Chinoise d’une voix blanche. Kim-Lang devint grise, sa bouche s’agrandit d’horreur, mais elle secoua la tête et murmura :

— Je ne sais rien…

Le colonel recula d’un mètre. Délicatement, il jeta le serpent sur le corps étendu. Kim-Lang poussa un cri inhumain et son corps se tordit sur la table. Le reptile glissa sur le ventre de la Chinoise, fila le long de sa cuisse, revint sur le bas ventre et tomba par terre. Avec une rapidité diabolique, le colonel Makassar le rattrapa entre ses pincettes. Cette fois, il s’approcha encore plus de la table et déposa l’affreuse bête presque autour du cou de la fille.

Sa queue fouetta une oreille et Kim-Lang poussa un gémissement étranglé.

Ses yeux s’ouvrirent démesurément et elle parut en même temps se recroqueviller. Cette fois, le reptile rampa sur le visage, redescendit sur le cou et la poitrine par petites saccades et coula le long de la hanche jusque par terre.

Dès qu’elle ne sentit plus l’horrible contact Kim-Lang fut prise d’une crise de nerfs. Le corps agité de soubresauts nerveux, de la bave autour des lèvres, elle glapissait des mots sans suite, en chinois et en thaï, tirant désespérément sur ses sangles. Son visage enlaidi par la terreur, avait pris une teinte verdâtre. Elle respirait par à-coups, avec des halètements courts et convulsifs, comme si elle allait avoir une syncope cardiaque.

Le colonel Makassar rattrapa le serpent corail entre les pincettes et l’éleva lentement vers la table. Fatigué, le reptile ne se débattait presque plus. Cette fois, l’officier de la Sécurité procéda différemment. Sans lâcher le reptile, il posa le corps sur la poitrine de Kim-Lang, juste entre les deux seins. La tête triangulaire et plate n’était qu’à quelques centimètres des lèvres de la Chinoise. D’où il se trouvait, Malko pouvait voir la langue fourchue entrer et sortir à toute vitesse. Les yeux de Kim-Lang s’ouvrirent, exorbités et troubles. Tout son corps fut agité d’un long frisson et elle marmonna quelques mots inintelligibles. Elle était en train de devenir folle de peur.

— Regarde, dit le colonel. Cette fois, le serpent va te piquer. Tu ne m’intéresses plus puisque tu ne veux pas parler.

La gueule minuscule approchait millimètre par millimètre des lèvres renflées qui avaient embrassé Malko la veille.

Kim-Lang ne parvint pas à faire sortir un son de sa gorge. Mais ses lèvres dessinèrent silencieusement un mot. Le colonel écarta de quelques centimètres le reptile dont la queue fouettait encore lentement les petits seins de la Chinoise.

— Tu vas dire la vérité ? demanda-t-il en thaï.

La Chinoise dit une phrase d’une voix étranglée et le colonel souleva le reptile, le maintenant au-dessus du corps étendu. Dès que le contact gluant se fut éloigné d’elle, un flot de paroles s’échappa de la bouche de Kim-Lang.

Incompréhensibles pour Malko : c’était du thaï et du chinois.

La Chinoise ponctuait son récit de petits sanglots, comme si elle implorait la pitié.

Le colonel posa une question et elle tarda un peu à répondre. Aussitôt, la queue du serpent frôla le flanc droit de Kim-Lang. Elle poussa un piaillement aigu et recommença à dévider encore plus vite sa confession. Maintenant plus rien ne pourrait l’arrêter.

Fatigué, le colonel laissa tomber le serpent minute dans le panier qui fut immédiatement refermé. Puis, il se tourna vers Malko et Thépin, sans interrompre Kim-Lang.

— Les révélations de cette personne intéressent la Sécurité de ce pays. Je préfère les entendre seul.

Cela, c’était pour Malko. Il eut un dernier regard de pitié pour la Chinoise et sortit de la cellule, suivi de Thépin. Il avait envie de vomir.

* * *

Dès qu’il fut seul avec Thépin, il explosa :

— C’est inhumain, ce que fait le colonel. À quoi bon se battre contre le communisme, si c’est pour employer les mêmes méthodes. En plus, si le serpent avait mordu Kim-Lang, vous auriez été bien avancé ! Morte, elle ne vous servait à rien.

Thépin sourit d’un air entendu et zozota sentencieusement :

— Les serpents corail ont la particularité d’avoir une bouche très petite. Pratiquement, ils ne peuvent mordre un être humain qu’en quelques endroits très précis. Entre les doigts, par exemple, ou à la lèvre. Autrement, sa bouche minuscule n’a pas de prise. Kim-Lang ne risquait pas grand-chose…

Malko resta sans voix. Il s’attendait certes à tout sauf à cela. C’était ingénieux. Sauf si la victime devenait folle de terreur. Décidément, les Jaunes avaient des inventions créatrices. Les tortionnaires de la Gestapo ou du M.V.D. étaient des brutes sans imagination, à côté d’eux.

Le colonel Makassar revint une demi-heure plus tard dans son bureau. Ses petits yeux noirs pétillaient de joie. Malko et Thépin l’attendaient sagement, sans beaucoup parler. Il lissa sa chemise, maculée de sueur comme de coutume, et s’assit dans son fauteuil.

— Je sais tout ce que je voulais savoir, annonça-t-il dans son anglais scolaire. Cette jeune fille a été vraiment très utile. Et vous aussi, cher monsieur, dit-il à Malko.

— Mais pourquoi ne l’avez-vous pas arrêtée plus tôt puisque vous la soupçonniez ? demanda celui-ci. Au lieu d’attendre qu’elle attente à mes parties vitales.

Le Thaï rit de bon cœur.

— Cher monsieur, Kim-Lang a un passeport malais. La Malaisie est un pays ami. Il m’était difficile de l’accuser d’être un agent communiste, sans preuve, d’autant plus que je n’avais aucun délit à lui reprocher.

— Et alors ? interrogea Malko, mal à l’aise.

Le colonel prit le temps d’allumer un cigare, puis tira une bouteille et trois verres d’un tiroir de son bureau.

— Trinquons, dit-il. Au succès commun.

Malko trempa poliment ses lèvres dans son verre.

C’était du mékong. Infect. Sirupeux et acre à la fois. À l’image du colonel.

— C’est une triste histoire, fit pensivement l’officier. Qui prouve que les hommes les plus solides ne sont pas à l’abri d’un faux pas. En ce qui concerne Kim-Lang, rien d’extraordinaire. Elle a des parents en Chine, dans le Se-Tchouan. Un jour elle a été contactée par les gens d’un réseau communiste. On lui a ordonné, si elle voulait qu’il n’arrive rien de fâcheux à sa famille ou à elle-même, de s’arranger pour devenir la maîtresse de Jim Stanford. Et de le rendre fou d’elle. Ce qui n’était pas très difficile, étant donné leur différence d’âge et la beauté de cette fille. Lorsque Jim Stanford a été bien accroché, la seconde partie du plan a démarré. On a ordonné à Kim-Lang de se mettre à exiger des cadeaux de plus en plus chers. De façon à mettre Jim Stanford dans une situation financière inextricable.

C’est sur ordre que deux ou trois fois Kim-Lang a fait semblant de rompre. Pour voir si son amant était assez ferré.