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Une femme s’encadra dans le chambranle. Malgré les lunettes noires, Malko reconnut immédiatement Mme Stanford, plus distinguée et plus séduisante que jamais, drapée dans un manteau de soie grège. Elle tenait un petit sac noir dans la main droite. Calmement, elle referma la porte et retira ses lunettes. Jamais Malko n’avait vu un visage respirer une telle cruauté. Les lèvres et les yeux ne formaient plus qu’un trait fin, un rictus de haine faisait trembler son menton.

Mme Stanford s’avança vers le lit et secoua Kim-Lang par l’épaule. La Chinoise ouvrit les yeux et poussa une exclamation que la glace étouffa. Malko vit seulement bouger les lèvres. Elle essaya de se lever mais la longue main de Mme Stanford la repoussa sur le lit.

Comme fascinée par un serpent, Kim-Lang ne bougea plus. Mme Stanford se pencha et, de la main droite, gifla violemment Kim-Lang, laissant sur sa joue cinq traînées sanglantes. Puis droite comme un I, implacable, elle injuria sa rivale pendant plusieurs minutes. On voyait ses lèvres bouger, ses yeux flamboyants de haine. Les paroles parvenaient à travers la glace comme une rumeur sourde.

Soudain, elle ouvrit son sac et y plongea la main. Elle la ressortit, tenant un pistolet automatique noir, un Beretta 7,65. Calmement, elle l’arma, ramenant la culasse en arrière.

Les mains croisées sur la poitrine, Kim-Lang se recroquevilla sur le lit, tellement effrayée qu’elle ne cria pas. Comme au stand, Mme Stanford étendit le bras et tira. La première balle frappa Kim-Lang au pied droit. Elle cria et tenta de se lever. Mme Stanford continua à tirer.

Malko vit un trou sanglant apparaître dans la poitrine de la Chinoise. Puis un autre juste au-dessus de son nombril. Elle bascula en avant. Mme Stanford tira encore deux fois, dans le dos, des éclats d’os jaillirent de la colonne vertébrale de la Chinoise. Elle eut une convulsion violente et glissa par terre.

Déjà Malko se précipitait à travers l’appartement. Il se heurta au colonel Makassar qui, fermement, mais poliment, lui enfonça le canon de son propre revolver dans l’estomac.

— N’intervenez pas, murmura-t-il. C’est un simple drame passionnel. Je viens d’apprendre à Mme Stanford où se trouvait la femme qui avait ruiné son mari… Elle a réagi comme toute épouse digne de ce nom.

Juste à ce moment, on entendit un autre coup de feu, venant de la rue. Abandonnant son interlocuteur, le colonel bondit sur le palier et dévala l’escalier, Malko sur ses talons.

Mme Stanford était debout près d’une Toyota, le corps d’un homme étendu à ses pieds. Elle tenait encore le pistolet avec lequel elle avait abattu Kim-Lang. Le colonel se précipita et le lui arracha. Elle se laissa faire sans résistance, hébétée, et s’appuya à la voiture.

— Qui est-ce ? demanda le Thaï en désignant le mort qui portait un affreux trou à la tempe.

— Mon chauffeur, murmura Mme Stanford.

Les gens s’attroupaient autour de la voiture. Le colonel furieux, s’exclama :

— Mais pourquoi l’avez-vous tué ?

— J’étais tellement énervée, fit Mme Stanford. Et il me restait encore une balle.

* * *

Le colonel White était verdâtre, presque de la couleur de sa tenue de jungle. Et, pour une fois, pas à cause de la dysenterie. Malko venait de l’informer, point après point, de l’épilogue de l’affaire Stanford. L’Américain en avait perdu la parole. Il ponctuait le récit de Malko de grognements douloureux et finalement abattit son poing sur la table :

— Ce putain de pays pourrit tout. Même des types comme Stanford. C’est l’humidité et la chaleur, on devient dingue.

Plus calmement, il ajouta :

— C’est dur de penser que nos types du Spécial Corps se sont fait descendre avec des mitrailleuses vendues par Jim Stanford.

— C’est dur, reconnut Malko ; mais nous n’y pouvons rien. Je n’ai pas de raisons de mettre la parole des Thaïs en doute.

White secoua tristement la tête :

— Ils se sont fait une joie de vous faire découvrir, à vous, l’histoire Stanford. Je suis sûr que la petite ne vous a pas tout dit. C’était difficile de venir me trouver pour m’annoncer la trahison de Jim Stanford. Tandis que si vous découvriez vous-même le pot aux roses…

— Peut-être, concéda Malko. Mais en tout cas mon rôle est terminé. J’ai un avion pour New York demain matin, par la Scandinavian, via Copenhague. Je le prends. Je n’ai plus envie de retrouver Jim Stanford.

— Moi non plus, fit tristement le colonel White. Mais, si on me le signale, je serai obligé de faire quelque chose.

— Dure journée, colonel, conclut Malko.

— Dure journée, répéta l’Américain en écho.

Ils se quittèrent sur une poignée de main sans chaleur. L’ombre de Jim Stanford gâchait beaucoup de choses.

CHAPITRE XIV

Le rond-point de Sawankaloke Road, à un mille de l’aéroport de Don Muang, au nord de Bangkok, était, comme d’habitude un magma sans nom de véhicules divers, cherchant tous à se dépêtrer de l’embouteillage. Sam-los, camions, autobus blancs chargés d’ouvriers, et même quelques chars à buffles étaient emmêlés dans un nœud inextricable.

À l’ombre d’un grand parasol, un policier thaïlandais, qui avait l’air d’avoir quatorze ans avec ses hanches de fillette, regardait la mêlée d’un air philosophe en suçant un épi de maïs nain. Il faisait beaucoup trop chaud pour intervenir.

Soudain, il y eut un remue-ménage dans la rizière enserrée entre Sawankaloke Road et la voie unique du chemin de fer. Des cris, des éclaboussements. Vaguement intéressé, le flic jeta un œil.

Deux buffles se battaient dans l’eau boueuse, à grands coups de cornes ; un gamin tentait de les séparer, tapant dessus avec un gros bambou et s’accrochant à leur queue. L’un des deux animaux rompit soudain le combat et fila au trot vers un trou d’eau où il s’ébroua voluptueusement. Mais le second restait sur place, grondant, secouant le mufle, soufflant. Brutalement, il ébranla ses deux tonnes et escalada le fossé qui le séparait de la route. Le policier porta la main à son étui à pistolet. Il n’y avait pas longtemps qu’il était à Bangkok. Dans le Nord, il avait souvent vu des buffles devenir amok, fous. Ils étaient alors aussi dangereux qu’un troupeau d’éléphants, détruisant tout sur leur passage…

Le policier arma son colt 11,45 aussi vite qu’il le put et cria pour prévenir les gens. Déjà, le buffle fonçait, tête baissée, les cornes en avant, droit sur l’embouteillage du rond-point.

C’est un petit taxi Toyota bleu qui reçut le choc. Les cornes traversèrent la tôle mince comme si c’était du papier, empalant le chauffeur de part en part. Pour se dégager, le buffle se mit à secouer violemment la voiture. Une passagère fut éjectée dans un concert de glapissements. Aussitôt, le buffle détourna sa rage sur elle, la piétinant et l’encornant. Avec horreur le policier vit une des cornes traverser le cou de part en part.

À genoux, au milieu de la route, il visa soigneusement et tira. La balle du 45 frappa le buffle à l’épaule, lui causa une blessure superficielle, mais acheva de le rendre enragé. Se dégageant des débris de la Toyota et du cadavre piétiné de la femme, il fonça sur le rond-point.

C’était la panique totale.

Les gens sautaient des véhicules et s’enfuyaient dans toutes les directions. Deux taxis entrèrent en collision dans un effroyable fracas de ferraille, bloquant définitivement le carrefour.

Maintenant, le buffle s’attaquait aux voitures abandonnées, les lardant de coups de cornes, de ruades. Il réduisit un Sam-lo en poussière tandis que son propriétaire se tordait les mains de désespoir devant la disparition de son gagne-pain. Abrité derrière les voitures, le policier vidait son chargeur. Il toucha encore deux fois l’animal furieux qui ruisselait de sang. Mais il possédait une force herculéenne. Il s’arrêta enfin, cherchant un autre objet à détruire.