Выбрать главу

Il n’y avait plus que des voitures vides autour de lui et cela ne semblait pas le satisfaire.

Soudain, il aperçut une camionnette Datsun, que son chauffeur n’avait pas abandonnée. Le policier vit le buffle foncer au petit trot.

Il hurla à l’homme de se sauver.

Trop tard : le buffle atteignit son but au moment où le conducteur ouvrait la portière. Il n’eut pas le temps d’éviter le choc. Les cornes du buffle firent voler en éclats la caisse de bois, comme une bombe. Il se secoua pour se débarrasser des éclats de bois et accrocha l’homme au moment où il sautait par terre. La corne effilée lui transperça la cuisse et l’envoya, assommé, à trente mètres.

Obstinément, l’animal revint à la camionnette, s’acharnant sur la portière. Tant et si bien qu’il se coinça les cornes dans les tôles déchiquetées. Il resta sur place, piétinant et grondant, brusquement calmé.

Le policier n’attendait que cela. Il contourna la camionnette et, à bout de bras, enfonça le canon du colt 45 dans l’oreille du buffle.

Le bruit de la détonation et le meuglement d’agonie de l’animal se confondirent. Il trembla quelques secondes puis s’effondra, la tête retenue dans les tôles. Encore tremblant, le policier jeta un coup d’œil à la camionnette et écarquilla les yeux.

Dans le choc, une des caisses du chargement s’était ouverte et éventrée. Il avait devant lui des canons de mitrailleuses, soigneusement enveloppés dans des papiers graissés. Douze canons. Et il y avait une vingtaine de caisses. Le chauffeur du véhicule était toujours étendu à une dizaine de mètres, perdant son sang en abondance. Le policier se précipita et, avec sa ceinture, lui fit un garrot à la cuisse.

Les gens revenaient vers leur voiture, évaluant les dégâts, criant, protestant. De chaque côté du carrefour, une queue de véhicules s’allongeaient sur plusieurs kilomètres dans une pagaille indescriptible.

Le blessé ouvrit les yeux et son regard rencontra la casquette du policier. À l’expression de son visage, il comprit immédiatement. Il tenta de bouger, réprima un cri de douleur et retomba. Alors, de sa main gauche, il attira le policier à lui et murmura :

— Dix mille bahts pour toi si tu ne dis rien.

Dix mille bahts, c’était deux ans de salaire. Le policier hésitait lorsque une voiture de police stoppa au carrefour, avec quatre de ses collègues à l’intérieur.

Dix mille bahts à cinq, cela ne valait pas le risque. Il se releva et appela les autres policiers à grands cris.

* * *

— Nous savons où se trouvera Jim Stanford demain à dix heures, dit le colonel Makassar. Voulez-vous vous en occuper ou préférez-vous que nous nous en chargions ?

Malko était assis en face du colonel, dans son bureau de la rue Plœnchitr, mortellement triste. C’est pour assister à l’hallali d’un vieux camarade qu’il était venu de si loin. Mais il vaut mieux laver son linge sale en famille. Comme les Thaïs. Mme Stanford avait été arrêtée pour avoir tué, sans préméditation, une rivale. Et remise en liberté provisoire. Elle passerait quelques mois en prison, ou serait condamnée à une peine de principe.

Kim-Lang reposait au cimetière communal de Bangkok. Personne n’avait réclamé son corps. Les Malais, très pointilleux en ce qui concerne leurs ressortissants, ne pouvaient que déplorer un crime passionnel aussi limpide.

— Colonel, dit Malko, je me charge de Jim Stanford. Vous n’en entendrez plus parler.

L’officier thaï se renversa dans son fauteuil et dit :

— Vous nous avez beaucoup aidé dans cette affaire. Je vous en suis reconnaissant. Aussi je vous donne carte blanche. Toutefois, je vous demanderai de vous faire accompagner par Mlle Radjburi. Et je vous prierai également, le cas de Jim Stanford étant réglé, de quitter la Thaïlande dans les plus brefs délais. Je me permets même de vous signaler qu’un avion de la Scandinavian Airline quitte après-demain à dix heures du matin, Bangkok pour Copenhague et New York via Tachkent. C’est de loin le vol le plus direct pour les U.S.A.

Il consulta un papier sur son bureau.

— Vous avez même une correspondance à Copenhague pour New York à dix-huit heures par le même avion. Vous serez à New York pour souper. C’est extraordinaire le progrès, n’est-ce pas ? Qui aurait pu penser qu’on pourrait aller un jour de Bangkok à New York dans la journée, sans changer d’avion ? J’ai même pris la liberté de retenir une place en première à votre nom. Ce vol n’existe en effet qu’une fois par semaine.

Malko remercia pour une telle sollicitude. Derrière ses yeux mi-clos, le colonel Makassar l’observait en souriant.

— Nous ne pouvons tolérer sur notre sol un agent étranger, ajouta-t-il. Les hommes du colonel White, eux, travaillent en liaison étroite avec nous. Vous, non. Au revoir, prince Malko. J’espère vous revoir ici dans d’autres circonstances.

Il appuya sur un bouton et, quelques secondes plus tard, Thépin entra dans le bureau.

— Je vous demande de ne pas quitter notre ami jusqu’à son départ, dit le colonel Makassar.

Cette fois, la bouteille de mékong resta dans le tiroir. Malko prit congé un peu froidement. Ce n’est jamais agréable de se voir déclarer persona non grata. Il sortit, avec Thépin sur ses talons.

Sa Mercedes était garée dans la cour. Au moment de monter dedans, Malko sursauta :

— Le colonel ne m’a pas dit où se trouverait Jim Stanford demain.

— Je sais où il est, dit Thépin, et comment nous l’avons retrouvé.

Elle raconta l’incident du buffle. Le conducteur avait parlé pour éviter d’être exécuté. Les armes trouvées dans la camionnette représentaient une toute petite partie d’un stock qu’ils avaient découvert dans un hangar de Domburi. Il devait être acheminé par camion le lendemain jusqu’à un rendez-vous sur la rivière Kwaï, avec Jim Stanford. Les armes lui appartenaient.

Ensuite, dissimulées dans des jonques, elles seraient acheminées, par la rivière, vers le sud.

Le cœur serré, Malko pensa au vieil homme qui avait tout perdu, caché dans la jungle, traqué par ses propres amis.

La voiture se faufilait dans les embouteillages. Thépin ne disait pas un mot, contrairement à son habitude. Soudain, elle se tourna vers Malko, juste avant d’arriver à l’immeuble de Air America :

— Si tu ne veux pas partir demain, j’arrange tout. Mon père est très puissant ici. Même le colonel Makassar ne peut rien contre un de ses ordres.

— Pourquoi resterais-je ?

Les yeux sombres noircirent encore.

— Pour m’épouser.

Elle le regardait avec un mélange de supplication et de haine. Malko comprit qu’il devait gagner du temps. Maintenant, il connaissait les Thaïlandaises.

— Je ne peux pas te répondre maintenant, dit-il. Je dois fermer d’abord le dossier Stanford.

Elle posa sa main sur la sienne et insista :

— Reste. Nous serons heureux. Je t’aime.

— Mais que ferai-je dans ce pays ? objecta Malko. Elle balaya l’objection.

— J’ai de l’argent pour deux. Tu monteras des affaires. Cela n’a pas d’importance. Je veux que tu t’occupes de moi, avant tout. J’ai parlé de toi à mon père. Il veut bien que je t’épouse. C’est très rare, tu sais.

Malko ne savait que répondre. Elle était belle, jeune, amoureuse. Les lèvres entrouvertes, elle quêtait sa réponse avec une obstination enfantine.

— Nous parlerons de cela plus tard, dit-il. Maintenant, je dois voir le colonel White. Il vaut mieux que tu m’attendes.