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Ses mains étaient agitées d’un mouvement spasmodique. Il dit à voix basse :

— Voulez-vous me rendre un dernier service, Malko ? Tout à l’heure, enterrez-moi ici. Il y a de la place et personne ne viendra m’y chercher. J’ai toujours aimé cet endroit. Comme ça, personne ne saura jamais.

Malko s’accroupit près de lui. Le regard de l’Américain était déjà vitreux.

— Je vous le promets, articula Malko, la gorge serrée. Jim voulut remercier, mais ne réussit qu’à faire une sorte de croassement. Sa main serra celle de Malko.

Il leva la tête vers le ciel bleu et ses doigts s’ouvrirent dans un ultime spasme. Son cœur eut un raté et s’arrêta définitivement. Les bras en croix, son corps glissa.

Le bruissement de la rivière Kwaï parvenait faiblement aux oreilles de Malko. De nouveau un nuage passa sur le soleil et des singes se poursuivirent en criant un peu plus loin. Malko se pencha et ferma les yeux du mort. Maintenant, avec sa barbe, Jim semblait très vieux, un de ces vieillards sages qui prennent leurs petits-enfants sur leurs genoux.

Malko se leva, épousseta ses vêtements et revint à pas lents vers Thépin, le Thaï sur ses talons. Il n’éprouvait plus rien qu’une immense tristesse.

Ils ne furent pas trop de deux pour remuer une des lourdes pierres tombales scellées par l’humidité. Malko avait étendu le corps de Jim Stanford à l’ombre, mais les mouches tournaient déjà autour du cadavre. Thépin était à quelques mètres du corps, abritée sous un bouquet d’orchidées sauvages. Par moments, elle sanglotait. Ils parvinrent enfin à dégager une ouverture suffisante pour y glisser le corps. Malko eut un dernier regard pour son vieil ami et fit glisser la tête dans l’ouverture.

En dix minutes tout fut terminé. La pierre remise en place, rien ne pouvait attirer l’attention. Malko avait jeté dans la tombe le pistolet du mort. Pendant une seconde, il resta debout, les yeux fixés sur la croix, enregistrant l’inscription : Ralph Cate, Captain, 31 Royal Armored Corps. 7 juillet 1945.

Jim Stanford était en bonne compagnie.

L’immense cimetière avait retrouvé sa paix. Dans quelques jours ce serait Noël. Un Noël sans neige, avec trente-cinq degrés à l’ombre.

Malko prit Thépin à demi inconsciente dans ses bras. Le Thaï godilla habilement pour les faire retraverser la rivière. Tout le temps du retour, Thépin, délirant à moitié, garda la tête sur les genoux de Malko. Lorsqu’ils arrivèrent dans Bangkok, elle murmura :

— Je te demande pardon. Je sais que tu voulais sauver Jim Stanford.

Malko lui caressa les cheveux.

— Cela ne fait rien. Peut-être est-il mieux là où il se trouve.

La camionnette stoppa devant l’immeuble de la rue Plœnchitr. Malko descendit, laissant la jeune fille sur la banquette, avec le Thaï au volant. Il prit la main de Thépin et lui baisa le bout des doigts.

— Adieu, Thépin, dit-il.

Avant qu’elle ait le temps de répondre, il était parti. Il monta dans le premier taxi qui passait.

* * *

Malko lisait le Bangkok Post dans la salle d’attente de l’aéroport de Don Muang. Il n’arrivait pas à détacher ses yeux d’un entrefilet en page trois. Une dépêche d’agence de Kuala Lumpur. Un porte-parole de l’Ambassade américaine avait déclaré avoir obtenu la certitude que Jim Stanford, disparu depuis un mois, avait été abattu au cours d’une mission dont l’avaient chargé les Services spéciaux de son pays.

Les haut-parleurs grésillèrent, annonçant :

— Les passagers du vol 972 des Scandinavian Airlines sont priés de se présenter à la sortie numéro 3.

Au moment où Malko se levait, une Thaï âgée, en sarong de coton, s’approcha de lui, un petit paquet à la main. Sans mot dire, elle le lui tendit et s’éloigna.

Ce n’est qu’un quart d’heure plus tard, confortablement installé dans le DC-8 que Malko défit le papier. Il retint un cri d’admiration : le paquet contenait un splendide Bouddha en or massif de vingt centimètres de haut. Merveilleusement ciselé. Il y avait une carte de Mme Stanford dans le paquet, avec un seul mot : « Merci ».

Effectivement, tout se savait vite à Bangkok.

Le gros avion montait rapidement dans le ciel limpide. Au-dessous, la Thaïlande n’était plus qu’une grosse tache verte. Soudain, la voix de l’hôtesse annonça :

— Sur la droite de l’appareil, vous pouvez apercevoir la rivière Kwaï.

Le commandant de bord inclina légèrement l’énorme avion. Les passagers se pressaient aux hublots, fascinés par le ruban argenté qui se découpait sur la jungle verte.

Malko, le cœur lourd, détourna les yeux.

FIN