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Alors, dans son trouble, étourdi par le chant des orgues, Pierre leva la tête, regarda l'intérieur de la Basilique. C'était une nef étroite, haute, bariolée de couleurs vives, que des baies nombreuses inondaient de lumière. Les bas côtés existaient à peine, se trouvaient réduits à un simple couloir filant entre les faisceaux des piliers et les chapelles latérales; ce qui semblait augmenter encore l'élancement de la nef, cet envolement de la pierre en lignes minces, d'une gracilité enfantine. Une grille toute dorée, transparente comme une dentelle, fermait le choeur, où le maître autel, de marbre blanc, couvert de sculptures, avait une somptuosité de candeur virginale. Mais ce qui étonnait, c'était l'extraordinaire ornementation dont l'amas transformait l'église entière en un étalage débordant de broderies et de joailleries, des bannières, des ex-voto innombrables, tout un fleuve de dons, de cadeaux, qui avait coulé et s'était amassé sur les murs, tout un ruissellement d'or, d'argent, de velours, de soie, qui la tapissait du haut en bas. Elle était le sanctuaire sans cesse embrasé de la reconnaissance, elle chantait par ses mille richesses un continuel cantique de foi et de gratitude.

Les bannières, surtout, foisonnaient, se multipliaient comme les feuilles des arbres, sans nombre. Une trentaine étaient suspendues à la voûte. En haut, garnissant tout le pourtour du triforium, d'autres faisaient tableau, encadrées dans des colonnettes. Elles s'étalaient le long des murailles, elles flottaient au fond des chapelles, elles entouraient le choeur d'un ciel de soie, de satin et de velours. On en comptait des centaines, le regard se fatiguait à les admirer. Beaucoup étaient célèbres, d'un travail si habile, que de grandes brodeuses se dérangeaient pour les voir: celle de Notre-Dame de Fourvières, aux armes de la ville de Lyon; celle de l'Alsace, en velours noir, brodé d'or; celle de la Lorraine, où l'on remarquait une Vierge couvrant deux enfants de son manteau; celle de la Bretagne, bleue et blanche, où saignait un Sacré-Coeur au sein d'une gloire. Tous les empires, tous les royaumes de la terre se trouvaient représentés. Les pays les plus lointains, le Canada, le Brésil, le Chili, Haïti, avaient là leur drapeau, dont ils étaient venus dévotement faire hommage à la Reine du ciel.

Puis, après les bannières, il y avait encore une merveille, les milliers et les milliers de coeurs d'or et d'argent, accrochés partout, luisant aux murs comme les étoiles au firmament. Ils dessinaient des roses mystiques, ils traçaient des festons, des guirlandes, qui montaient le long des piliers, entouraient les fenêtres, constellaient les chapelles profondes. Au-dessous du triforium, on avait eu l'idée ingénieuse d'écrire, en lettres hautes, à l'aide de ces coeurs, les diverses paroles que la sainte Vierge avait adressées à Bernadette; et une longue frise se déroulait ainsi, autour de la nef, qui faisait la joie des âmes enfantines, très occupées à en épeler les mots. C'était un pullulement, un braisillement de coeurs prodigieux, dont le nombre infini accablait, quand on songeait à toutes les mains tremblantes de reconnaissance, qui les avaient donnés. D'ailleurs, beaucoup d'autres ex-voto, et des plus imprévus, entraient aussi dans la décoration. On voyait, encadrés sous verre, des bouquets de mariées, des croix d'honneur, des bijoux, des photographies, des chapelets, jusqu'à des éperons. Et il y avait des épaulettes d'officier, ainsi que des épées, parmi lesquelles un superbe sabre, laissé là en souvenir d'une conversion miraculeuse.

Mais ce n'était point assez, d'autres richesses, des richesses de toutes sortes rayonnaient de toutes parts: des statues de marbre, des diadèmes enrichis de diamants, un tapis merveilleux, dessiné à Blois, brodé par les Dames de la France entière, une palme d'or, ornée d'émaux, envoyée par le Souverain Pontife. Les lampes qui descendaient des voûtes étaient également des cadeaux, quelques-unes d'or massif, du travail le plus délicat. Elles ne se comptaient plus, elles étoilaient la nef, comme des astres précieux. Devant le tabernacle, il y en avait une, offerte par l'Irlande, un chef-d'oeuvre de ciselure. D'autres, celle de Valence, celle de Lille, celle de Macao, envoyée celle-ci du fond de la Chine, étaient de véritables joyaux, étincelants de pierreries. Et quel resplendissement, lorsque les vingt lustres du choeur étaient allumés, lorsque les centaines de lampes, les centaines de cierges brûlaient à la fois, aux grandes cérémonies du soir! Alors, l'église entière s'embrasait, toutes ces petites flammes de chapelle ardente se reflétaient en mille feux dans les milliers de coeurs d'or et d'argent. C'était un brasier extraordinaire, les murs ruisselaient de flammèches vives, on entrait dans la gloire aveuglante du paradis; tandis que les bannières sans nombre déroulaient de tous côtés leur soie, leur satin et leur velours, brodés de Coeurs saignants, de Saints victorieux, de Vierges dont le bon sourire enfantait des miracles.

Ah! cette Basilique, que de cérémonies déjà y avaient développé leur pompe! Jamais le culte, jamais la prière et les chants n'y cessaient. D'un bout de l'année à l'autre, l'encens fumait, les orgues grondaient, les foules agenouillées priaient de toute leur âme. C'étaient les messes continuelles, c'étaient les vêpres, et les prônes, et les bénédictions, et les exercices journellement recommencés, et les fêtes célébrées avec une magnificence sans égale. Les moindres anniversaires devenaient des prétextes à solennités fastueuses. Chaque pèlerinage devait avoir sa part d'éblouissement. Ces souffrants et ces humbles venus de si loin, il fallait bien les renvoyer consolés, ravis, emportant la vision du paradis entr'ouvert. Ils avaient vu le luxe de Dieu, ils en garderaient l'éternelle extase. Au fond de pauvres chambres nues, en face de grabats douloureux, dans la chrétienté entière, la Basilique s'évoquait avec son flamboiement de richesses, comme un rêve de promesse et de compensation, comme la fortune même, le trésor de la vie future, où les pauvres entreraient certainement un jour, après leur longue misère d'ici-bas.

Et Pierre n'avait aucune joie, regardait ces splendeurs sans consolation ni espérance. Son malaise affreux augmentait, il faisait noir en lui, un de ces noirs de tempête, lorsque les idées et les sentiments soufflent et hurlent. Depuis que Marie s'était levée de son chariot, criant qu'elle était guérie, depuis qu'elle marchait, si forte, si vivante, il sentait monter en lui une immense désolation. Cependant, il l'aimait en frère passionné, il avait éprouvé un bonheur sans bornes, à voir qu'elle ne souffrait plus. Pourquoi donc agonisait-il ainsi de sa félicité, à elle? Il ne pouvait plus la regarder, maintenant, agenouillée, rayonnante au milieu de ses larmes, d'une beauté reconquise et grandie, sans que son pauvre coeur saignât, comme sous une mortelle blessure. Il voulait rester pourtant, il détournait les yeux, tâchait de s'intéresser au père Massias, toujours secoué de sanglots sur les dalles, et dont il enviait l'anéantissement, dans la dévorante illusion de l'amour divin. Un instant même, il questionna Berthaud, parut admirer une bannière, sur laquelle il demanda des explications.