Très sérieuse, madame Volmar écoutait. Puis, de son air tranquille:
-Eh bien! moi, ma chère, je connais une personne qui ne voulait plus avoir d'enfants... Elle est venue ici, elle n'en a plus fait.
Mais Gérard et Berthaud, ayant aperçu ces dames, se hâtèrent d'accourir. Le matin, à l'Hôpital de Notre-Dame des Douleurs, les deux hommes s'étaient présentés, et madame de Jonquière les avait reçus dans un petit bureau, voisin de la lingerie. Là, très correctement, en s'excusant avec une bonhomie souriante de cette démarche un peu bousculée, Berthaud avait demandé la main de mademoiselle Raymonde pour son cousin Gérard. Tout de suite, on s'était senti à l'aise, la mère avait eu un attendrissement, en disant que Lourdes porterait bonheur au jeune ménage. De sorte que le mariage se trouva ainsi conclu en quelques paroles, au milieu de la satisfaction générale. Même on prit rendez-vous, le quinze septembre, au château de Berneville, près de Caen, une propriété de l'oncle, le diplomate, que Berthaud connaissait et chez lequel il promit de mener Gérard. Puis, Raymonde, appelée, avait rougi de plaisir, en mettant ses deux petites mains dans celles de son fiancé.
Ce dernier s'empressait, demandait à la jeune fille:
-Voulez-vous des oreillers pour la nuit? Ne vous gênez pas, je puis vous en donner, ainsi qu'à ces dames qui vous accompagnent.
Raymonde refusa gaiement.
-Non, non! nous ne sommes pas si douillettes. Il faut réserver ça aux pauvres malades.
D'ailleurs, ces dames parlaient toutes à la fois. Madame de Jonquière déclarait qu'elle était si fatiguée, si fatiguée, qu'elle ne se sentait plus vivre; et elle se montrait pourtant bien heureuse, ses regards riaient en couvant sa fille et le jeune homme, pendant qu'ils causaient ensemble. Mais Berthaud ne pouvait rester là, son service le réclamait, ainsi que Gérard. Tous deux prirent congé, après avoir rappelé le rendez-vous. N'est-ce pas, le quinze septembre, au château de Berneville? Oui, oui, c'était chose entendue! Et il y eut encore des rires, des poignées de main, tandis que les yeux, des yeux de caresse et de ravissement, achevaient ce qu'on n'osait dire tout haut, au milieu de cette foule.
-Comment! s'écria la petite madame Désagneaux, vous allez le quinze à Berneville. Mais si nous restons à Trouville jusqu'au vingt, comme mon mari le désire, nous irons vous voir!
Et elle se tourna vers madame Volmar, silencieuse.
-Venez donc aussi, vous. Ce serait si drôle de se retrouver toutes là-bas!
La jeune femme eut un geste lent, en répondant de son air d'indifférence lasse:
-Oh! moi, c'est fini, le plaisir. Je rentre.
Ses yeux, de nouveau, se rencontrèrent avec ceux de Pierre, qui était resté près de ces dames; et il crut la voir se troubler une seconde, tandis qu'une expression d'indicible souffrance passait sur sa face morte.
Les soeurs de l'Assomption arrivaient, ces dames les rejoignirent devant le fourgon de la cantine. Ferrand, venu en voiture avec les religieuses, y monta d'abord, puis aida soeur Saint-François à franchir le haut marchepied; et il resta debout, au seuil de ce fourgon, transformé en cuisine, où se trouvaient les provisions pour le voyage, du pain, du bouillon, du lait, du chocolat; pendant que soeur Hyacinthe et soeur Claire des Anges, demeurées sur le trottoir, lui passaient sa petite pharmacie, ainsi que d'autres paquets, de menus bagages.
-Vous avez bien tout? lui demanda soeur Hyacinthe. Bon! maintenant, vous n'avez qu'à vous coucher dans votre coin et à dormir, puisque vous vous plaignez qu'on ne vous utilise pas.
Ferrand se mit à rire doucement.
-Ma soeur, je vais aider soeur Saint-François... J'allumerai le fourneau à pétrole, je laverai les tasses, je porterai les portions aux heures d'arrêt, marquées sur le tableau qui est là... Et, tout de même, si vous avez besoin de médecin, vous viendrez me chercher.
Soeur Hyacinthe s'était aussi mise à rire.
-Mais nous n'avons plus besoin de médecin, puisque toutes nos malades sont guéries!
Et, les yeux dans les siens, de son air calme et fraterneclass="underline"
-Adieu, monsieur Ferrand.
Il sourit encore, tandis qu'une émotion infinie mouillait ses yeux. Le son tremblé de sa voix dit l'inoubliable voyage, la joie de l'avoir revue, le souvenir d'éternelle et divine tendresse qu'il emportait.
-Adieu, ma soeur.
Madame de Jonquière parlait d'aller à son wagon avec soeur Claire des Anges et soeur Hyacinthe. Mais celle-ci lui assura que rien ne pressait, puisqu'on amenait à peine les malades. Elle la quitta, emmena l'autre soeur, promit de veiller à tout; et même elle voulut absolument la débarrasser de son petit sac, en lui disant qu'elle le retrouverait à sa place. De sorte que ces dames continuèrent à se promener, à causer gaiement entre elles, sur le large trottoir, où il faisait si doux.
Cependant, Pierre, qui, les yeux sur la grande horloge, regardait marcher les minutes, commençait à être surpris de ne pas voir Marie arriver avec son père. Pourvu que M. de Guersaint ne se perdît pas en route! Et il guettait, lorsqu'il aperçut M. Vigneron exaspéré, poussant furieusement devant lui sa femme et le petit Gustave.
-Oh! monsieur l'abbé, je vous en prie, dites-moi où est notre wagon, aidez-moi à y fourrer mes bagages et cet enfant... Je perds la tête, ils m'ont jeté hors de mon caractère...
Puis, devant le compartiment de seconde classe, il éclata, saisissant les mains du prêtre, au moment où celui-ci allait monter le petit malade.
-Vous imaginez-vous cela! ils veulent que je parte, ils m'ont répondu que, si j'attendais à demain, mon billet de retour ne serait plus valable!... J'ai eu beau leur conter l'accident. N'est-ce pas? ce n'est déjà pas si drôle de rester avec cette morte, pour la veiller, la mettre en bière, l'emmener demain, dans les délais voulus... Eh bien! ils prétendent que ça ne les regarde pas, qu'ils font déjà d'assez grosses réductions sur les billets de pèlerinage, sans entrer dans les histoires des gens qui meurent.
Madame Vigneron, tremblante, l'écoutait, pendant que Gustave, oublié, chancelant de fatigue sur sa béquille, levait sa pauvre face d'agonisant curieux.
-Enfin, je le leur ai crié sur tous les tons, il y a cas de force majeure... Que veulent-ils que je fasse de ce corps? Je ne puis pas le prendre sous mon bras et le leur apporter aujourd'hui comme bagage. Je suis donc bien forcé de rester... Non! ce qu'il y a des gens bêtes et méchants!
-Est-ce que vous avez parlé au chef de gare? demanda Pierre.
-Ah! oui, le chef de gare! Il est par là, dans la bousculade. On n'a jamais pu me le trouver. Comment voulez-vous que les choses se fassent proprement, au milieu d'une pétaudière pareille?... Mais il faut que je le déterre, il faut que je lui dise ma façon de penser!
Et, avisant sa femme figée, immobile:
-Qu'est-ce que tu fais là? Monte donc, pour qu'on te passe les bagages et le petit.
Alors, ce fut un engouffrement, il la poussa, il lui jeta des paquets, pendant que le prêtre soulevait Gustave dans ses bras. Le pauvre être, d'une légèreté d'oiseau, semblait avoir maigri encore, dévoré de plaies, si douloureux, qu'il eut un faible cri.
-Oh! mon mignon! est-ce que je t'ai fait du mal?
-Non, non! monsieur l'abbé, on m'a remué beaucoup, je suis très fatigué, ce soir.