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À cinq heures, enfin, comme le soleil se levait, il y eut un réveil brusque, l'entrée retentissante dans une grande gare, des appels d'employés, des portières qui s'ouvraient, du monde qui se bousculait. On était à Poitiers, et tout le wagon se trouva debout, au milieu d'un bruit de voix, d'exclamations et de rires.

C'était la petite Sophie Couteau qui descendait là et qui faisait ses adieux. Elle embrassa toutes ces dames, elle passa même par-dessus la cloison, pour aller prendre congé de soeur Claire des Anges, que personne n'avait revue depuis la veille, disparue dans son coin, menue et silencieuse, avec ses yeux de mystère. Puis, l'enfant revint, prit son petit paquet, se montra gentille surtout pour soeur Hyacinthe et pour madame de Jonquière.

-Au revoir, ma soeur! au revoir, madame!... Je vous remercie de toutes vos bontés.

-Il faudra revenir l'année prochaine, mon enfant.

-Oh! ma soeur, je n'y manquerai pas! C'est mon devoir.

-Et, chère petite, conduisez-vous bien, portez-vous bien, pour que la sainte Vierge soit fière de vous.

-Bien sûr, madame, elle a été si bonne, ça m'amuse tant de retourner la voir!

Quand elle fut sur le quai, tous les pèlerins du wagon se penchèrent, la suivirent avec des visages heureux, des saluts, des cris.

-À l'année prochaine! à l'année prochaine!

-Oui, oui, merci bien! À l'année prochaine!

On ne devait dire la prière du matin qu'à Châtellerault. Après l'arrêt à Poitiers, lorsque, de nouveau, le train roula, dans le petit frisson frais du matin, M. de Guersaint déclara de son air gai qu'il avait supérieurement dormi, malgré la dureté de la banquette. Madame de Jonquière, elle aussi, se félicitait de ce bon repos dont elle avait tant besoin, un peu confuse pourtant d'avoir laissé soeur Hyacinthe veiller seule sur la Grivotte, qui maintenant grelottait d'une fièvre intense, reprise de son horrible toux. Les autres pèlerines faisaient un bout de toilette, les dix femmes du fond rattachaient leurs fichus, renouaient les brides de leurs bonnets, avec une sorte d'inquiétude pudique, dans leur laideur pauvre et triste. Attentive, le visage sur son miroir, Élise Rouquet n'en finissait pas de s'examiner le nez, la bouche, les joues, s'admirant, se buvant, trouvant qu'elle redevenait décidément très bien.

Et ce fut alors que Pierre et Marie eurent encore une grande pitié, en regardant madame Vincent que rien n'avait pu tirer de la torpeur où elle était, ni l'arrêt tumultueux à Poitiers, ni le bruit des voix depuis qu'on roulait de nouveau. Anéantie sur la banquette, elle n'avait pas rouvert les yeux, elle sommeillait toujours, tourmentée de rêves atroces. Et, tandis que de grosses larmes continuaient à couler de ses paupières closes, elle venait de saisir l'oreiller qu'on l'avait forcée de prendre, elle le serrait sur sa poitrine, étroitement, dans quelque cauchemar de sa maternité souffrante. Ses pauvres bras de mère si longtemps chargés de sa fillette moribonde, ses bras inoccupés, vides à jamais, avaient trouvé ce coussin, dans son sommeil, et ils s'y étaient noués comme sur un fantôme, d'une étreinte aveugle.

Mais M. Sabathier avait le réveil joyeux. Pendant que madame Sabathier remontait la couverture, en enveloppait soigneusement ses jambes mortes, il se mit à causer, l'oeil brillant, rendu à la grâce de l'illusion. Il disait qu'il avait rêvé de Lourdes, que la sainte Vierge s'était penchée vers lui, avec un sourire de bienveillante promesse. Et, devant madame Vincent, cette mère dont elle avait laissé mourir la fille, devant la Grivotte, la misérable femme guérie par elle, retombée si rudement à son mal mortel, il se réjouissait, il répétait à M. de Guersaint, d'un air d'absolue certitude:

-Oh! monsieur, je vais rentrer chez moi bien tranquille... L'année prochaine, je serai guéri... Oui, oui! comme le criait tout à l'heure cette chère mignonne: à l'année prochaine! à l'année prochaine!

C'était l'illusion indestructible, victorieuse même de la certitude, l'éternelle espérance qui ne voulait pas mourir, qui repoussait plus vivace, après chaque défaite, sur les ruines de tout.

À Châtellerault, soeur Hyacinthe fit dire la prière du matin, le Pater et l'Ave, le Credo, un appel à Dieu pour lui demander le bonheur d'une journée glorieuse. Ô mon Dieu! donnez-moi assez de force pour éviter tout le mal pour pratiquer tout le bien, pour souffrir toutes le peines!

V

Et le voyage continua, le train roula, roula toujours. À Sainte-Maure, on dit les prières de la messe, et l'on chanta le Credo, à Saint-Pierre-des-Corps. Mais les exercices de piété n'étaient plus si goûtés, le zèle se ralentissait un peu, dans la fatigue croissante de ce retour, après une si longue exaltation des âmes. Aussi soeur Hyacinthe comprit-elle qu'une lecture serait une récréation heureuse, pour tous ces pauvres gens surmenés; et elle promit qu'elle permettrait à monsieur l'abbé de leur lire la fin de la vie de Bernadette, dont il leur avait déjà, à deux reprises, conté de si merveilleux épisodes. Mais on attendrait les Aubrais, on aurait près de deux heures des Aubrais à Étampes, tout le temps nécessaire d'achever l'histoire sans être dérangé.

Les stations, alors, se succédèrent de nouveau, dans la répétition monotone de ce qu'on avait fait en allant à Lourdes, au travers des mêmes plaines. On recommença le rosaire à Amboise, on dit le premier chapelet, les cinq mystères joyeux; puis, après avoir chanté à Blois le cantique «Bénis, ô tendre Mère», on récita à Beaugency le deuxième chapelet, les cinq mystères douloureux. Le soleil, dès le matin, s'était voilé d'un fin duvet de nuages, la campagne fuyait très douce et un peu triste, dans son continuel mouvement d'éventail. Aux deux bords de la voie, sous la lumière grise, les arbres, les maisons disparaissaient avec une légèreté vague de rêve; tandis que les coteaux, au loin, noyés de brume, s'en allaient plus lents, d'un balancement apaisé de houle. Entre Beaugency et les Aubrais, le train parut diminuer sa vitesse, roulant sans fin, avec le grondement rythmique, entêté des roues, que les pèlerins étourdis n'entendaient même plus.

Enfin, dès qu'on eut quitté les Aubrais, on se mit à déjeuner dans le wagon. Il était midi moins un quart. Et, quand on eut dit l'Angélus, les trois Ave répétés trois fois, Pierre tira, de la valise de Marie, le petit livre dont la couverture bleue était ornée d'une naïve image de Notre-Dame de Lourdes. Soeur Hyacinthe avait tapé dans ses mains, pour obtenir le silence. Le prêtre put alors commencer sa lecture, de sa belle voix pénétrante, au milieu du réveil de tous, de la curiosité de ces grands enfants que ce conte prodigieux passionnait. Maintenant, c'était le séjour à Nevers, et c'était la mort de Bernadette. Mais, comme il avait fait les deux premières fois, il cessa vite de s'en tenir au texte du petit livre, il y mêla des récits charmants, ce qu'il savait, ce qu'il devinait; et, pour lui encore, s'évoquait l'histoire vraie, l'humaine, la pitoyable, celle que personne n'avait contée et qui lui bouleversait le coeur.