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La main de Marie, au milieu des ténèbres, chercha celle de Pierre; et, quand elle l'eut rencontrée, qui venait au-devant de la sienne, elle la serra longuement. Ah! quelle joie! Jamais ils n'avaient goûté une joie si pure et si parfaite, à être ainsi ensemble, loin du monde, dans ce charme souverain de l'ombre et du mystère. Autour d'eux, il n'y avait plus que la ronde des étoiles. Les chants berceurs étaient comme le vertige même, si ailé, qui les emportait. Et elle savait bien qu'elle serait guérie le lendemain, quand elle aurait passé une nuit d'ivresse devant la Grotte: c'était une absolue conviction, elle se ferait entendre de la sainte Vierge, elle la fléchirait, du moment qu'elle serait seule, face à face, à l'implorer. Et elle comprenait bien ce que Pierre voulait dire, tout à l'heure, lorsqu'il avait exprimé le désir de passer, lui aussi, devant la Grotte, la nuit entière. N'était-ce pas qu'il était résolu à tenter un suprême effort de croyance, qu'il allait s'agenouiller comme un petit enfant, en suppliant la Mère toute-puissante de lui rendre la foi perdue? Maintenant encore, sans qu'ils eussent besoin de parler davantage, leurs mains unies se répétaient ces choses. Ils se promettaient de prier l'un pour l'autre, ils s'oubliaient jusqu'à se perdre l'un dans l'autre, avec un si ardent désir de leur guérison, de leur bonheur mutuel, qu'ils touchèrent là un instant le fond de l'amour qui se donne et qui s'immole. Ce fut une jouissance divine.

-Ah! murmura Pierre, cette nuit bleue, cet infini d'ombre qui emporte la laideur des gens et des choses, cette paix immense et fraîche, où je voudrais endormir mon doute...

Sa voix s'éteignait. Marie, à son tour, dit très bas:

-Et les roses, ce parfum des roses... Ne les sentez-vous pas, mon ami? Où sont-elles donc, que vous ne les avez pas vues?

-Oui, oui, je les sens, mais il n'y a pas de roses. Je les aurais vues certainement, car je les ai bien cherchées.

-Comment pouvez-vous dire qu'il n'y a pas de roses, quand elles embaument l'air autour de nous, et que nous baignons dans leur parfum? Tenez! à certaines minutes, ce parfum est si puissant, que je me sens défaillir de joie, à le respirer!... Elles sont là, certainement, innombrables, sous nos pieds.

-Non, je vous le jure, j'ai regardé partout, il n'y a pas de roses. Ou bien il faut qu'elles soient invisibles, qu'elles soient cette herbe même que nous foulons, ces grands arbres qui nous entourent, que leur odeur sorte de la terre, et du torrent voisin, et des bois, et des montagnes.

Ils se turent un instant. Puis, elle reprit de la même voix très basse:

-Comme elles sentent bon, Pierre! Il me semble que nos deux mains unies sont là ainsi qu'un bouquet.

-Oui, elles sentent adorablement bon; et c'est de vous, Marie, que l'odeur monte à présent, comme si les roses fleurissaient de vos cheveux.

Et ils ne parlèrent plus. La procession défilait toujours, des étincelles vives apparaissaient toujours au tournant de la Basilique, jaillissant de l'obscurité, comme d'une source inépuisable. L'immense coulée des petites flammes en marche, dans son double circuit, rayait l'ombre d'un ruban de braise. Mais, surtout, le spectacle était sur la place du Rosaire, où la tête de la procession, continuant son évolution lente, se repliait sur elle-même, en un cercle de plus en plus étroit, une sorte de tournoiement obstiné, qui achevait d'étourdir les pèlerins, brisés de fatigue, et d'exaspérer leurs chants. Bientôt, la ronde ne fut plus qu'une masse brûlante, un noyau de nébuleuse, autour duquel venait s'enrouler le ruban de braise, dont le bout semblait ne devoir jamais finir; et le noyau s'élargissait, il y eut une mare, puis un lac. Toute la vaste place du Rosaire se changeait en une mer incendiée roulant ses petits flots étincelants, dans le vertige de ce tourbillon sans fin. Un reflet d'aurore blanchissait la Basilique. Le reste de l'horizon tombait à une obscurité profonde. On ne voyait, à l'écart, que quelques cierges perdus cheminer seuls, ainsi que des lucioles cherchant leur route, à l'aide de leur petite lanterne. Sur le mont du Calvaire, pourtant, une queue vagabonde de la procession devait être montée, car des étoiles voyageaient aussi là-haut, en plein ciel. Enfin, un moment arriva où les derniers cierges parurent, firent le tour des pelouses, coulèrent et se noyèrent dans la mer de flammes. Trente mille cierges y brûlaient, tournant toujours, attisant leur braisillement, sous le grand ciel calme, où pâlissaient les astres. Une nuée lumineuse s'envolait avec le cantique, dont l'obsession n'avait pas cessé. Et le grondement des voix, les Ave, ave, ave, Maria! étaient comme le crépitement même de ces coeurs de feu, qui se consumaient en prières, pour guérir les corps et sauver les âmes.

Un à un, les cierges venaient de s'éteindre, la nuit retombait souveraine, très noire et très douce, lorsque Pierre et Marie s'aperçurent qu'ils étaient encore là, cachés sous le mystère des arbres, la main dans la main. Au loin, par les rues obscures de Lourdes, il n'y avait plus que des pèlerins égarés, demandant la route, pour retrouver leur lit. Des frôlements traversaient l'ombre, tout ce qui rôde et s'endort, à la fin des jours de fête. Et eux s'oubliaient, ne bougeaient toujours pas, délicieusement heureux, dans l'odeur des roses invisibles.

IV

Pierre roula le chariot de Marie devant la Grotte, et il l'installa le plus près possible de la grille. Il était minuit passé, une centaine de personnes se trouvaient encore là, quelques-unes assises sur les bancs, la plupart agenouillées, comme anéanties dans la prière. Du dehors, la Grotte flamboyait, braisillante de cierges, pareille à une chapelle ardente, sans qu'on pût y distinguer autre chose que cette poussière d'étoiles, d'où émergeait, dans sa niche, la statue de la Vierge, d'une blancheur de rêve. Les verdures tombantes prenaient un éclat d'émeraude, le millier de béquilles qui tapissaient la voûte ressemblaient à un inextricable lacis de bois mort, près de refleurir. Et la nuit était rendue plus noire par un si vif éclat, les alentours se noyaient d'une ombre épaissie, où rien n'était plus, ni les murs, ni les arbres; tandis que, seule, montait la voix grondante et continue du Gave, sous le grand ciel ténébreux, alourdi d'une pesanteur d'orage.