-Je vous assure, conclut le baron, il y en a de très gentilles, de moins bêtes qu'on ne croirait... Pendant trois ans, j'ai trouvé les lettres très intéressantes d'une dame qui ne faisait rien, sans le raconter à la sainte Vierge. C'était une dame mariée, et elle éprouvait la plus dangereuse passion pour un ami de son mari... Eh bien! monsieur l'abbé, elle a triomphé, la sainte Vierge lui a répondu, en lui envoyant l'armure de sa chasteté, la force toute divine de résister à son coeur...
Il s'interrompit, pour dire:
-Mais venez donc vous asseoir ici, monsieur l'abbé. Vous verrez comme on est bien!
Pierre alla se mettre près de lui, sur le banc, à gauche, à l'endroit où le rocher s'abaissait. Il y avait là, en effet, un coin de délicieux repos. Et ni l'un ni l'autre ne parlait plus, un profond silence régnait, lorsqu'il entendit, derrière son dos, un murmure indistinct, une légère voix de cristal, qui semblait venir de l'invisible. Il eut un mouvement, que le baron Suire comprit.
-C'est la source que vous entendez. Elle est dans le sol, derrière ce grillage... Voulez-vous la voir?
Et, sans attendre que Pierre acceptât, il s'était déjà baissé, pour ouvrir un des panneaux qui la protégeait, en faisant observer que, si on la fermait ainsi, c'était de crainte que les libres penseurs ne vinssent jeter du poison dedans. Cette imagination extraordinaire stupéfia un instant le prêtre; mais il finit par la mettre au compte du baron, qui avait en vérité beaucoup d'enfance.
Cependant, celui-ci se battait en vain avec le cadenas à lettres, qui ne voulait pas céder.
-C'est singulier, murmurait-il, le mot est Rome, et je suis bien certain qu'on ne l'a pas changé... L'humidité pourrit tout. Nous sommes obligés de remplacer, au bout de deux ans, les béquilles, là-haut, qui tombent en poussière... Apportez-moi donc un cierge.
Lorsque Pierre l'eut éclairé, avec un cierge, qu'il avait pris à une des herses, il réussit enfin à ouvrir le cadenas de cuivre, mangé de vert-de-gris. Et le panneau grillagé tourna, et la source apparut. C'était, dans une faille de la roche, sur un fond de graviers boueux, une eau lente, qui sortait limpide, sans bouillonnement; mais elle paraissait venir sur une assez large étendue. Le baron expliquait que, pour la conduire aux fontaines, on l'avait canalisée dans des tuyaux recouverts de ciment. Même il avouait que, derrière les piscines, on avait dû creuser un réservoir, afin d'amasser l'eau pendant la nuit, car le faible débit de la source n'aurait pas suffi aux besoins journaliers.
-Voulez-vous la goûter? offrit-il brusquement. Elle est encore meilleure, ici, à sa sortie de terre.
Pierre ne répondait pas, regardait cette eau tranquille, cette eau innocente, qui se moirait de reflets d'or, sous la lumière vacillante du cierge. Des gouttes de cire tombaient, l'animaient d'un frémissement. Et il songeait à tout ce qu'elle apportait de mystère, du flanc lointain des montagnes.
-Buvez-en donc un verre!
Le baron avait rempli, en le plongeant, un verre qui se trouvait toujours là; et le prêtre dut le vider. C'était de la bonne eau pure, de cette eau transparente et fraîche qui ruisselle de tous les hauts plateaux des Pyrénées.
Le cadenas remis, tous deux reprirent leur place sur le banc de chêne. Derrière lui, par moments, Pierre continuait à entendre la source, avec son petit gazouillement d'oiseau caché. Et, maintenant, le baron lui parlait de la Grotte, par toutes les saisons, par tous les temps, dans un bavardage attendri, plein de détails puérils.
L'été, ce n'était que la saison brutale, les foules foraines des grands pèlerinages, la ferveur bruyante des milliers de pèlerins accourus, priant et criant à la fois. Mais, dès l'automne, tombaient les pluies, les pluies diluviennes qui battaient le seuil de la Grotte, pendant de longs jours; et, alors, venaient les pèlerinages lointains, des Indiens, des Malais, jusqu'à des Chinois, de petites troupes silencieuses et extatiques qui s'agenouillaient dans la boue, sur un signe des Missionnaires. En France, de toutes les anciennes provinces, la Bretagne envoyait les pèlerins les plus dévots, des paroisses entières où les hommes étaient aussi nombreux que les femmes, et dont la bonne tenue pieuse, la foi simple et décente étaient faites pour édifier le monde. Puis, c'était l'hiver, décembre avec ses froids terribles, ses épaisses tombées de neige barrant les montagnes. Des familles prenaient alors leurs quartiers au fond des hôtels déserts, des fidèles se rendaient quand même chaque matin à la Grotte, tous les amants du silence, désireux de parler à la Vierge, dans la tendre intimité de la solitude. Il en était ainsi quelques-uns que personne ne connaissait, qui se montraient dès qu'ils étaient les seuls à se prosterner et à aimer, comme des amants jaloux, puis qui repartaient, effarouchés, à la première menace de foule. Et quelle douceur, par un mauvais temps d'hiver! Par la pluie, par le vent, par la neige, la Grotte gardait son flamboiement. Même, durant les nuits d'enragée tempête, lorsque pas une âme n'était là, elle incendiait les ténèbres vides, elle brûlait comme un brasier d'amour que rien ne pouvait éteindre. Le baron racontait que, pendant les grandes neiges de l'hiver précédent, il y était venu passer des après-midi entières, à cette place, sur ce banc où il était assis. Il y régnait une chaleur douce, bien qu'elle fût tournée au nord et que jamais le soleil n'y pénétrât. Sans doute la roche continuellement chauffée par les cierges expliquait cette bonne tiédeur; mais ne pouvait-on croire, en outre, à un bienfait charmant de la Vierge, qui faisait régner là un avril éternel? Aussi les petits oiseaux ne s'y trompaient pas, tous les pinsons du voisinage, quand la neige glaçait leurs pattes, s'y réfugiaient, voletaient dans le lierre, autour de la statue sainte. Et c'était, enfin, le réveil du printemps, le Gave roulant avec un fracas de tonnerre les neiges fondues, les arbres reverdissant sous la poussée de la sève, tandis que les foules de retour envahissaient bruyamment la Grotte étincelante, dont elles chassaient les petits oiseaux du ciel.