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Ferrand, intéressé, l'examina un instant. Elle le surprenait par son air d'absence, son insouciance de tout ce qui l'entourait, l'ardente foi, l'ardente joie intérieure qui la repliaient sur elle-même.

-Elle guérira, murmura-t-il, comme s'il eût porté tout bas un pronostic. Elle guérira.

Puis, il se rapprocha de soeur Hyacinthe, qui s'était assise dans l'embrasure de la haute fenêtre, grande ouverte à l'air tiède de la cour. Le soleil commençait à tourner, ne glissait plus qu'en une étroite barre d'or sur la coiffe blanche et la guimpe blanche. Et lui demeura debout devant elle, à la regarder coudre, adossé contre la barre d'appui.

-Vous savez, ma soeur, que ce voyage à Lourdes, dont j'ai accepté la corvée pour rendre service à un ami, va être un des rares bonheurs de mon existence.

Elle ne comprit pas, demanda naïvement:

-Comment ça?

-Mais parce que je vous ai retrouvée, parce que je suis ici avec vous, à vous aider un peu dans vos oeuvres admirables. Et si vous saviez comme je vous ai de la reconnaissance, comme je vous aime, comme je vous vénère!

Elle leva la tête pour le regarder en face, elle se mit à plaisanter, sans embarras aucun. Elle était délicieuse, avec son teint de lis candide, sa bouche petite et gaie, ses adorables yeux bleus qui souriaient toujours. Et on la sentait si fine, si souple, sans plus de poitrine qu'une fillette, toute poussée en innocence et en dévouement.

-Vous m'aimez tant que ça! pourquoi donc?

-Pourquoi je vous aime?... Vous êtes la créature la meilleure, la plus consolante, la plus fraternelle. Vous êtes, jusqu'ici, dans ma vie, le souvenir le plus profond, le plus doux, celui que j'évoque, lorsque j'ai besoin d'être soutenu et encouragé... Vous ne vous souvenez donc pas du mois que nous avons passé tous les deux, dans ma pauvre chambre, lorsque j'ai été si malade, et que vous m'avez si affectueusement soigné?

-Mais si, mais si!... Même, je n'ai jamais eu de malade si gentil que vous. Tout ce que je vous donnais, vous le preniez; et, quand je vous bordais, après vous avoir changé de linge, vous ne bougiez pas plus qu'un enfant.

Et elle continuait à le regarder, avec son rire ingénu. Il était très beau, très robuste, le nez un peu fort, les yeux superbes, la bouche rouge, sous les moustaches noires, dans tout l'éclat de sa virile jeunesse. Mais elle semblait simplement heureuse de le voir ainsi devant elle, touché aux larmes.

-Ah! ma soeur, je serais mort sans vous. C'est de vous avoir qui m'a guéri.

Alors, tandis qu'ils se regardaient avec cette gaieté attendrie, le mois adorable s'évoqua. Ils n'entendaient plus le râle de madame Vêtu, ils ne voyaient plus la salle encombrée de lits, pareille, dans son désordre, à une ambulance improvisée, après une catastrophe publique. C'était en haut d'une maison noire qu'ils se retrouvaient, dans une mansarde étroite du vieux Paris, où l'air et le jour ne leur arrivaient que par une petite fenêtre, ouverte sur un océan de toitures. Et quel charme d'être seuls, lui terrassé par la fièvre, elle tombée là comme un bon ange, venue tranquillement de son couvent, en camarade qui ne redoutait rien! Elle soignait ainsi les femmes, les enfants, les hommes, au petit bonheur de la rencontre, parfaitement heureuse, pourvu qu'elle se remuât et qu'elle soulageât quelque souffrance, sans que jamais l'idée même de son sexe apparût en elle. Lui, non plus, ne semblait pas s'être douté qu'elle pouvait être une femme, si ce n'était qu'elle avait les mains très douces, la voix caressante, l'approche bienfaisante; et il émanait d'elle, pourtant, toute la tendresse de la mère, toute l'affection de la soeur. Pendant trois semaines, ainsi qu'elle le disait, elle l'avait soigné comme un enfant, le levant et le couchant, lui rendant les soins intimes, sans gêne, sans répugnance, sauvés tous les deux par la pureté sainte de la souffrance et de la charité. Cela se passait au-dessus de la vie. Puis, quand la convalescence était venue, quelle bonne intimité, quels rires de vieux amis! Elle le veillait encore, le grondait, lui donnait des tapes sur les bras, lorsqu'il s'obstinait à les tenir hors de la couverture. Il la regardait faire de petits savonnages dans la cuvette, lui laver une chemise, pour lui éviter les cinq sous du blanchissage. Jamais personne ne montait, ils étaient seuls, à mille lieues du monde, ravis de cette solitude, où s'égayait si fraternellement leur jeunesse.

-Vous souvenez-vous, ma soeur, du matin où j'ai marché pour la première fois? Vous m'avez levé, vous m'avez soutenu, pendant que je trébuchais, maladroit, ne sachant plus me servir de mes jambes... Cela nous faisait rire.

-Oui, oui, vous étiez sauvé, j'étais bien contente.

-Et le jour où vous m'avez apporté des cerises... Je nous vois encore, moi contre mes oreillers, vous assise au bord du lit, avec les cerises entre nous deux, dans un grand papier blanc. Je n'avais pas voulu y toucher, si vous n'en mangiez pas avec moi... Alors, chacun son tour, nous en avons pris une; et le papier s'est vidé, et elles étaient très bonnes.

-Oui, oui, très bonnes... C'était comme pour le sirop de groseilles: vous ne vous décidiez à en prendre, que lorsque j'en prenais moi-même.

Ils riaient plus haut, ces souvenirs les enchantaient. Mais un soupir douloureux de madame Vêtu les ramena à l'heure présente. Il se pencha, jeta un coup d'oeil sur la malade, qui n'avait pas bougé. La salle gardait sa grande paix frissonnante, troublée seulement par la voix claire de madame Désagneaux, en train de compter le linge.

Étouffé d'émotion, il reprit, plus bas:

-Ah! ma soeur, je puis vivre cent ans, je puis connaître toutes les joies, toutes les tendresses, jamais je n'aimerai une autre femme comme je vous aime!

Alors, soeur Hyacinthe, sans confusion pourtant, baissa la tête, se remit à coudre. Une imperceptible rougeur avait teinté de rose son teint de lis.

-Moi aussi, monsieur Ferrand, je vous aime bien... Seulement, il ne faut pas me rendre orgueilleuse. J'ai fait pour vous ce que je fais pour tant d'autres. C'est mon métier, à moi, vous savez. Et, là dedans, il n'y a eu qu'une chose d'agréable, c'est que le bon Dieu vous a guéri.

De nouveau, ils furent interrompus. La Grivotte et Élise Rouquet revenaient de la Grotte, avant les autres. Tout de suite, la Grivotte s'accroupit sur son matelas, par terre, au pied du lit de madame Vêtu; et elle tira de sa poche un morceau de pain, qu'elle se mit à dévorer. Ferrand, depuis la veille, s'était intéressé à cette phtisique, qui traversait une si curieuse période d'agitation, prise d'un appétit exagéré, d'un besoin fébrile de mouvement. Mais, à cette minute, le cas d'Élise Rouquet le frappa davantage encore; car il devenait certain maintenant que le lupus, dont la plaie lui mangeait la face, s'était amendé. Elle continuait les lotions à la fontaine miraculeuse, elle sortait justement du bureau des constatations, où le docteur Bonamy avait triomphé. Surpris, Ferrand s'avança, examina cette plaie, pâlie déjà, un peu séchée, qui était loin d'être guérie, mais où commençait tout un travail sourd de guérison. Et le cas lui parut si curieux, qu'il se promit de prendre quelques notes pour un de ses anciens maîtres de l'École, en train d'étudier l'origine nerveuse de certaines maladies de la peau, que détermine un trouble de la nutrition.