Выбрать главу

Elle descendit un à un les barreaux, en essayant de laisser ses mains bien en vue.

— Qu’est-ce que tu fichais là-haut ? demanda-t-il sans cesser de sourire.

Son pistolet ne ressemblait en rien au gros revolver brésilien d’Oakley. C’était un petit truc compact, aux formes carrées, en métal mat, de la couleur des vieux outils de Skinner, avec une fine bague de métal brillant à l’extrémité du canon dont le trou étroit la regardait comme une pupille.

— J’admirais la vue, répondit-elle.

Elle n’avait pas particulièrement peur. Elle ne ressentait rien de spécial, à part le tremblement continu de ses jambes.

Il leva la tête, sans que l’arme dévie d’un millimètre. Elle espérait qu’il n’allait pas lui demander si elle était toute seule là-haut, parce que la réponse risquait d’être tellement hésitante qu’il se douterait tout de suite que c’était un mensonge.

— Tu sais pourquoi je suis venu, dit-il.

Skinner s’était redressé dans son lit, le dos contre le mur, plus éveillé qu’elle ne l’avait jamais vu. Le Japonais, qui ne paraissait pas blessé du tout, était assis par terre, les jambes écartées en V devant lui.

— Vous voulez soit du fric, soit de la drogue, fit Skinner en plissant les yeux, mais vous n’avez pas de pot. Tout ce que j’ai à vous offrir c’est soixante-cinq dollars et un vieux Humbolt à moitié fumé, si ça vous intéresse.

— La ferme. C’est à elle que je parle.

Lorsque le sourire automatique disparaissait, il semblait ne pas avoir de lèvres. Skinner ouvrait déjà la bouche pour répliquer ou, peut-être, faire une plaisanterie, mais il se ravisa et s’abstint.

— Les lunettes.

Le sourire était de retour. Il leva le pistolet, de sorte qu’elle regardait droit dans le canon. S’il me tue, se disait-elle, il ne les retrouvera jamais.

— Hepburn, fit Skinner avec un sourire un peu dément.

Juste à ce moment-là, Chevette s’aperçut que l’affiche de Roy Orbison avait un trou en plein milieu du front.

— En bas, dit-elle en montrant la trappe dans le plancher.

— Où ?

— Ma bécane.

Elle espérait que Sammy Sal n’allait pas se cogner contre la vieille benne rouillée dans le noir et déclencher un bruit d’enfer.

L’autre leva la tête vers la terrasse, comme s’il avait deviné sa pensée.

— Appuie-toi au mur, là, les mains en avant, ordonna-t-il en se rapprochant d’elle. Écarte les jambes.

Le canon du pistolet vint s’appuyer contre sa nuque tandis que son autre main se glissait sous le blouson de Skinner, à la recherche d’une arme.

— Reste comme ça, dit-il.

Il n’avait pas trouvé le petit couteau de Skinner, celui avec la lame fractale. Elle tourna légèrement et le vit envelopper, d’une seule main, les poignets du Japonais dans un truc rouge et caoutchouteux. Cela lui faisait penser à ces longs bonbons mous qu’on vendait dans de grands pots en plastique. Il tira le Japonais par le truc rouge, en le faisant glisser par terre jusqu’à la tablette où elle avait pris son petit déjeuner. Il fixa une extrémité du lien derrière l’équerre qui tenait la tablette, puis le passa autour de l’autre poignet du Japonais. Sortant de sa poche un second lien identique au premier, il le secoua comme un serpent, s’approcha de Skinner et fit quelque chose avec ses mains.

— Tu ne bouges pas d’ici, toi, fit-il en appuyant le canon de son pistolet contre la tempe du vieillard tandis que ce dernier le regardait fixement sans rien dire.

L’homme retourna alors vers Chevette en disant :

— Je t’attache devant, pour que tu puisses descendre à l’échelle.

C’était froid et visqueux, et cela se rétractait dès que c’était en contact avec la peau. Comme une matière vivante. Des bracelets de plastique rubis qui ressemblaient à des jouets d’enfants. Un truc moléculaire.

— Je te surveille, dit-il après avoir de nouveau jeté un coup d’œil à la trappe du plafond. Descends lentement. Au moindre mouvement brusque, ou si tu cours en arrivant en bas, je tire.

Elle ne doutait pas qu’il le ferait, mais elle se rappelait une chose que lui avait dite Oakley ce jour-là dans les bois. Il n’était pas facile de bien viser quand on tirait presque à la verticale, que ce soit vers le haut ou vers le bas. Peut-être que la meilleure chose à faire, pour elle, était de déprojer dès qu’elle serait en bas. Elle n’avait même pas deux mètres à parcourir pour se mettre hors de portée. Mais quand elle voyait le bout noir du pistolet, elle ne trouvait pas que ce fût une bonne idée.

Elle se mit à genoux devant la trappe. Ce n’était pas facile, avec les poignets attachés de cette manière. Il dut la retenir par le col du blouson de Skinner. Elle réussit à poser un pied sur le troisième échelon et une main sur le premier, puis descendit lentement, en lâchant chaque fois momentanément sa prise pour se raccrocher à l’échelon suivant avant de basculer en arrière.

Elle avait cependant le temps de réfléchir, et elle décida d’essayer ce qu’elle avait en tête. C’était curieux, de réagir de cette manière, mais ce n’était pas la première fois. Elle avait ressenti la même chose, à Beaverton, quand elle avait franchi les barbelés, sans avoir plus préparé son coup que maintenant. Et aussi la nuit où ces camionneurs avaient voulu l’entraîner à l’arrière de leur bahut et où elle avait fait comme si ça lui était égal, au début, avant de balancer une Thermos de café brûlant au premier, de frapper le deuxième sur la tête et de se sauver à toute vitesse. Ils l’avaient cherchée pendant une heure, par la suite, avec des torches électriques, pendant qu’elle se terrait dans la boue au bord du fleuve, dévorée vivante par les moustiques.

Arrivée en bas, elle recula d’un pas, en levant ses poignets liés pour qu’il puisse les voir s’il le voulait. Il descendit rapidement, sans aucun mouvement inutile, sans faire le moindre bruit. Son manteau était d’un noir opaque, qui absorbait totalement la lumière. Elle vit qu’il portait des bottes noires de cowboy. Elle savait qu’on pouvait courir très vite avec ce genre de godasses, s’il le fallait. La plupart des gens ne s’en doutaient pas, mais c’était vrai.

— Où est-ce ? demanda-t-il avec son sourire où brillaient des éclats d’or.

Ses cheveux, coiffés en arrière, étaient entre le blond et le châtain. Il agita le pistolet pour lui rappeler son existence. Elle vit que sa main transpirait à l’intérieur du gant en latex.

— Il faut prendre le…

Elle s’interrompit subitement. La nacelle jaune était là où Sammy Sal et elle l’avaient laissée. Comment avaient-ils fait pour monter ?

— On a pris l’escalier, fit-il, exhibant de nouveaux éclats d’or.

Ils avaient escaladé les barreaux de maintenance en acier à moitié pourri, pour qu’elle n’entende pas la crémaillère. Pas étonnant que le Japonais ait eu l’air si épouvanté en arrivant.

— Alors, lui dit-elle, vous venez ou non ?

Il la suivit jusqu’à la nacelle. Elle gardait les yeux baissés pour ne pas être tentée de chercher Sammy, qui devait se cacher là quelque part. Il n’avait pas pu avoir le temps de descendre. Elle aurait entendu le bruit.

L’autre la tint de nouveau par l’épaule tandis qu’elle passait une jambe puis l’autre dans la nacelle. Il grimpa à l’intérieur après elle, sans la quitter des yeux.

— C’est celui-là, pour descendre, dit-elle en désignant l’un des leviers.

— Fais-le.

Elle abaissa le levier d’un cran, puis d’un deuxième. Le moteur se mit à gronder sous leurs pieds, et ils commencèrent à descendre. Il y avait un halo de lumière, en bas, sous une ampoule protégée par une grille en aluminium corrodé. Elle se demandait quelle serait sa réaction si quelqu’un surgissait brusquement dans la lumière, par exemple Fontaine ou l’une des personnes qui venaient de temps en temps vérifier l’équipement électrique. Il ferait feu sans hésiter, estimait-elle. Il les flinguerait froidement, puis il les traînerait dans un coin sombre. Ça se voyait sur son visage.