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Il sortit le premier et lui tendit la main pour l’aider. Un petit vent était en train de se lever, et elle sentait les vibrations dans ses semelles. Le pont commençait à chanter comme une harpe étouffée. Elle entendit un rire, quelque part au loin.

— Où ? demanda-t-il.

Elle lui montra l’endroit où sa bécane était attachée à celle de Sammy Sal.

— La rose et noir.

Il fit un geste avec son pistolet.

— Arrière ! cria la bécane quand elle fut à un mètre cinquante.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

Elle sentit le canon du pistolet dans son dos.

— C’est l’autre bécane. Une alarme vocale. Ça empêche les gens de s’approcher de la mienne.

Elle se baissa pour toucher la languette qui libérait la bicyclette de Sammy Sal, mais ne désactiva pas la boucle de reconnaissance derrière sa propre selle.

— Je rigole pas, enfoiré ! hurla sa bécane.

— Arrête ça, lui dit l’homme.

— D’accord.

Il fallait qu’elle réussisse le mouvement d’un seul coup, à la volée, rien qu’avec le pouce et l’index sur le caoutchouc non conducteur du pneu.

Ce fut par hasard que le cadre toucha le pistolet. Il y eut un arc électrique de quelques centimètres entre la bicyclette et le canon de l’arme, dans le vermeil, de l’épaisseur d’un doigt, tandis que les condensateurs des freins à particules vidaient leur charge électrique dans le système antivol incorporé à la rouille factice et au ruban argenté soigneusement déchiré sur les bords. Il tomba à genoux, les yeux vitreux, une bulle de bave argentée se formant puis éclatant entre ses lèvres entrouvertes. C’était peut-être une impression, mais elle crut voir de la vapeur s’élever en volute du canon de l’arme.

Déproje, se dit-elle, en pliant les genoux pour se mettre à courir, mais un truc noir s’abattit à ce moment-là sur l’homme et le terrassa. C’était sorti de l’ombre avec un bruit d’ailes brisées. Un rouleau de papier goudronné. Elle aperçut alors Sammy Sal, perché sur une entretoise en carbone noir, le bras autour d’une poutrelle verticale. Elle crut même distinguer le sourire de ses dents blanches.

— Tu as oublié ça, dit-il en lui lançant quelque chose.

Les lunettes dans leur étui. Malgré ses mains liées, elle les attrapa au vol, comme si elles savaient où elles voulaient aller. Elle ne comprendrait jamais pourquoi il avait fait ça.

Parce que le petit pistolet éternua à cet instant, crachant des flammes bleues en une pétarade prolongée. Sammy Sal bascula en arrière sur son entretoise et disparut.

Elle se mit à courir.

19

Superballe

Yamazaki, toujours à genoux par terre, les poignets attachés autour de l’équerre qui soutenait la tablette, entendit les coups de feu, qu’il prit au début pour le bruit d’un outil hydraulique.

Il y avait une drôle d’odeur dans la pièce, âcre et piquante. Il se dit que c’était probablement l’odeur de sa propre peur.

Ses yeux étaient à la hauteur d’une assiette blanche ébréchée, avec sur le bord une trace d’avocat écrasé en train de noircir.

— Je lui ai proposé ce que j’avais, fit Skinner en luttant pour se mettre debout, les bras liés dans le dos. Il n’en a pas voulu. Ils veulent ce qu’ils veulent, on n’y peut rien.

La petite télé glissa du lit et tomba par terre. L’écran s’exorbita au bout d’un câble plat arc-en-ciel.

— Merde !

Il oscilla, grimaçant sous la douleur causée par sa hanche malade, et Yamazaki crut un instant qu’il allait tomber. Mais Skinner fit un pas en avant, puis un deuxième, en se penchant pour conserver son équilibre.

Yamazaki tira sur les liens en plastique et hurla quand ils se resserrèrent comme quelque chose de vivant.

— Plus vous tirerez sur ces foutus machins, plus ça vous fera mal, murmura Skinner derrière lui.

Il y eut un choc sourd qui fit trembler le sol et vaciller la lumière. Regardant par-dessus son épaule, Yamazaki vit Skinner assis par terre, les genoux à demi levés, penché en avant.

— Il y a une cisaille là-dedans, fit le vieillard en lui montrant une boîte à outils verte toute cabossée et à moitié rouillée. Si j’arrive à la sortir, on a une chance.

Yamazaki le regarda tandis qu’il utilisait ses orteils, à travers les chaussettes grises trouées.

— Je ne sais pas si elle pourra servir, quand je l’aurai sortie, ajouta-t-il en regardant soudain Yamazaki d’un drôle d’air. J’ai peut-être une meilleure idée, mais ça ne va pas vous plaire.

— Skinner-san ?

— Regarde bien cette équerre.

Des traces de soudure décolorée maintenaient l’assemblage, mais cela paraissait assez costaud. Il compta neuf têtes de vis dépareillées. La traverse semblait faite de minces lames de métal attachées ensemble, aux deux bouts, par du fil de fer rouillé.

— C’est moi qui l’ai faite, expliqua Skinner. Il y a trois sections de lame provenant d’une vieille scie industrielle. Je n’ai jamais meulé les dents. Là-haut.

Les doigts de Yamazaki se promenèrent sur la partie supérieure invisible de la traverse.

— Elles sont émoussées, Scooter. Elles ne coupent plus rien. C’est pour ça que je les ai utilisées.

— Scier le plastique ?

Déjà, les poignets du Japonais se dressaient.

— Attendez ! Quand vous allez commencer à attaquer cette saloperie, elle va se défendre. Il faut la couper vite fait, ou c’est elle qui vous entaillera jusqu’à l’os. J’ai dit attendez !

Yamazaki se figea. Il regarda derrière lui.

— Vous êtes trop au milieu. Si vous attaquez ici, vous aurez un bracelet qui se refermera autour de chaque poignet, et ça va faire mal. Il faut commencer sur le côté, le plus loin possible, et ensuite arriver jusqu’ici, prendre la cisaille et couper l’autre avant qu’il ne se resserre trop sur vous. D’abord, je vais essayer d’ouvrir ce foutu truc.

Il cogna sur la boîte avec ces pieds. Elle émit un bruit de ferraille.

Yamazaki rapprocha son visage du lien rouge. Il avait une légère odeur de produit pharmaceutique. Il prit une profonde inspiration, serra les dents et fit aller et venir furieusement ses poignets pour scier. Le lien commença aussitôt à se rétracter. La douleur devint un étau brûlant, insoutenable. Il se souvint de la main de Loveless sur son poignet.

— Allez ! L’encouragea Skinner.

Le plastique céda avec un plop sec, ridiculement fort, comme un bruit de dessin animé. Il était libre. Un instant, le bracelet se relâcha autour du poignet gauche, absorbant le reste de la masse.

— Scooter !

Le bracelet se resserra. Yamazaki se jeta sur la boîte à outils, surpris de la trouver ouverte tandis que Skinner la faisait basculer du talon et que la ferraille qu’elle contenait se répandait par terre.

— Les poignées bleues !

La cisaille était longue et difficile à manipuler. Ses poignées étaient entourées d’adhésif bleu graisseux. Le bracelet rouge se rétrécissait toujours, incrusté dans la chair. Il prit la cisaille d’une main, enfonça la lame au jugé dans son poignet, et exerça tout le poids de son corps sur la poignée supérieure. Il ressentit une douleur aiguë tandis qu’une détonation éclatait.

Skinner laissa s’échapper l’air qu’il retenait entre ses lèvres.