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— Pas de robe, pas de valets de pied, pas de chevaux et pas de carrosse, fit Mémé. J’aimerais voir comment elle va se sortir de ce coup-là, l’autre. Des contes ? Hah !

— Alors, on fait quoi maintenant ? demanda Magrat tandis qu’elles sortaient discrètement de la cour.

— C’est midi gras, dit Nounou. C’est l’pied ! Le canard d’acier ! » Gredin sortit tranquillement de l’obscurité et se frotta contre ses jambes.

« Je croyais que Lili voulait empêcher la fête, fit Magrat.

— Autant vouloir empêcher une crue. On va s’en payer une tranche !

— J’trouve pas ça bien, moi, qu’on danse dans les rues, dit Mémé. T’en as bu beaucoup, de ce rhum ?

— Oh, allons, Esmé, fit Nounou. On dit que si on passe pas du bon temps à Genua, c’est qu’on doit être mort. » Elle songea à Saturday. « On peut sans doute s’amuser un peu même quand on est mort, à Genua.

— Mais on ferait pas mieux de rester ici ? demanda Magrat. Juste pour être sûres ? »

Mémé Ciredutemps hésita.

« Qu’est-ce que tu crois, Esmé ? fit Nounou Ogg. Tu crois qu’ils vont l’envoyer au bal dans une citrouille, peut-être ? Avec des souris pour la tirer, c’est ça ? Heheh ! »

L’image des femmes serpents traversa l’esprit de Mémé Ciredutemps. Elle hésita encore. Mais, après tout, la journée avait été longue. Et c’était ridicule, à bien y réfléchir…

« Bon, d’accord, dit-elle. Mais j’veux pas m’en payer une tranche, compris ?

— Y a d’la danse et tout, fit Nounou.

— Et des boissons à la banane, j’imagine, dit Magrat.

— À un contre un million, j’parie », fit Nounou d’un ton joyeux.

Lilith Weatherwax se sourit dans le double miroir.

« Oh, dieux du ciel, fit-elle. Pas de carrosse, pas de robe, pas de chevaux. Que peut faire une pauvre marraine ? Dieux du ciel. Et bon sang, sûrement. »

Elle ouvrit un petit étui de cuir du genre dans lequel un musicien transporterait son meilleur piccolo.

Il contenait une baguette, la jumelle de celle que possédait Magrat. Elle la sortit et la fit tourner deux fois, déplaçant les anneaux d’or et d’argent dans une nouvelle position.

Le cliquetis rappelait le mécanisme désagréable d’un fusil à pompe.

« Et en plus, je n’ai qu’une citrouille », dit Lilith.

Et, bien sûr, la différence entre les êtres pensants et les objets non pensants, c’est que la transformation des premiers n’est pas impossible, même si l’opération reste délicate. Ce n’est qu’une question de modification de canal mental. Alors qu’un objet non pensant tel qu’une citrouille – et difficile d’imaginer moins pensant qu’une citrouille – ne peut être changé par aucune magie en dehors de la sourcellerie.

À moins que ses molécules se souviennent d’un temps où elles n’étaient pas citrouille…

Lilith éclata de rire, et un milliard de Lilith réfléchies rirent avec elle, tout au long de l’univers courbe des miroirs.

On ne fêtait plus midi gras au centre de Genua. Mais dans le bidonville autour des bâtiments blancs les festivités battaient leur plein d’ombres et de lumières de torches. Les feux d’artifice se succédaient. Ce n’étaient que danseurs, cracheurs de feu, plumes et paillettes. Les sorcières, pour qui le divertissement sans chichis se limitait à une danse Morris, regardaient bouche bée passer le défilé depuis le trottoir noir de monde.

« Y a des squelettes qui dansent ! s’écria Nounou alors qu’une vingtaine de silhouettes décharnées descendaient la rue en vrombissant.

— C’est pas des squelettes, rectifia Magrat. C’est des hommes en collant noir avec des os peints dessus. »

Quelqu’un donna un coup de coude à Mémé Ciredutemps. Elle leva les yeux sur la grosse figure souriante d’un Noir. Il lui tendit un cruchon de grès.

« Un ’tit filet, chère. »

Mémé le prit, hésita un instant puis but une lampée. Elle donna à son tour un coup de coude à Magrat et lui passa le cruchon.

« Frgtht ! Gizeer ! dit-elle.

— Quoi ? cria Magrat par-dessus le tintamarre de la fanfare.

— Le gars veut qu’on fasse passer », répondit Mémé.

Magrat regarda le goulot du cruchon. Elle essaya en douce de l’essuyer à sa robe, malgré l’évidence que les germes devaient être consumés depuis longtemps. Elle se risqua à une petite goutte et répercuta le coup de coude à Nounou.

« Kouizathugnaire ! » dit-elle en se tamponnant les yeux.

Nounou leva le cruchon à cul. Au bout d’un moment, Magrat lui donna un autre coup de coude.

« J’crois bien qu’y faut faire passer », hasarda-t-elle.

Nounou s’essuya les lèvres et passa au hasard le cruchon désormais plus léger à une haute silhouette sur sa gauche.

« À vous, monsieur, dit-elle.

— MERCI.

— Chouette costume que vous avez là. Les os sont drôlement bien peints. »

Nounou se désintéressa de l’inconnu pour observer une procession de jongleurs cracheurs de feu. Une connexion dut s’établir quelque part au fond de son cerveau. Elle releva la tête. L’inconnu s’était éloigné.

Elle haussa les épaules.

« On fait quoi, maintenant ? » demanda-t-elle.

Mémé Ciredutemps regardait fixement un groupe de danseurs de limbo à ras de terre. Nombre de danses de la parade avaient un point commun : elles exprimaient explicitement ce que les arbres de mai ne faisaient que suggérer. Avec les paillettes en plus.

« Plus moyen de se sentir à l’abri dans les cabinets, hein ? » fit Nounou Ogg. Gredin, assis d’un air guindé à ses pieds, suivait des yeux certaines femmes uniquement vêtues de plumes et cherchait ce qu’il pourrait en faire.

« Non. Je pensais à autre chose. Je pensais… au fonctionnement des contes. Et maintenant… je crois que j’aimerais bien manger un morceau », dit Mémé d’une petite voix. Elle se ressaisit un peu. « Quelque chose de mangeable, j’veux dire, pas des machins raclés au fond d’un étang. Et j’veux pas non plus d’la cuisine locale.

— Vous devriez être plus audacieuse, Mémé, fit Magrat.

— J’ai rien contre un peu d’audace, répliqua Mémé, mais pas quand je mange…

— Ils vendent des sandwichs à l’alligator, là-bas, dit Nounou en se détournant du défilé. Incroyable, non ? Des alligators dans un sandwich ?

— Ça me rappelle une blague », fit Mémé Ciredutemps. Un détail la chiffonnait intérieurement. « C’est un gars qui entre dans une auberge, poursuivit-elle en s’efforçant d’ignorer son malaise grandissant. Et il voit un panneau. Le panneau dit “sandwichs variés”. Alors il demande : “Donnez-moi un sandwich à l’alligator. Sinon, au crocodile. Parce que l’alligator et le crocodile, c’est… pratiquement pareil !”

— C’est pas gentil pour les alligators, je trouve, des sandwichs comme ça, lâcha Magrat dans un silence de plomb.

— Moi, j’dis toujours qu’un bon coup de rigolade, ça fait du bien », ajouta Nounou.

Lilith sourit à la vue d’Illon debout, l’air triste, entre les femmes serpents.

« Une robe en lambeaux, avec ça, fit-elle. Et la porte de la chambre verrouillée. Tut-tut. Comment la chose a-t-elle pu se produire ? »

Illon se contemplait les pieds.

Lilith sourit aux deux sœurs. « Bon, dit-elle, il va falloir faire de notre mieux avec ce que nous avons. Hmm ? Allez me chercher… Allez me chercher deux rats et deux souris. Je sais que vous arrivez toujours à trouver des rats et des souris. Et ramenez-moi la grosse citrouille. »