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— Si bien que nos deux gredins sont toujours à Ispahan ?

Il mate sa breloque.

— Erreur, mon pote. À l’heure que je te cause, ils survolent le grand désert salé. Leur zinzin doit se poser ici dans une petite demi-heure.

— Très bien, on va les accueillir, décidé-je.

Sa Majesté renfrogne du pif.

— Si ça t’ennuierait pas, vas-y seulâbre, mon mec, murmure-t-il, pour ma part, en ce qui me concerne, j’aimerais bien jouer le Repos du Guerrier à la Bergère avec la petite médème ci-après. Tu sais que les voyages portent aux glandes. J’ai hâte de lui stimuler les anticorps. Seule, avec la chaleur, elle doit vachement carboniser de la cressonnière, Caroline, je pressens. Aussi je te vas lui déballer ma féerie iranienne. Pas vrai, ma Caca ? lance-t-il au tombereau de plâtre. Puisqu’on est à Ispahan, tu y auras droit à la pluie de roses, grande carne ! Je te le ferai fumer ton big dargiflard, ma colombe ! Que tu m’as chauffé à blanc, radasse, à tortiller ton piège à zifolette sous prétesque de remiser tes harnais, dis, violeuse !

Ses yeux s’exorbitent tant et plus. De la mousse s’accumule aux commissures de ses lèvres. Sa voix devient rauque. Une vaste couperose l’empourpre comme le soleil couchant embrase l’horizon. Il a les doigts qui griffent l’air, Béru. À vide. Avides ! Son gaz carbonique lui dilate les naseaux. Un vrai taureau, mes chéries ! Une bête, en somme. De somme ! Il va la cosaquer à outrance, la grande Angliche, mon gros père. Lui ébranler le châssis. La tuméfier toute. La couvrir d’horions.

D’ailleurs il le dit pour se calmer l’impatience. Il lui promet le coït comme un censeur promet des sanctions. Il cause entre ses dents, Alexandre-Benito. Crachant ses mots comme des pépins de raisin. Les saucissonnant en gutturales syllabes. Sa tendresse est parente de l’invective. Amour égale fureur, pour lui. Chez les grands mâles c’est toujours du kif : le désir s’étend sur un lit de rage.

— Me regarde pas commak, grosse bourrique, que je te vais faire canner de bonheur, chaussette ! Te déboulonner le nombril, ma fleurette ! T’estrapoler le fignedé. Et puis marre-toi pas, autrement sinon je t’aborde avec une infusion de ceinture, hé, ensorceleuse ! Qu’ensuite ton abominable merveilleux gros c… sera plus zébré qu’un zèbre. Plus tanné qu’une escalope, sale vache ! Visez-moi ces z’hanches, bordel de Dieu ! Et, dites-moi si ya pas de quoi perdre la boule, de quoi sauter sur cette mijaurée pour lui escalader les promontoires, la déloquer avec les dents ! S’y précipiter tête-bêche. Y creuser des nouveaux orifices. Y opérer sa jonction ! Ah, la bougresse anglaise ! Tu vas voir ce que j’en fiche de ta Grande Albion, vicelarde ! Ah ! tu te vantes d’être du patelin de William j’expire, hein ma grosse ? Eh ben moi ! les gonzesses de Frottefort-sur-Savon, tiens, smoke ! C’est du Belgium ! À la casserole, Ninette ! Au rince-bouteilles ! Vlan ! Floc ! À la balayette de gogues, tu comprends, ma brebis malade ? De gogues ! Je les ramone jusqu’à la gorge. Les décape. Je leur dégoupille la culasse, leur polarise la tartine, leur arrache la crinière, les fourre, les farcis, les dévide. Je les entremêle, les déglutine, les mâchouille, les brochette, les engirouette. Ah, misère de mes jumelles, barre-toi, San-A. Et referme la lourde en partant, que ce qui va suivre risquerait de choquer les âmes sensibles !

VII

— La voiture que vous avez demandée, Excellence ! m’avertit l’aimable réceptionnaire.

Je rêvassais en caressant la main moite de Vahi. Pas rancuneuse, mon inassouvie. Je lui ai fait remballer ses charmes en cinq sec, prétextant une affaire urgente, et elle a obtempéré sans rechigner, alors que dans la chambre voisine se déclenchait une bacchanale béruréenne du feu de Dieu occulte.

— Tu as le temps de venir avec moi jusqu’à l’aéroport, ma petite biche ? lui demandé-je tout de go.

Elle hoche la tête.

— Oui, je peux.

La chaleur, hors du Châh Abbâs hôtel, est démentielle. J’ai l’impression que les trottoirs se fendillent. Un bel athlète en uniforme persan me flanque un sourire à la Omar Sharif sous son bonnet d’astrakan.

Par ici, Excellence !

Son bras galonné me désigne une Hillman blanche stationnée à l’ombre illusoire d’un platane pas plus gros qu’un plumeau. Un gentil vieillard courageusement vêtu d’un complet croisé s’active sur le capot éblouissant afin d’en chasser un point noir. Il souffle dessus et frotte a l’aide de son mouchoir d’un air extrêmement ennuyé.

En m’apercevant, il rengaine sa pochette de soie et se précipite.

— Mostaclaouhi, monsieur, se présente-t-il. Je suis ravi d’avoir à piloter un Français. J’adore la langue française. J’adore la France. Et la main que vous voyez là…

— À touché le général de Gaulle ? coupé-je.

Il laisse retomber son sémaphore.

— Vous le saviez, monsieur ?

— Ça se voit encore, dis-je. Ce n’est plus n’importe quelle main.

Il regarde ses cinq doigts d’un œil indécis, comme s’il y cherchait des stigmates. Puis, changeant de sujet, il ouvre la portière de son auto.

— Il m’est agréable d’étrenner cette voiture neuve avec un homme tel que vous, monsieur. Parisien ?

— Jusque dans la doublure de mon veston, opiné-je. Vous voulez bien me conduire à l’aéroport ?

— Certes, acquiesce l’aimable vieillard. Mais je pourrais auparavant faire un détour pour vous montrer le tombeau de notre grand poète Saâdi ? C’est un lieu de recueillement, qui…

— Plus tard, laissé-je tomber assez sèchement.

Il a une courbette. Il fonctionne par saccades, le père Mostaclaouhi. On le dirait à ressort. Son crâne déplumé est tout blanc malgré l’intensité du mahomed, preuve qu’il porte un chapeau en permanence. Une couronne de cheveux blanc et mousseux, à la Einstein, frissonne quand il se déplace comme le jeune blé dans la brise. Il possède un gros pif parcouru de fines rides et agrémenté de points noirs qui ressemble à une fraise gâtée. Ses yeux bleus sont bourrés de candeur. Ayant reclaqué délicatement les portières sur nous, il s’installe au volant et met sa tuture en marche avec des gestes de gastronome à table.

— Comment trouvez-vous cette automobile, monsieur ? Formidable, n’est-ce pas ? Quel confort ! Quelle souplesse ! Un moelleux ! Une finition ! Toute ma vie j’ai rêvé de posséder une voiture pareille !

« Je l’ai touchée hier. Trente années d’économies ! Mais quelle classe ! L’habitabilité est parfaite, la visibilité totale ! Freins à disques à l’arrière, monsieur ! À disques ! »

Je constate, en le matant par le rétro, qu’il a les larmes aux yeux. Il prend son panard avec sa caisse à roulettes, Mostaclaouhi. Une nature ! Il fait l’amour avec une bagnole.

— Je ne me suis jamais marié, reprend le bavard. Il fallait choisir : une épouse ou une auto. La vie est dure par ici. Moins depuis que notre cher Châh a redressé l’économie et permis à l’ouvrier spécialisé de gagner l’équivalent de deux cents francs par mois, mais l’automobile reste un luxe, une extravagance. Je me la suis permise, cette folie. À force de privations, d’ascétisme ! Monsieur, je hais l’Angleterre, mais j’aime ses voitures. Écoutez le moteur, monsieur, écoutez-le bien : on ne l’entend pas ! Et cette maniabilité, dites !

Il donne un coup de volant pour croiser sur sa droite un camion qui survenait en sens inverse.

Du velours ! affirme-t-il. Seul ennui, un point noir à l’avant du capot. Crotte de mouche ? Éclaboussure de goudron ? Mystère ! Mais j’en aurai le cœur net. Demain je la reporterai à l’usine. J’ai trop attendu cet instant pour laisser ternir ma joie par un point noir.