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— Alain Vernoux n’a pas beaucoup expliqué sa présence en ville, ce soir, sous une pluie battante.

— Il a dit qu’il allait voir un ami de l’autre côté du Champ-de-Mars.

— Il n’a pas cité de nom.

— Parce que c’est inutile. Je sais qu’il rend souvent visite à un certain Georges Vassal, qui est célibataire et qu’il a connu au collège. Même sans cette précision, je n’aurais pas été surpris.

— Pourquoi ?

— Parce que l’affaire le passionne encore plus que moi, pour des raisons plus personnelles. Je ne prétends pas qu’il soupçonne son père, mais je n’en suis pas éloigné. Il y a quelques semaines il m’a parlé de lui et des tares familiales…

— Comme ça, tout de go ?

— Non. Il revenait de La Roche-sur-Yon et me citait un cas qu’il avait étudié. Il s’agissait d’un homme ayant passé la soixantaine qui, jusque-là, s’était comporté normalement, et qui, le jour où il a dû verser la dot qu’il avait toujours promise à sa fille, a été pris de démence. On ne s’en est pas aperçu tout de suite.

— Autrement dit, Alain Vernoux aurait erré la nuit dans Fontenay à la recherche de l’assassin ?

Le juge d’instruction eut une nouvelle révolte.

— Je suppose qu’il est plus qualifié pour reconnaître un dément dans la rue que nos braves agents qui sillonnent la ville, ou que toi et moi ?

Maigret ne répondit pas.

Il était passé minuit.

— Tu es sûr que tu ne veux pas coucher ici ?

— Mes bagages sont à l’hôtel.

— Je te vois demain matin ?

— Bien sûr.

— Je serai au Palais de Justice. Tu sais où c’est ?

— Rue Rabelais, non ?

— Un peu plus haut que chez Vernoux. Tu verras d’abord les grilles de la prison, puis un bâtiment qui ne paie pas de mine. Mon bureau est au fond du couloir, près de celui du procureur.

— Bonne nuit, vieux.

— Je t’ai mal reçu.

— Mais non, voyons !

— Tu dois comprendre mon état d’esprit. C’est le genre d’affaire pour me mettre la ville à dos.

— Parbleu !

— Tu te moques de moi ?

— Je te jure que non.

C’était vrai. Maigret était plutôt triste, comme chaque fois qu’on voit un peu du passé s’en aller. Dans le corridor, en endossant son pardessus détrempé, il renifla l’odeur de la maison, qui lui avait toujours paru si savoureuse et lui sembla fade.

Chabot avait perdu presque tous ses cheveux, ce qui découvrait un crâne pointu comme celui de certains oiseaux.

— Je te reconduis…

Il n’avait pas envie de le faire. Il disait ça par politesse.

— Jamais de la vie !

Maigret ajouta une plaisanterie qui n’était pas bien fine, pour dire quelque chose, pour finir sur une note gaie : — Je sais nager !

Après quoi, relevant les revers de son manteau, il fonça dans la bourrasque. Julien Chabot resta un certain temps sur le seuil, dans le rectangle de lumière jaunâtre, puis la porte se referma et Maigret eut l’impression que, dans les rues de la ville, il n’y avait plus que lui.

3

L’instituteur qui ne dormait pas

Le spectacle des rues était plus déprimant dans la lumière du matin que la nuit, car la pluie avait tout sali, laissant des tramées sombres sur les façades dont les couleurs étaient devenues laides. De grosses gouttes tombaient encore des corniches et des fils électriques, parfois du ciel qui s’égouttait, toujours dramatique, avec l’air de reprendre des forces pour de nouvelles convulsions.

Maigret, levé tard, n’avait pas eu le courage de descendre pour son petit-déjeuner. Maussade, sans appétit, il avait seulement envie de deux ou trois tasses de café noir. Malgré la fine de Chabot, il croyait encore retrouver dans sa bouche l’arrière-goût du vin blanc trop doux ingurgité à Bordeaux.

Il pressa une petite poire pendue à la tête de son lit. La femme de chambre en noir et en tablier blanc qui répondit à son appel le regarda si curieusement qu’il s’assura que sa tenue était correcte.

— Vous ne voulez vraiment pas des croissants chauds ? Un homme comme vous a besoin de manger le matin.

— Seulement du café, mon petit. Un énorme pot de café.

Elle aperçut le complet que le commissaire avait mis à sécher la veille sur le radiateur et s’en saisit.

— Qu’est-ce que vous faites ?

— Je vais lui donner un coup de fer.

— Non, merci, c’est inutile.

Elle l’emporta tout de même !

À son physique, il aurait juré que, d’habitude, elle était plutôt revêche.

Deux fois pendant sa toilette elle vint le déranger, une fois pour s’assurer qu’il avait du savon, une autre pour apporter un second pot de café qu’il n’avait pas réclamé. Puis elle lui rapporta le complet, sec et repassé. Elle était maigre, la poitrine plate, avec l’air de manquer de santé, mais devait être dure comme du fer.

Il pensa qu’elle avait lu son nom sur la fiche, en bas, et que c’était une passionnée de faits divers.

Il était neuf heures et demie du matin. Il traîna, par protestation contre il ne savait quoi, contre ce qu’il considérait vaguement comme une conspiration du sort.

Quand il descendit l’escalier au tapis rouge, un homme de peine qui montait le salua d’un respectueux : — Bonjour, Monsieur Maigret.

Il comprit en arrivant dans le hall, où l’Ouest-Éclair était étalé sur un guéridon, avec sa photographie en première page.

C’était la photo prise au moment où il se penchait sur le corps de Gobillard. Un double titre annonçait sur trois colonnes :

« Le Commissaire Maigret s’occupe des Crimes de Fontenay. »

« Un marchand de peaux de lapins est la troisième victime. »

 

Avant qu’il ait eu le temps de parcourir l’article, le directeur de l’hôtel s’approcha de lui avec autant d’empressement que la femme de chambre.

— J’espère que vous avez bien dormi et que le 17 ne vous a pas trop dérangé ?

— Qu’est-ce que le 17 ?

— Un voyageur de commerce qui a trop bu hier soir et qui a été bruyant. Nous avons fini par le changer de chambre afin qu’il ne vous éveille pas.