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À la façon dont il disait cela, il avait l’air de s’excuser d’être de ceux qui lisent les journaux.

— Cela doit vous arriver souvent.

— Quoi ?

— Que les gens vous reconnaissent.

Maigret ne savait que répondre. Il n’avait pas encore les deux pieds bien d’aplomb dans la réalité. Quant à l’homme, des gouttelettes de sueur se voyaient sur son front, comme s’il s’était mis dans une situation dont il ne savait comment se tirer à son avantage.

— C’est mon ami Julien qui vous a téléphoné ?

— Vous parlez de Julien Chabot ?

— Le juge d’instruction. Ce qui m’étonne, c’est qu’il ne m’en ait rien dit quand je l’ai rencontré ce matin.

— Je ne comprends toujours pas.

Vernoux de Courçon le regarda plus attentivement, sourcils froncés.

— Vous prétendez que c’est par hasard que vous venez à Fontenay-le-Comte ?

— Oui.

— Vous n’allez pas chez Julien Chabot ?

— Si, mais…

Tout à coup Maigret rougit, furieux contre lui-même, car il venait de répondre docilement, comme il le faisait jadis avec les gens du genre de son interlocuteur, « les gens du château ».

— Curieux, n’est-ce pas ? ironisait l’autre.

— Qu’est-ce qui est curieux ?

— Que le commissaire Maigret, qui n’a sans doute jamais mis les pieds à Fontenay…

— On vous a dit cela ?

— Je le suppose. En tout cas, on ne vous y a pas vu souvent et je n’ai jamais entendu qu’il en fût fait mention. C’est curieux, dis-je, que vous y arriviez juste au moment où les autorités sont émues par le mystère le plus abracadabrant qui…

Maigret frotta une allumette, tira à petites bouffées sur sa pipe.

— J’ai fait une partie de mes études avec Julien Chabot, énonça-t-il calmement. Plusieurs fois, jadis, j’ai été l’hôte de sa maison de la rue Clemenceau.

— Vraiment ?

Froidement, il répéta :

— Vraiment.

— Dans ce cas, nous nous verrons sans doute demain soir, chez moi, rue Rabelais, où Chabot vient chaque samedi faire le bridge.

On s’arrêtait une dernière fois avant Fontenay. Vernoux de Courçon n’avait pas de bagages, seulement une serviette de cuir marron posée à côté de lui sur la banquette.

— Je suis curieux de voir si vous percerez le mystère. Hasard ou non, c’est une chance pour Chabot que vous soyez ici.

— Sa mère vit toujours ?

— Aussi solide que jamais.

L’homme se levait pour boutonner son imperméable, tirer sur ses gants, ajuster son chapeau. Le train ralentissait, des lumières plus nombreuses défilaient et des gens se mettaient à courir sur le quai.

— Enchanté d’avoir fait votre connaissance. Dites à Chabot que j’espère vous voir avec lui demain soir.

Maigret se contenta de répondre d’un signe de tête et ouvrit la portière, se saisit de sa valise, qui était lourde, et se dirigea vers la sortie sans regarder les gens au passage.

Chabot ne pouvait pas l’attendre à ce train-là, qu’il n’avait pris que par hasard. Du seuil de la gare, Maigret vit l’enfilade de la rue de la République où il pleuvait de plus belle.

— Taxi, monsieur ?

Il fit signe que oui.

— Hôtel de France ?

Il dit encore oui, se tassa dans son coin, maussade. Il n’était que neuf heures du soir, mais il n’y avait plus aucune animation dans la ville où seuls deux ou trois cafés restaient encore éclairés. La porte de l’Hôtel de France était flanquée de deux palmiers dans des tonneaux peints en vert.

— Vous avez une chambre ?

— À un seul lit ?

— Oui. Si c’était possible, je désirerais manger un morceau.

L’hôtel était déjà en veilleuse, comme une église après les vêpres. On dut aller s’informer à la cuisine, allumer deux ou trois lampes dans la salle à manger.

Pour ne pas monter dans sa chambre, il se lava les mains à une fontaine de porcelaine.

— Du vin blanc ?

Il était écœuré de tout le vin blanc qu’il avait dû boire à Bordeaux.

— Vous n’avez pas de bière ?

— Seulement en bouteille.

— Dans ce cas, donnez-moi du gros rouge.

On lui avait réchauffé de la soupe et on lui découpait du jambon. De sa place, il vit quelqu’un qui pénétrait, détrempé, dans le hall de l’hôtel et qui, ne trouvant personne à qui parler, jetait un coup d’œil dans la salle à manger, paraissait rassuré en apercevant le commissaire. C’était un garçon roux, d’une quarantaine d’années, avec de grosses joues colorées et des appareils photographiques en bandoulière sur son imperméable beige.

Il secoua son chapeau pour en faire tomber la pluie, s’avança.

— Vous permettez, avant tout, que je prenne une photo ? Je suis le correspondant de l’Ouest-Éclair pour la région. Je vous ai aperçu à la gare mais je n’ai pu vous rejoindre à temps. Ainsi, ils vous ont fait venir pour éclaircir l’affaire Courçon.

Un éclair. Un déclic.

— Le commissaire Féron ne nous avait pas parlé de vous. Le juge d’instruction non plus.

— Je ne suis pas ici pour l’affaire Courçon.

Le garçon roux sourit, du sourire de quelqu’un qui est du métier et à qui on ne la fait pas.

— Évidemment !

— Quoi, évidemment ?

— Vous n’êtes pas ici officiellement. Je comprends. N’empêche que…

— Que rien du tout !

— La preuve, c’est que Féron m’a répondu qu’il accourait.

— Qui est Féron ?

— Le commissaire de police de Fontenay. Quand je vous ai aperçu, à la gare, je me suis précipité dans la cabine téléphonique et je l’ai appelé. Il m’a dit qu’il me rejoignait ici.

— Ici ?

— Bien sûr. Où seriez-vous descendu ?

Maigret vida son verre, s’essuya la bouche, grommela :

— Qui est ce Vernoux de Courçon avec qui j’ai voyagé depuis Niort ?

— Il était dans le train, en effet. C’est le beau-frère.

— Le beau-frère de qui ?

— Du Courçon qui a été assassiné.

Un petit personnage brun de poil pénétrait à son tour dans l’hôtel, repérait aussitôt les deux hommes dans la salle à manger.

— Salut, Féron ! lança le journaliste.

— Bonsoir, toi. Excusez-moi, monsieur le commissaire. Personne ne m’a annoncé votre arrivée, ce qui vous explique que je n’étais pas à la gare. Je mangeais un morceau, après une journée harassante, quand…