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— Oui.

— Quel âge avez-vous ?

— Trente-six ans.

— À quel âge avez-vous terminé vos études ?

— J’ai quitté la Faculté de Médecine à vingt-cinq ans et j’ai fait ensuite un internat de deux ans à Sainte-Anne.

— Vous n’avez jamais été tenté de vivre par vous-même ?

Il parut soudain découragé.

— Vous ne répondez pas ?

— Je n’ai rien à répondre. Vous ne comprendriez pas.

— Manque de courage ?

— Je savais que vous appelleriez cela comme ça.

— Vous n’êtes pourtant pas revenu à Fontenay-le-Comte pour protéger votre père ?

— Voyez-vous, c’est à la fois plus simple et plus compliqué. Je suis revenu un jour pour passer quelques semaines de vacances.

— Et vous êtes resté ?

— Oui.

— Par veulerie ?

— Si vous voulez. Encore que ce ne soit pas exact.

— Vous aviez l’impression que vous ne pouviez pas faire autre chose ?

Alain laissa tomber le sujet.

— Comment est Louise ?

— Comme toujours, je suppose.

— Elle n’est pas inquiète ?

— Il y a longtemps que vous ne l’avez vue ?

— Deux jours. Je me rendais chez elle hier au soir. Après, je n’ai pas osé. Aujourd’hui non plus. Ce soir, c’est pis, avec les hommes qui patrouillent les rues. Comprenez-vous pourquoi, dès le premier meurtre, c’est à nous que la rumeur publique s’en est prise ?

— C’est un phénomène que j’ai souvent constaté.

— Pourquoi nous choisir ?

— Qui croyez-vous qu’ils soupçonnent ? Votre père ou vous ?

— Cela leur est égal, pourvu que ce soit quelqu’un de la famille. Ma mère ou ma tante feraient aussi bien leur affaire.

Ils durent se taire car des pas approchaient. C’étaient deux hommes à brassard, à gourdins, qui les dévisagèrent en passant. L’un d’eux braqua sur eux le faisceau d’une torche électrique et, en s’éloignant, dit tout haut à son compagnon :

— C’est Maigret.

— L’autre est le fils Vernoux.

— Je l’ai reconnu.

Le commissaire conseilla à son compagnon :

— Vous feriez mieux de rentrer chez vous.

— Oui.

— Et de ne pas discuter avec eux.

— Je vous remercie.

— De quoi ?

— De rien.

Il ne tendit pas la main. Le chapeau de travers, il s’éloigna, penché en avant, dans la direction du pont, et la patrouille qui s’était arrêtée le regarda passer en silence.

Maigret haussa les épaules, pénétra dans l’hôtel et attendit qu’on lui remit sa clef. Il y avait deux autres lettres pour lui, sans doute anonymes, mais le papier n’était plus le même, ni l’écriture.

6

La messe de dix heures et demie

Quand il sut que c’était dimanche, il se mit à traîner. Déjà avant ça, il avait joué à un jeu secret de sa toute petite enfance. Il lui arrivait encore d’y jouer couché à côté de sa femme, ayant soin de n’en rien laisser deviner. Et elle s’y trompait, disait en lui apportant sa tasse de café : — Qu’est-ce que tu rêvais ?

— Pourquoi ?

— Tu souriais aux anges.

Ce matin-là, à Fontenay, avant d’ouvrir les yeux, il sentit un rayon de soleil qui lui traversait les paupières. Il ne faisait pas que le sentir. Il avait l’impression de le voir à travers la fine peau qui picotait et, sans doute à cause du sang qui circulait dans celle-ci, c’était un soleil plus rouge que celui du ciel, triomphant, comme sur les images.

Il pouvait créer tout un monde avec ce soleil-là, des gerbes d’étincelles, des volcans, des cascades d’or en fusion. Il suffisait de remuer légèrement les paupières, à la façon d’un kaléidoscope, en se servant des cils comme d’une grille.

Il entendit les pigeons qui roucoulaient sur une corniche au-dessus de sa fenêtre, puis des cloches sonnèrent en deux endroits à la fois, et il devinait les clochers pointant dans le ciel qui devait être d’un bleu uni.

Il continuait le jeu tout en écoutant les bruits de la rue et c’est alors, à l’écho que laissaient les pas, à une certaine qualité de silence, qu’il reconnut qu’on était dimanche.

Il hésita longtemps avant de tendre le bras pour saisir sa montre sur la table de nuit. Elle marquait neuf heures et demie. À Paris, boulevard Richard-Lenoir, si le printemps était enfin venu aussi, Mme Maigret devait avoir ouvert les fenêtres et faisait la chambre, en peignoir et en pantoufles, pendant qu’un ragoût mijotait sur le feu.

Il se promit de lui téléphoner. Comme il n’y avait pas le téléphone dans les chambres, il fallait attendre qu’il descende pour l’appeler de la cabine.

Il pressa la poire électrique. La femme de chambre lui parut plus propre, plus gaie que la veille.

— Qu’est-ce que vous allez manger ?

— Rien. Je voudrais beaucoup de café.

Elle avait la même façon curieuse de le regarder.

— Je vous fais couler un bain ?

— Seulement quand j’aurai bu mon café.

Il alluma une pipe, alla ouvrir la fenêtre. L’air était encore frais, il dut passer sa robe de chambre, mais on sentait déjà de petites vagues tièdes. Les façades, les pavés avaient séché. La rue était déserte, avec parfois une famille endimanchée qui passait, une femme de la campagne qui tenait un bouquet de lilas violets à la main.

La vie de l’hôtel devait se dérouler au ralenti car il attendit longtemps son café. Il avait laissé les deux lettres reçues la veille au soir sur la table de nuit. L’une des deux était signée. L’écriture était aussi nette que sur une gravure, d’une encre noire comme de l’encre de Chine.

 

« Vous a-t-on dit que la veuve Gibon est la sage-femme qui a accouché Mme Vernoux de son fils Alain ?

C’est peut-être utile à savoir.

Salutations.

Anselme Remouchamps. »

 

La seconde lettre, anonyme, était écrite sur du papier d’excellente qualité dont on avait coupé la partie supérieure, sans doute pour supprimer l’en-tête. Elle était écrite au crayon.

 

« Pourquoi n’interroge-t-on pas les domestiques ? Ils en savent plus que n’importe qui. »

 

Quand il avait lu ces deux lignes-là, la veille au soir, avant de se coucher, Maigret avait eu l’intuition qu’elles avaient été écrites par le maître d’hôtel qui l’avait accueilli sans un mot rue Rabelais et qui, au départ, lui avait passé son pardessus. L’homme, brun de poil, la chair drue, avait entre quarante et cinquante ans. Il donnait l’impression d’un fils de métayer qui n’a pas voulu cultiver la terre et qui entretient autant de haine pour les gens riches qu’il voue de mépris aux paysans dont il est sorti.