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On sentait qu’il s’était attaqué allègrement à cette fille du peuple qui n’avait aucun moyen de défense. Or, il devait sortir lui-même du bas peuple. C’était à une de ses pareilles qu’il s’en était pris.

Presque tous les mots qu’il prononçait maintenant, d’une voix qui gagnait en assurance, faisaient mal à entendre.

— Étant donné qu’il y a plus de huit mois qu’elle ne travaille plus, elle est légalement sans ressource, c’est la première chose que je lui ai fait remarquer. Et, comme elle reçoit régulièrement un homme, cela la classe dans la catégorie des prostituées. Elle a compris. Elle a eu peur. Elle s’est débattue longtemps. Je ne sais comment vous vous êtes arrangé, mais elle a fini par m’avouer qu’elle vous avait tout dit.

— Tout quoi ?

— Ses relations avec Alain Vernoux, le comportement de celui-ci, qui piquait des crises de rage aveugle et la rouait de coups.

— Elle a passé la nuit au violon ?

— Je l’ai relâchée ce matin. Cela lui a fait du bien.

— Elle a signé sa déposition ?

— Je ne l’aurais pas laissée partir sans ça.

Chabot adressa à son ami un regard de reproche.

— Je n’étais au courant de rien, murmura-t-il.

Il avait dû déjà le leur dire. Maigret ne lui avait pas parlé de sa visite dans le quartier des casernes et, maintenant, le juge devait considérer ce silence, qui le mettait lui-même dans un mauvais pas, comme une trahison.

Maigret restait calme en apparence. Son regard errait, rêveur, sur le petit commissaire mal bâti qui avait l’air d’attendre des félicitations.

— Je suppose que vous avez tiré des conclusions de cette histoire ?

— Elle nous montre en tout cas le docteur Vernoux sous un jour nouveau. Ce matin, de bonne heure, j’ai interrogé les voisines qui m’ont confirmé qu’à presque chacune de ses visites des scènes violentes éclataient dans le logement, à tel point que, plusieurs fois, elles ont failli appeler la police.

— Pourquoi ne font-elles pas fait ?

— Sans doute parce qu’elles ont pensé que cela ne les regardait pas.

Non ! Si les voisines n’avaient pas donné l’alarme, c’était parce que cela les vengeait que la fille Sabati, qui n’avait rien à faire de ses journées, fût battue. Et, probablement, plus Alain frappait, plus elles étaient satisfaites.

Elles auraient pu être les sœurs du petit commissaire Féron.

— Qu’est-elle devenue ?

— Je lui ai ordonné de rentrer chez elle et de se tenir à la disposition du juge d’instruction.

Celui-ci toussa à son tour.

— Il est certain que les deux découvertes de ce matin mettent Alain Vernoux dans une situation difficile.

— Qu’a-t-il fait, hier soir, en me quittant ?

Ce fut Féron qui répondit :

— Il est retourné chez lui. Je suis en contact avec le comité de vigilance. Ne pouvant empêcher ce comité de se former, j’ai préféré m’assurer sa collaboration. Vernoux est rentré chez lui tout de suite.

— A-t-il l’habitude d’assister à la messe de dix heures et demie ?

Chabot, cette fois, répondit.

— Il ne va pas à la messe du tout. C’est le seul de la famille.

— Il est sorti ce matin ?

Féron eut un geste vague.

— Je ne le pense pas. À neuf heures et demie, on ne m’avait encore rien signalé.

Le procureur prit enfin la parole, en homme qui commence à en avoir assez.

— Tout ceci ne nous mène à rien. Ce qu’il s’agit de savoir, c’est si nous possédons assez de charges contre Alain Vernoux pour le mettre en état d’arrestation.

Il regarda fixement le juge.

— C’est vous que cela regarde, Chabot. C’est votre responsabilité.

Chabot, à son tour, regardait Maigret, dont le visage restait grave et neutre.

Alors, au lieu d’une réponse, le juge d’instruction prononça un discours.

— La situation est celle-ci. Pour une raison ou pour une autre, l’opinion publique a désigné Alain Vernoux dès le premier assassinat, celui de son oncle Robert de Courçon. Sur quoi les gens se sont-ils basés, je me le demande encore. Alain Vernoux n’est pas populaire. Sa famille est plus ou moins détestée. J’ai bien reçu vingt lettres anonymes me désignant la maison de la rue Rabelais et m’accusant de ménager des gens riches avec qui j’entretiens des relations mondaines.

» Les deux autres crimes n’ont pas atténué ces soupçons, au contraire. Depuis longtemps, Alain Vernoux passe aux yeux de certains pour « un homme pas comme les autres ».

Féron l’interrompit :

— La déposition de la fille Sabati…

— … Est accablante pour lui, tout comme, à présent que l’arme a été retrouvée, la déposition Chalus. Trois crimes en une semaine, c’est beaucoup. Il est naturel que la population s’inquiète et cherche à se protéger. Jusqu’ici, j’ai hésité à agir, jugeant les indices insuffisants. C’est une grosse responsabilité, en effet, comme vient de le remarquer le procureur. Une fois en état d’arrestation, un homme du caractère de Vernoux, même coupable, se taira.

Il surprit un sourire, qui n’était pas sans ironie ni amertume, sur les lèvres de Maigret, rougit, perdit le fil de ses idées.

— Il s’agit de savoir s’il vaut mieux l’arrêter maintenant ou attendre que…

Maigret ne put s’empêcher de grommeler entre ses dents :

— On a bien arrêté la fille Sabati et on l’a gardée toute la nuit !

Chabot l’entendit, ouvrit la bouche pour répondre, pour répliquer, sans doute, que ce n’était pas la même chose, mais au dernier moment se ravisa.

— Ce matin, à cause du soleil du dimanche, de la messe, nous assistons à une sorte de trêve. Mais, à cette heure déjà, autour de l’apéritif, dans les cafés, on doit recommencer à parler. Des gens, en se promenant, vont passer exprès devant l’hôtel des Vernoux. On sait que j’y ai joué au bridge hier au soir et que le commissaire m’accompagnait. Il est difficile de faire comprendre…

— Vous l’arrêtez ? questionna le procureur en se levant, jugeant que les tergiversations avaient assez duré.

— J’ai peur, vers la soirée, d’un incident qui pourrait avoir des conséquences graves. Il suffit d’un rien, d’un gamin lançant une pierre dans les vitres, d’un ivrogne se mettant à crier des invectives devant la maison. Dans l’état d’esprit de la population…

— Vous l’arrêtez ?

Le procureur cherchait son chapeau, ne le trouvait pas. Le petit commissaire, servile, lui disait : — Vous l’avez laissé dans votre bureau. Je vais vous le chercher.

Et Chabot, tourné vers Maigret, murmurait :