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— Il n’est donc pas loin.

— Tu crois ?

— Cela m’étonnerait qu’on ne le retrouve pas chez sa maîtresse. D’habitude, il ne se glisse chez elle que le soir, à la faveur de l’obscurité. Mais il y a trois jours qu’il ne l’a pas vue.

Maigret n’ajouta pas qu’Alain savait qu’il était allé la voir.

— Qu’est-ce que tu as ? questionna le juge d’instruction.

— Rien. J’ai peur, c’est tout. Tu ferais mieux de les envoyer là-bas.

Chabot téléphona. Après quoi, tous les deux restèrent assis face à face, en silence, dans le bureau où le printemps n’était pas encore entré et où l’abat-jour vert de la lampe leur donnait un air malade.

7

Le trésor de Louise

Maigret, pendant qu’ils attendaient, eut soudain l’impression gênante de regarder son ami à la loupe. Chabot lui paraissait encore plus vieilli, plus éteint que quand il était arrivé l’avant-veille. Il y avait juste assez de vie en lui, d’énergie, de personnalité pour mener l’existence qu’il menait et quand, brusquement, comme c’était le cas, on réclamait de lui un effort supplémentaire, il s’effondrait, honteux de son inertie.

Or, ce n’était pas une question d’âge, le commissaire l’aurait juré. Il avait toujours dû être ainsi. C’était Maigret qui s’était trompé, jadis, à l’époque où ils étaient étudiants et où il avait envié son ami. Chabot, alors, était pour lui le type de l’adolescent heureux. À Fontenay, une mère aux petits soins pour lui, l’accueillait dans une maison confortable où les choses avaient un aspect solide et définitif. Il savait qu’il hériterait, outre cette maison, de deux ou trois fermes et il recevait assez d’argent chaque mois pour en prêter à ses camarades.

Trente ans avaient passé et Chabot était devenu ce qu’il devait devenir. Aujourd’hui, c’était lui qui se tournait vers Maigret pour lui demander son aide.

Les minutes coulaient. Le juge feignait de parcourir un dossier dont son regard ne suivait pas les lignes dactylographiées. Le téléphone ne se décidait pas à sonner.

Il tira sa montre de sa poche.

— Il ne faut pas cinq minutes, en voiture, pour se rendre là-bas. Autant pour en revenir. Ils devraient…

Il était midi et quart. Il fallait laisser aux deux hommes quelques minutes pour aller voir dans la maison.

— S’il n’avoue pas et si, dans deux ou trois jours, je n’ai pas découvert des preuves indiscutables, j’en serai quitte pour demander ma retraite anticipée.

Il avait agi par peur du gros de la population. À présent c’était des réactions des Vernoux et de leurs pairs qu’il s’effrayait.

— Midi vingt. Je me demande ce qu’ils font.

À midi vingt-cinq, il se leva, trop nerveux pour rester assis.

— Tu n’as pas de voiture ? lui demanda le commissaire.

Il parut gêné.

— J’en ai eu une qui me servait le dimanche pour conduire ma mère à la campagne.

C’était drôle d’entendre parler de campagne par quelqu’un qui habitait une ville où des vaches paissaient à cinq cents mètres de la rue principale.

— Maintenant que ma mère ne sort plus que pour la messe le dimanche, qu’est-ce que je ferais d’une auto ?

Peut-être était-il devenu avare ? C’était probable. Pas tellement par sa faute. Quand on possède un petit bien comme le sien, on craint fatalement de le perdre.

Maigret avait l’impression, depuis son arrivée à Fontenay, d’avoir compris des choses auxquelles il n’avait jamais pensé et il se créait, d’une petite ville, une image différente de celle qu’il s’était faite jusque-là.

— Il y a certainement du nouveau.

Les deux policiers étaient partis depuis plus de vingt minutes. Cela ne demandait pas longtemps de fouiller le logement de deux pièces de Louise Sabati. Alain Vernoux n’était pas l’homme à s’enfuir par la fenêtre et il était difficile d’imaginer une chasse à l’homme dans les rues du quartier de la caserne.

Il y eut un moment d’espoir quand ils entendirent le moteur d’une auto qui gravissait la rue en pente et le juge resta immobile, dans l’attente, mais la voiture passa sans s’arrêter.

— Je ne comprends plus.

Il tirait sur ses longs doigts couverts de poils clairs, jetait de brefs regards à Maigret comme pour le supplier de le rassurer, cependant que le commissaire s’obstinait à rester impénétrable.

Quand, un peu après midi et demi, la sonnerie fonctionna enfin, Chabot se jeta littéralement sur l’appareil.

— Allô ! cria-t-il.

Mais, tout de suite, il fut déconfit. C’était une voix de femme qu’on entendait, d’une femme qui ne devait pas avoir l’habitude de téléphoner et qui parlait si fort que le commissaire l’entendait de l’autre bout de la pièce.

— C’est le juge ? questionnait-elle.

— Le juge d’instruction Chabot, oui. J’écoute.

Elle répétait du même ton :

— C’est le juge ?

— Mais oui ! Qu’est-ce que vous voulez ?

— Vous êtes le juge ?

Et lui, furieux :

— Oui. Je suis le juge. Vous ne m’entendez pas ?

— Non.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

Si elle lui avait demandé une fois de plus s’il était le juge, il aurait probablement lancé l’appareil à terre.

— Le commissaire veut que vous veniez.

— Comment ?

Mais maintenant, parlant à quelqu’un d’autre, dans la pièce d’où elle lui téléphonait, elle annonçait d’une autre voix : — Je le lui ai dit. Quoi ?

Quelqu’un commandait :

— Raccrochez.

— Raccrocher quoi ?

On entendait du bruit dans le Palais de Justice. Chabot et Maigret tendirent l’oreille.

— On frappe de grands coups à la porte.

— Viens.

Ils coururent le long des couloirs. Les coups redoublaient. Chabot se hâta de tirer le verrou et de tourner la clef dans la serrure.

— On vous a téléphoné ?

C’était Lomel, encadré de trois ou quatre confrères. On en voyait d’autres qui montaient la rue dans la direction de la campagne.

— Chabiron vient de passer au volant de sa voiture. Il y avait près de lui une femme évanouie. Il a dû la conduire à l’hôpital.

Une auto stationnait au bas des marches.

— À qui est-ce ?

— À moi, ou plutôt à mon journal, dit un reporter de Bordeaux.

— Conduisez-nous.

— À l’hôpital ?