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Il désignait le rouquin.

— Je me suis précipité et…

— Je disais à ce jeune homme, prononça Maigret en repoussant son assiette et en saisissant sa pipe, que je n’ai rien à voir avec votre affaire Courçon. Je suis à Fontenay-le-Comte, par le plus grand des hasards, pour serrer la main de mon vieil ami Chabot et…

— Il sait que vous êtes ici ?

— Il a dû m’attendre au train de quatre heures. En ne me voyant pas, sans doute s’est-il dit que je ne viendrais que demain ou que je ne viendrais pas du tout.

Maigret se levait.

— Et maintenant, si vous le permettez, je vais passer lui dire bonsoir avant d’aller me coucher.

Le commissaire de police et le reporter paraissaient aussi décontenancés l’un que l’autre.

— Vous ne savez vraiment rien ?

— Rien de rien.

— Vous n’avez pas lu les journaux ?

— Depuis trois jours, les organisateurs du congrès et la Chambre de Commerce de Bordeaux ne nous en ont pas laissé le loisir.

Ils échangeaient un coup d’œil dubitatif.

— Vous savez où habite le juge ?

— Mais oui. À moins que la ville ait changé depuis la dernière visite que je lui ai faite.

Ils ne se décidaient pas à le lâcher. Sur le trottoir, ils restaient debout à ses côtés.

— Messieurs, j’ai bien l’honneur de vous saluer.

Le reporter insista :

— Vous n’avez aucune déclaration pour l’Ouest-Éclair ?

— Aucune. Bonsoir, messieurs.

Il gagna la rue de la République, franchit le pont et, le temps qu’il mit à monter jusque chez Chabot, ne croisa pas deux personnes. Chabot habitait une maison ancienne qui, autrefois, faisait l’admiration du jeune Maigret. Elle était toujours pareille, en pierres grises, avec un perron de quatre marches et de hautes fenêtres à petits carreaux.

Un peu de lumière filtrait entre les rideaux. Il sonna, entendit des pas menus sur les dalles bleues du corridor. Un judas s’ouvrit dans la porte.

— M. Chabot est chez lui ? demanda-t-il.

— Qui est-ce ?

— Le commissaire Maigret.

— C’est vous, Monsieur Maigret ?

Il avait reconnu la voix de Rose, la bonne des Chabot, qui était déjà chez eux trente ans auparavant.

— Je vous ouvre tout de suite. Attendez seulement que je retire la chaîne.

En même temps, elle criait vers l’intérieur :

— Monsieur Julien ! C’est votre ami Monsieur Maigret… Entrez, Monsieur Maigret… Monsieur Julien est allé cet après-midi à la gare… Il a été déçu de ne pas vous trouver. Comment êtes-vous venu ?

— Par le train.

— Vous voulez dire que vous avez pris l’omnibus du soir ?

Une porte s’était ouverte. Dans le faisceau de lumière orangée se tenait un homme grand et maigre, un peu voûté, qui portait un veston d’intérieur en velours marron.

— C’est toi ? disait-il.

— Mais oui. J’ai raté le bon train. Alors, j’ai pris le mauvais.

— Tes bagages ?

— Ils sont à l’hôtel.

— Tu es fou ? Il va falloir que je les fasse chercher. Il était entendu que tu descendais ici.

— Écoute, Julien…

C’était drôle. Il devait faire un effort pour appeler son ancien camarade par son prénom et cela sonnait étrangement. Même le tutoiement qui ne venait pas tout seul.

— Entre ! J’espère que tu n’as pas dîné ?

— Mais si. À l’Hôtel de France.

— Je préviens Madame ? questionnait Rose.

Maigret intervint.

— Je suppose qu’elle est couchée ?

— Elle vient juste de monter. Mais elle ne se met pas au lit avant onze heures ou minuit. Je…

— Jamais de la vie. J’interdis qu’on la dérange. Je verrai ta mère demain matin.

— Elle ne sera pas contente.

Maigret calculait que Mme Chabot avait au moins soixante-dix-huit ans. Au fond, il regrettait d’être venu. Il n’en accrochait pas moins son pardessus lourd de pluie au portemanteau ancien, suivait Julien dans son bureau, tandis que Rose, qui avait elle-même passé la soixantaine, attendait les ordres.

— Qu’est-ce que tu prends ? Une vieille fine ?

— Si tu veux.

Rose comprit les indications muettes du juge et s’éloigna. L’odeur de la maison n’avait pas changé et c’était encore une chose qui, jadis, avait fait envie à Maigret, l’odeur d’une maison bien tenue, où les parquets sont encaustiqués et où l’on fait de la bonne cuisine.

Il aurait juré qu’aucun meuble n’avait changé de place.

— Assieds-toi. Je suis content de te voir…

Il aurait été tenté de dire que Chabot, lui non plus, n’avait pas changé. Il reconnaissait ses traits, son expression. Comme chacun avait vieilli de son côté, Maigret se rendait mal compte du travail des années. Il n’en était pas moins frappé par quelque chose de terne, d’hésitant, d’un peu veule, qu’il n’avait jamais remarqué chez son ami.

Était-il comme cela jadis ? Était-ce Maigret qui ne s’en était pas aperçu ?

— Cigare ?

Il y en avait une pile de boîtes sur la cheminée.

— Toujours la pipe.

— C’est vrai. J’avais oublié. Moi, il y a douze ans que je ne fume plus.

— Ordre du médecin ?

— Non. Un beau jour, je me suis dit que c’était idiot de faire de la fumée et…

Rose entrait avec un plateau sur lequel il y avait une bouteille couverte d’une fine poussière de cave et un seul verre de cristal.

— Tu ne bois plus non plus ?

— J’ai cessé à la même époque. Juste un peu de vin coupé d’eau aux repas. Toi, tu n’as pas changé.

— Tu trouves ?

— Tu parais jouir d’une santé magnifique. Cela me fait vraiment plaisir que tu sois venu.

Pourquoi n’avait-il pas l’air tout à fait sincère ?

— Tu m’as promis si souvent de passer par ici, pour t’excuser au dernier moment, que je t’avoue que je ne comptais pas trop sur toi.

— Tout arrive, tu vois !

— Ta femme ?

— Va bien.

— Elle ne t’a pas accompagné ?

— Elle n’aime pas les congrès.

— Cela s’est bien passé ?

— On a beaucoup bu, beaucoup parlé, beaucoup mangé.

— Moi, je voyage de moins en moins.

Il baissa la voix, car on entendait des pas à l’étage supérieur.

— Avec ma mère, c’est difficile. D’autre part, je ne peux plus la laisser seule.