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Il n’y eut que Maigret à s’approcher de lui.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Des lettres.

La boîte en était à peu près pleine, non seulement de lettres, mais de courts billets écrits en hâte sur des bouts de papier. Louise Sabati avait tout gardé, peut-être à l’insu de son amant, presque certainement même, sinon elle n’aurait pas caché la boîte sous le lit.

— Laissez voir.

Lomel paraissait impressionné en les lisant. Il dit d’une voix mal assurée : — Ce sont des lettres d’amour.

Le juge s’était enfin aperçu de ce qui se passait.

— Des lettres ?

— Des lettres d’amour.

— De qui ?

— D’Alain. Signées de son prénom, parfois seulement de ses initiales.

Maigret, qui en avait lu deux ou trois, aurait voulu empêcher qu’on se les passe de main en main. C’étaient probablement les lettres d’amour les plus émouvantes qu’il lui eût été donné de lire. Le docteur les avait écrites avec la fougue et parfois la naïveté d’un jeune homme de vingt ans.

Il appelait Louise : « Ma toute petite ».

Parfois : « Ma pauvre petite à moi ».

Et il lui disait, comme tous les amants, la longueur des journées et des nuits sans elle, le vide de la vie, de la maison où il se heurtait aux murs comme un frelon, il lui disait qu’il aurait voulu l’avoir connue plus tôt, avant qu’aucun homme ne l’eût touchée, et les rages qui le prenaient, le soir, seul dans son lit, quand il pensait aux caresses qu’elle avait subies.

Certaines fois, il s’adressait à elle comme à un enfant irresponsable et d’autres fois il lui échappait des cris de haine et de désespoir.

— Messieurs… commença Maigret, la gorge serrée.

On ne faisait pas attention à lui. Cela ne le regardait pas. Chabot, rougissant, les verres de ses lunettes embuées, continuait à parcourir les papiers.

 

« Je t’ai quittée il y a une demi-heure et j’ai regagné ma prison. J’ai besoin de reprendre contact avec toi… »

 

Il la connaissait depuis huit mois à peine. Il y avait là près de deux cents lettres et, certains jours, il lui était arrivé d’en écrire trois, coup sur coup. Certaines ne portaient pas de timbre. Il devait les apporter avec lui.

 

« Si j’étais un homme… »

 

Ce fut un soulagement pour Maigret d’entendre arriver les gens de la police qui écartaient la foule et la marmaille.

— Tu ferais mieux de les emporter, souffla-t-il à son ami.

Il fallut les reprendre dans toutes les mains. Ceux qui les rendaient paraissaient gênés. On hésitait maintenant à se tourner vers le lit et, quand on jetait un coup d’œil au corps étendu, c’était furtivement, avec l’air de s’en excuser.

Tel quel, sans ses lunettes, le visage détendu et serein, Alain Vernoux paraissait dix ans de moins que dans la vie.

— Ma mère doit s’inquiéter… remarqua Chabot en regardant sa montre.

Il oubliait la maison de la rue Rabelais où il y avait toute une famille, un père, une mère, une femme, des enfants, qu’il faudrait se décider à avertir.

Maigret le lui rappela. Le juge murmura :

— J’aimerais autant ne pas y aller moi-même.

Le commissaire n’osait pas s’offrir. Peut-être son ami, de son côté, n’osait-il pas le lui demander.

— Je vais envoyer Féron.

— Où ? questionna celui-ci.

— Rue Rabelais, pour les prévenir. Parlez d’abord à son père.

— Qu’est-ce que je lui dis ?

— La vérité.

Le petit commissaire grommela entre ses dents :

— Jolie corvée !

Ils n’avaient plus rien à faire ici. Plus rien à découvrir, dans le logement d’une pauvre fille dont la boîte de lettres constituait le seul trésor. Sans doute ne les avait-elle pas toutes comprises. Cela n’avait pas d’importance.

— Tu viens, Maigret ?

Et, au médecin :

— Vous vous chargez de faire transporter le corps ?

— À la morgue ?

— Une autopsie sera nécessaire. Je ne vois pas comment…

Il se tourna vers les deux agents.

— Ne laissez entrer personne.

Il descendit l’escalier, la boîte en carton sous le bras, dut fendre la foule amassée en bas. Il n’avait pas pensé à la question de voiture. Ils étaient à l’autre bout de la ville. De lui-même, le journaliste de Bordeaux se précipita.

— Où voulez-vous que je vous conduise ?

— Chez moi.

— Rue Clemenceau ?

Ils firent la plus grande partie du trajet en silence. Ce ne fut qu’à cent mètres de sa maison que Chabot murmura : — Je suppose que cela termine l’affaire.

Il ne devait pas en être si sûr, car il examinait Maigret à la dérobée. Et celui-ci n’approuvait pas, ne disait ni oui ni non.

— Je ne vois aucune raison, s’il n’était pas coupable, pour…

Il se tut car, en entendant l’auto, sa mère, qui devait se morfondre, ouvrait déjà la porte.

— Je me demandais ce qui était arrivé. J’ai vu des gens courir comme s’il se passait quelque chose.

Il remercia le reporter, crut devoir lui proposer :

— Un petit verre ?

— Merci. Je dois téléphoner d’urgence à mon journal.

— Le rôti va être trop cuit. Je vous attendais à midi et demi. Tu parais fatigué, Julien. Vous ne trouvez pas, Jules, qu’il a mauvaise mine ?

— Tu devrais nous laisser un instant, maman.

— Vous ne voulez pas manger ?

— Pas tout de suite.

Elle se raccrochait à Maigret.

— Il n’y a rien de mauvais ?

— Rien qui puisse vous inquiéter.

Il préféra lui avouer la vérité, tout au moins une part de la vérité.

— Alain Vernoux s’est suicidé.

Elle fit seulement :

— Ah !

Puis, hochant la tête, elle se dirigea vers la cuisine.

— Entrons dans mon bureau. À moins que tu aies faim ?

— Non.

— Sers-toi à boire.

Il aurait aimé un verre de bière, mais il savait qu’il n’y en avait pas dans la maison. Il fouilla le placard à liqueurs, prit au hasard une bouteille de pernod.

— Rose va t’apporter de l’eau et de la glace.

Chabot s’était laissé tomber dans son fauteuil où la tête de son père, avant la sienne, avait dessiné une tache plus sombre dans le cuir. La boîte à chaussures était sur le bureau, avec le ruban qu’on avait renoué.