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— Je me rendais chez un ami, de l’autre côté de la place. J’ai aperçu quelque chose sur le trottoir. Je me suis penché. Il était déjà mort. Pour gagner du temps, je me suis précipité au Café de la Poste d’où j’ai téléphoné au commissaire.

D’autres visages entraient les uns après les autres dans le rayon des lampes électriques, avec toujours des hachures de pluie qui les auréolaient.

— Vous êtes là, Jussieux ?

Poignée de main. Ces gens-là se connaissaient comme les élèves d’une même classe à l’école.

— Je me trouvais justement au café. Nous faisions un bridge et nous sommes tous venus…

Le juge se souvint de Maigret qui se tenait à l’écart, présenta :

— Le docteur Jussieux, un ami. Commissaire Maigret…

Jussieux expliquait :

— Même procédé que pour les deux autres. Un coup violent sur le sommet du crâne. L’arme a légèrement glissé vers la gauche cette fois. Gobillard a été attaqué de face, lui aussi, sans rien tenter pour se protéger.

— Ivre ?

— Vous n’avez qu’à vous pencher et renifler. À cette heure-ci, d’ailleurs, comme vous le connaissez…

Maigret écoutait d’une oreille distraite. Lomel, le journaliste roux, qui venait de prendre un second cliché, essayait de l’attirer à l’écart. Ce qui frappait le commissaire était assez difficilement définissable.

Le plus petit des deux groupes, celui qui se tenait près du cadavre, paraissait n’être composé que de gens qui se connaissaient, qui appartenaient à un milieu déterminé : le juge, les deux médecins, les hommes qui, sans doute, jouaient tout à l’heure au bridge avec le docteur Jussieux et qui tous devaient être des notables de l’endroit.

L’autre groupe, moins en lumière, ne gardait pas le même silence. Sans manifester à proprement parler, il laissait sourdre une certaine hostilité. Il y eut même deux ou trois ricanements.

Une auto sombre vint se ranger derrière l’ambulance et un homme en sortit, qui s’arrêta net en reconnaissant Maigret.

— Vous êtes ici, patron !

Cela ne paraissait pas l’enchanter de rencontrer le commissaire. C’était Chabiron, un inspecteur de la Mobile attaché depuis quelques années à la brigade de Poitiers.

— Ils vous ont fait venir ?

— Je suis ici par hasard.

— Cela s’appelle tomber à pic, hein ?

Lui aussi ricanait.

— J’étais en train de patrouiller la ville avec ma bagnole, ce qui explique que cela ait pris du temps de m’avertir. Qui est-ce ?

Féron, le commissaire de police, lui expliquait :

— Un certain Gobillard, un type qui fait le tour de Fontenay une fois ou deux par semaine pour ramasser les peaux de lapins. C’est lui aussi qui rachète les peaux de bœufs et de moutons à l’abattoir municipal. Il a une charrette et un vieux cheval et il habite une bicoque en dehors de la ville. Il passe le plus clair de son temps à pêcher près du pont en se servant des appâts les plus dégoûtants, de la moelle, des boyaux de poulets, du sang coagulé…

Chabiron devait être pêcheur.

— Il prend du poisson ?

— Il est à peu près le seul à en prendre. Le soir, il va de bistrot en bistrot, buvant dans chacun une chopine de rouge jusqu’à ce qu’il ait son compte.

— Jamais de pétard ?

— Jamais.

— Marié ?

— Il vit seul avec son cheval et des quantités de chats.

Chabiron se tourna vers Maigret :

— Qu’est-ce que vous en pensez, patron ?

— Je n’en pense rien.

— Trois en une semaine, ce n’est pas mal pour un patelin comme celui-ci.

— Qu’est-ce qu’on en fait ? demandait Féron au juge.

— Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’attendre le procureur. Il n’était pas chez lui ?

— Non. Sa femme essaie de le toucher par téléphone.

— Je crois qu’on peut transporter le corps à la morgue.

Il se tourna vers le docteur Vernoux.

— Vous n’avez rien vu d’autre, rien entendu ?

— Rien. Je marchais vite, les mains dans les poches. J’ai presque buté sur lui.

— Votre père est chez lui ?

— Il est rentré ce soir de Niort ; il dînait quand je suis parti.

Autant que Maigret pouvait comprendre, c’était le fils du Vernoux de Courçon avec qui il avait voyagé dans le petit train.

— Vous pouvez l’emporter, vous autres.

Le journaliste ne lâchait pas Maigret.

— Est-ce que vous allez vous en occuper, cette fois ?

— Certainement pas.

— Pas même à titre privé ?

— Non.

— Vous n’êtes pas curieux ?

— Non.

— Vous croyez, vous aussi, à des crimes de fou ?

Chabot et le docteur Vernoux, qui avaient entendu, se regardèrent, toujours avec cet air d’appartenir à un même clan, de se connaître si bien qu’il n’est plus besoin de mots.

C’était naturel. Cela existe partout. Rarement, néanmoins, Maigret avait eu à ce point l’impression d’une coterie. Dans une petite ville comme celle-ci, évidemment, il y a les notables, peu nombreux, qui, par la force des choses, se rencontrent, ne serait-ce que dans la rue, plusieurs fois par jour.

Puis il y a les autres, ceux, par exemple, qui se tenaient groupés à l’écart et qui ne paraissaient pas contents.

Sans que le commissaire eût rien demandé, l’inspecteur Chabiron lui expliquait : — Nous étions venus à deux. Levras, qui m’accompagnait, a dû partir ce matin parce que sa femme attend un bébé d’un moment à l’autre. Je fais ce que je peux. Je prends l’affaire par tous les bouts à la fois. Mais, pour ce qui est de faire parler ces gens-là…

C’était le premier groupe, celui des notables, que son menton désignait. Sa sympathie allait visiblement aux autres.

— Le commissaire de police, lui aussi, fait son possible. Il ne dispose que de quatre agents. Ils ont travaillé toute la journée. Combien en avez-vous en patrouille à ce moment, Féron ?

— Trois.

Comme pour confirmer ses dires, un cycliste en uniforme s’arrêtait au bord du trottoir et secouait la pluie de ses épaules.

— Rien ?

— J’ai vérifié l’identité de la demi-douzaine de personnes que j’ai rencontrées. Je vous donnerai la liste. Toutes avaient une bonne raison d’être dehors.

— Tu remontes un instant chez moi ? demanda Chabot à Maigret.

Il hésita. S’il le fit, c’est qu’il avait envie de boire quelque chose pour se réchauffer et qu’il s’attendait à ne plus rien trouver à l’hôtel.

— Je fais le chemin avec vous, annonça le docteur Vernoux. À moins que je vous dérange ?