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— Je le jure...

Il voyait, à sa droite, les silhouettes des jurés, des visages qui sortaient, plus clairs, de la pénombre et, à gauche, derrière les robes noires des avocats, l’accusé, assis entre deux gardes en uniforme, le menton sur ses mains croisées, qui le fixait intensément.

Ils avaient passé de longues heures, tous les deux, en tête à fête, dans le bureau surchauffé du quai des Orfèvres, et il leur était arrivé d’interrompre un interrogatoire pour manger des sandwiches et boire de la bière en bavardant comme des copains.

— Écoutez, Meurant...

Peut-être Maigret l’avait-il parfois tutoyé ?

Ici, une barrière infranchissable se dressait entre eux et le regard de Gaston Meurant était aussi neutre que celui du commissaire.

Le président Bernerie et Maigret se connaissaient aussi, non seulement pour avoir bavardé dans les couloirs, mais parce que c’était le trentième interrogatoire que l’un faisait subir à l’autre.

Il n’en restait aucune trace. Chacun jouait son rôle comme s’ils eussent été des inconnus, les officiants d’une cérémonie aussi ancienne et rituelle que la messe.

— C’est bien vous, monsieur le divisionnaire, qui avez dirigé l’enquête au sujet des faits dont le tribunal est saisi ?

— Oui, monsieur le Président.

— Tournez-vous vers messieurs les jurés et dites-leur ce que vous savez.

— Le 28 février dernier, vers une heure de l’après-midi, je me trouvais dans mon bureau du quai des Orfèvres lorsque j’ai reçu un coup de téléphone du commissaire de police du IXe arrondissement. Celui-ci m’annonçait qu’un crime venait d’être découvert rue Manuel, à deux pas de la rue des Martyrs, et qu’il se rendait sur les lieux. Quelques instants plus tard, un coup de téléphone du parquet m’enjoignait de m’y rendre à mon tour et d’y envoyer les spécialistes de l’identité judiciaire et du laboratoire.

Maigret entendait quelques toux, derrière lui, des semelles qui remuaient sur le plancher. C’était la première affaire de la saison judiciaire et toutes les places étaient occupées. Probablement y avait-il des spectateurs debout, au fond, près de la grande porte gardée par des hommes en uniforme.

Le président Bernerie appartenait à cette minorité de magistrats qui, appliquant le code de procédure pénale à la lettre, ne se contentent pas d’entendre, aux Assises, un résumé de l’instruction, mais reconstituent celle-ci dans ses moindres détails.

— Vous avez trouvé le parquet sur les lieux ?

— Je suis arrivé quelques minutes avant le substitut. J’ai trouvé sur place le commissaire Segré, accompagné de son secrétaire et de deux inspecteurs du quartier. Ni l’un ni les autres n’avaient touché à quoi que ce fût.

— Dites-nous ce que vous avez vu.

— La rue Manuel est une rue paisible, bourgeoise, peu passante, qui donne dans le bas de la rue des Martyrs. L’immeuble portant le numéro 27 bis se trouve à peu près au milieu de cette rue. La loge de la concierge n’est pas au rez-de-chaussée, mais à l’entresol. L’inspecteur qui m’attendait m’a conduit au second étage on j’ai vu deux portes donnant sur le palier. Celle de droite était entrouverte et, sur une petite plaque de cuivre, se lisait un nom : Mme Faverges.

Maigret savait que, pour le président Bernerie, tout comptait et qu’il ne devait rien omettre s’il ne voulait pas se faire rappeler sèchement à l’ordre.

— Dans l’entrée, éclairée par une lampe électrique à verre dépoli, je n’ai remarqué aucun désordre.

— Un instant. Y avait-il, sur la porte, des traces d’effraction ?

— Non. Elle a été examinée plus tard par des spécialistes. La serrure a été démontée. Il est établi que l’on ne s’est servi d’aucun des instruments généralement utilisés pour les effractions.

— Je vous remercie. Continuez.

— L’appartement se compose de quatre pièces, en plus de l’antichambre. En face de celle-ci se trouve un salon, dont la porte vitrée est garnie de rideaux crème. C’est dans cette pièce, qui communique, par une autre porte vitrée, avec la salle à manger, que j’ai aperçu les deux cadavres.

— Où se trouvaient-ils exactement ?

— Celui de la femme, que j’ai su ensuite s’appeler Léontine Faverges, était étendu sur le tapis, la tête tournée vers la fenêtre. La gorge avait été tranchée à l’aide d’un instrument qui ne se trouvait plus dans la pièce et on voyait, sur le tapis, une mare de sang de plus de cinquante centimètres de diamètre. Quant au corps de l’enfant...

— Il s’agit, n’est-ce pas, de la jeune Cécile Perrin, âgée de quatre ans, qui vivait habituellement avec Léontine Faverges ?

— Oui, monsieur le Président. Le corps était recroquevillé sur un canapé Louis XV, le visage enfoui sous des coussins de soie. Comme le médecin de quartier puis, un peu plus tard, le docteur Paul, l’ont constaté, l’enfant, après avoir subi un début de strangulation, a été étouffée par ces coussins...

Il y eut une rumeur dans la salle, mais il suffit au président de lever la tête, de parcourir des yeux les rangs de spectateurs, pour que le silence se rétablît.

— Après la descente du parquet, vous êtes resté dans l’appartement jusqu’au soir avec vos collaborateurs ?

— Oui, monsieur le Président.

— Dites-nous quelles constatations vous avez faites.

Maigret n’hésita que quelques secondes.

— Dès l’abord, j’ai été frappé par le mobilier et par la décoration. Sur ses papiers, Léontine Faverges était donnée comme sans profession. Elle vivait en petite rentière, prenant soin de Cécile Perrin dont la mère, entraîneuse de cabaret, ne pouvait s’occuper personnellement.

Cette mère, Juliette Perrin, il l’avait aperçue en entrant dans la salle, assise au premier rang des spectateurs, car elle s’était portée partie civile. Ses cheveux étaient d’un roux artificiel et elle portait un manteau de fourrure.

— Dites-nous exactement ce qui, dans l’appartement, vous a surpris.

— Une recherche inhabituelle, un style spécial qui m’a rappelé certains appartements d’avant les lois sur la prostitution. Le salon, par exemple, était trop feutré, trop moelleux, avec une profusion de tapis, de coussins et, sur les murs, de gravures galantes. Les abat-jour étaient de couleur tendre, tout comme dans les deux chambres à coucher où il y avait plus de miroirs qu’on n’en voit d’habitude. J’ai appris, par la suite, qu’en effet Léontine Faverges utilisait autrefois son appartement comme maison de rendez-vous. Après la promulgation des nouvelles lois, elle a continué un certain temps. La brigade des mœurs a eu à s’occuper d’elle et ce n’est qu’après plusieurs amendes qu’elle s’est résignée à cesser toute activité.

— Vous avez pu établir quelles étaient ses ressources ?

— Au dire de la concierge, des voisines et de tous ceux qui la connaissaient, elle avait de l’argent de côté, car elle n’avait jamais été gaspilleuse. Née Meurant, sœur de la mère de l’accusé, elle est arrivée à Paris à l’âge de dix-huit ans et a travaillé quelque temps comme vendeuse dans un grand magasin. À vingt ans, elle a épousé un nommé Faverges, représentant de commerce, qui est mort trois ans plus tard dans un accident d’auto. Le couple habitait alors Asnières. Pendant quelques années, on a vu la jeune femme fréquenter les brasseries de la rue Royale et sa fiche a été retrouvée à la brigade des mœurs.

— Vous avez recherché s’il ne se trouvait pas, dans ses fréquentations d’alors, quelqu’un qui, récemment, aurait pu se souvenir d’elle et lui faire un mauvais parti ?

— Elle passait, dans son milieu, pour une solitaire, ce qui est assez rare. Elle mettait de l’argent de côté, ce qui lui a permis, plus tard, de s’établir rue Manuel.