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— Elle avait soixante-deux ans au moment de sa mort ?

— Oui. Elle était devenue grasse mais, autant que j’ai pu en juger, elle avait gardé une certaine jeunesse d’aspect et une certaine coquetterie. D’après les témoins interrogés, elle était fort attachée à la fillette qu’elle avait prise en pension, moins pour le faible revenu que cela lui procurait, paraît-il, que par crainte de la solitude.

— Avait-elle un compte en banque ou à la caisse d’épargne ?

— Non. Elle se méfiait des établissements de crédit, des notaires, des placements en général et conservait chez elle tout ce qu’elle possédait.

— A-t-on retrouvé de l’argent ?

— Très peu, de la monnaie, de petits billets dans un sac à main puis encore de la monnaie dans un tiroir de la cuisine.

— Existait-il une cachette et l’avez-vous découverte ?

— Il semble que oui. Lorsque Léontine Faverges était malade, ce qui est arrivé deux ou trois fois au cours des dernières années, la concierge montait pour faire son ménage et s’occuper de l’enfant. Sur une commode du salon, il y avait un vase chinois garni de fleurs artificielles. Un jour, la concierge, pour épousseter les fleurs, les a retirées du vase et a trouvé, au fond de celui-ci, une poche de toile qui lui a paru contenir des pièces d’or. D’après le volume et le poids, la concierge prétend qu’il y en avait plus de mille. L’expérience a été faite dans mon bureau, avec un sac de toile et un millier de pièces. Il semble qu’elle ait été concluante. J’ai fait interroger les employés des différentes banques des environs. À la succursale du Crédit Lyonnais, on se souvient d’une femme répondant au signalement de Léontine Faverges qui aurait acheté, à plusieurs reprises, des actions au porteur. Un des caissiers, nommé Durat, l’a formellement reconnue d’après sa photographie.

— Il est donc probable que ces actions se trouvaient, comme les pièces d’or, dans l’appartement. Or, vous n’avez rien retrouvé ?

— Non, monsieur le Président. Nous avons évidemment recherché des empreintes digitales sur le vase chinois, sur les tiroirs et un peu partout dans l’appartement.

— Sans résultat ?

— Seulement les empreintes des deux occupantes et, dans la cuisine, celles d’un garçon livreur dont l’emploi du temps a été vérifié. Sa dernière livraison date du 27 au matin. Or, d’après le docteur Paul, qui a pratiqué la double autopsie, le crime remonte au 27 février entre cinq heures et huit heures du soir.

— Vous avez interrogé tous les habitants de l’immeuble ?

— Oui, monsieur le Président. Ils m’ont confirmé ce que la concierge m’avait déjà dit, à savoir que Léontine Faverges ne recevait aucun homme en dehors de ses deux neveux.

— Vous voulez parler de l’accusé, Gaston Meurant, et de son frère Alfred ?

— D’après la concierge, Gaston Meurant venait la voir assez régulièrement, une ou deux fois par mois, et sa dernière visite remontait à environ trois semaines. Quant au frère, Alfred Meurant, il ne faisait que de rares apparitions rue Manuel, car il était mal vu de sa tante. En questionnant la voisine de palier, Mme Solange Lorris, couturière, j’ai appris qu’une de ses clientes était venue la voir pour un essayage le 27 février, à cinq heures et demie. Cette personne s’appelle Mme Ernie et habite rue Saint-Georges. Elle affirme qu’au moment où elle montait l’escalier, un homme est sorti de l’appartement de la morte et que, l’apercevant, il a paru se raviser. Au lieu de descendre, il s’est dirigé vers le troisième étage. Elle n’a pu distinguer son visage, car l’escalier est mal éclairé. Selon elle, l’homme était vêtu d’un complet bleu marine et d’un imperméable marron à ceinture.

— Dites-nous comment vous êtes entré en rapport avec l’accusé.

— Pendant que mes hommes et moi examinions l’appartement, dans l’après-midi du 28 février, et que nous commencions à questionner les locataires, les journaux du soir annonçaient le crime et fournissaient un certain nombre de détails.

— Un instant. Comment le crime a-t-il été découvert ?

— Vers midi, ce jour-là, je veux dire le 28 février, la concierge s’est étonnée de n’avoir vu ni Léontine Faverges ni la gamine qui, d’habitude, fréquentait une école maternelle du quartier. Elle est allée sonner à la porte. Ne recevant pas de réponse, elle est remontée un peu plus tard, toujours sans résultat, et a téléphoné enfin au commissariat. Pour en revenir à Gaston Meurant, la concierge savait seulement qu’il était encadreur et qu’il habitait du côté du Père-Lachaise. Je n’ai pas eu besoin de le faire rechercher car, le lendemain matin...

— Donc, le 1er mars...

— Oui. Le lendemain matin, dis-je, il se présentait spontanément au commissariat du IXe arrondissement en disant qu’il était le neveu de la victime et le commissariat me l’envoyait...

Le président Bernerie n’était pas de ces juges qui prennent des notes ou qui, en cours d’audience, liquident leur courrier. Il ne somnolait pas non plus et son regard allait sans cesse du témoin à l’accusé, avec, parfois, un bref coup d’œil aux jurés.

— Racontez-nous aussi exactement que possible ce premier entretien que vous avez eu avec Gaston Meurant.

— Il était vêtu d’un complet gris et d’un imperméable beige assez usé. Il paraissait impressionné de se trouver dans mon bureau et il m’a semblé que c’était sa femme qui l’avait poussé à cette visite.

— Elle l’accompagnait ?

— Elle était restée dans la salle d’attente. Un de mes inspecteurs est venu m’en avertir et je l’ai priée d’entrer. Meurant me déclarait qu’il avait lu les journaux, que Léontine Faverges était sa tante et que, comme, avec son frère, il représentait, croyait-il, toute la famille de la victime, il avait cru devoir se faire connaître. Je lui ai demandé quels rapports il entretenait avec la vieille dame et il m’a répondu que ces rapports étaient excellents. Toujours en réponse à mes questions, il a ajouté que sa dernière visite rue Manuel datait du 23 janvier. Il n’a pu me fournir l’adresse de son frère, avec qui il avait cessé toutes relations.

— Donc, le 1er mars, l’accusé a catégoriquement nié s’être trouvé rue Manuel le 27 février, jour du crime.

— Oui, monsieur le Président. Interrogé sur son emploi du temps, il m’a dit avoir travaillé, dans son atelier de la rue de la Roquette, jusque six heures et demie du soir. J’ai visité cet atelier par la suite, ainsi que le magasin. Ce dernier, qui n’a qu’une vitrine assez étroite, est encombré de cadres et de gravures. Un crochet à succion, derrière la porte vitrée, permet d’accrocher un écriteau portant la mention : « En cas d’absence, s’adresser au fond de la cour. » Une allée non éclairée y conduit et on trouve en effet l’atelier où Meurant confectionnait ses cadres.

— Il y a une concierge ?

— Non. La maison ne comporte que deux étages auxquels on accède par un escalier qui donne dans la cour. C’est un très vieil immeuble, coincé entre deux maisons de rapport.

Un des assesseurs, que Maigret ne connaissait pas car il était arrivé récemment de province, regardait droit devant lui le public avec l’air de ne rien entendre. L’autre, au contraire, le teint rose, les cheveux blancs, approuvait en dodelinant de la tête toutes les paroles de Maigret dont certaines lui arrachaient, Dieu sait pourquoi, un sourire de contentement. Quant aux jurés, ils restaient aussi immobiles que s’ils avaient été, par exemple, les personnages en plâtre peint d’une crèche de Noël.

L’avocat de l’accusé, Pierre Duché, était un jeune et c’était sa première cause importante. Nerveux, toujours comme prêt à bondir, il se penchait de temps en temps sur son dossier qu’il couvrait de notes.

Seul, aurait-on dit, Gaston Meurant se désintéressait de ce qui se passait autour de lui ou, plus exactement, assistait à ce spectacle comme s’il ne le concernait pas.