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— Elle s’y rendait seule ?

— Elle y a eu un certain nombre d’amis, jamais pour longtemps. Cependant, les derniers mois qui ont précédé le crime, on ne l’y a presque pas vue.

Ces témoignages n’expliquaient-ils pas l’atmosphère du boulevard de Charonne, les magazines et les disques, leur contraste avec les livres que Meurant allait acheter chez les bouquinistes ?

— Lorsque, voilà un peu moins d’un mois, je suis parti en vacances, poursuivit Maigret, les différents services de la P. J. n’avaient rien découvert de plus.

— Pendant cette enquête, Mme Meurant a-t-elle été l’objet d’une surveillance de la part de la police ?

— Pas d’une surveillance continue, en ce sens qu’elle n’était pas suivie à chacune de ses sorties et qu’il n’y avait pas toujours, la nuit, un inspecteur à sa porte.

Des rires dans la salle. Un bref regard du président. Le silence, à nouveau. Maigret s’épongeait le front, embarrassé par son chapeau qu’il tenait toujours à la main.

— Cette surveillance, même sporadique, questionnait le magistrat, non sans ironie, était-elle le résultat de la lettre que l’accusé vous a envoyée de sa prison et avait-elle pour but de protéger sa femme ?

— Je ne le prétends pas.

— Vous cherchiez, si je comprends bien, à découvrir ses fréquentations ?

— J’ai d’abord voulu savoir si elle rencontrait parfois son beau-frère en cachette. Puis, n’obtenant pas de résultats positifs, je me suis demandé qui elle fréquentait et à quoi elle employait son temps.

— Une question, monsieur le commissaire. Vous avez entendu Ginette Meurant à la P. J. Elle vous a déclaré, si je me souviens bien, être rentrée chez elle le 27 février vers huit heures du soir et avoir trouvé le dîner prêt à être servi. Vous a-t-elle dit quel complet portait son mari ?

— Un pantalon gris. Il était sans veston.

— Et quand il l’a quittée après le déjeuner ?

— Il était en complet gris.

— À quelle heure a-t-elle quitté, elle, l’appartement du boulevard de Charonne ?

— Vers quatre heures.

— De sorte que Meurant aurait pu venir se changer ensuite, ressortir, se changer à nouveau en rentrant sans qu’elle le sache ?

— C’est matériellement possible.

— Revenons au supplément d’enquête auquel vous vous êtes livré.

— La surveillance de Ginette Meurant n’a rien donné. Depuis l’incarcération de son mari, elle est restée la plupart du temps chez elle, n’en sortant que pour faire son marché, pour les visites à la prison et, deux ou trois fois la semaine, pour une séance de cinéma. Cette surveillance, je l’ai dit, n’était pas continue. Elle avait lieu de temps en temps. Ses résultats n’en confirment pas moins ce que nous ont dit les voisins et les fournisseurs. Avant-hier, je suis rentré de vacances et j’ai trouvé un rapport sur mon bureau. Peut-être est-il bon d’expliquer qu’à la police on ne perd jamais complètement de vue une affaire, de sorte qu’une arrestation a parfois lieu, fortuitement, deux ou trois ans après le crime ou le délit.

— Autrement dit, pendant les derniers mois, on n’effectuait plus de recherches systématiques quant aux faits et gestes de Ginette Meurant.

— C’est exact. Les inspecteurs des garnis et ceux des mœurs, de même que mes propres inspecteurs, n’en avaient pas moins sa photographie en poche, ainsi que celle de son beau-frère. Ils les montraient à l’occasion. C’est ainsi que, le 26 septembre, un témoin a reconnu dans la photographie de la jeune femme une de ses clientes régulières.

Meurant s’agitait à nouveau et c’était au président, cette fois, de le regarder avec sévérité. Dans la salle, quelqu’un protestait, sans doute Ginette Meurant.

— Ce témoin est Nicolas Cajou, gérant d’un hôtel meublé de la rue Victor-Massé, à deux pas de la place Pigalle. D’habitude, il se tient dans le bureau de son établissement et, par la porte vitrée, en surveille les allées et venues.

— N’a-t-il pas été questionné en mars dernier ou en avril, comme les autres tenanciers ?

— Il était à ce moment à l’hôpital, pour une opération, et sa belle-sœur le remplaçait. Ensuite, il a passé trois mois de convalescence dans le Morvan, d’où il est originaire, et ce n’est qu’à la fin de septembre qu’un agent des garnis, à tout hasard, lui a montré la photographie.

— La photographie de Ginette Meurant ?

— Oui. Il l’a reconnue du premier coup d’œil, disant que, jusqu’à son départ pour l’hôpital, elle venait en compagnie d’un homme qu’il ne connaît pas. Une des femmes de chambre, Geneviève Lavancher, a reconnu aussi la photographie.

À la table des journalistes, on se regardait, puis on regardait le magistrat avec surprise.

— Je suppose que le compagnon auquel vous faites allusion n’est pas Alfred Meurant ?

— Non, monsieur le Président. Hier, dans mon bureau, où j’ai convoqué Nicolas Cajou et la femme de chambre, je leur ai montré plusieurs centaines de fiches anthropométriques afin de m’assurer que le compagnon de Ginette Meurant n’est pas de nos connaissances. L’homme est de petite taille, trapu, les cheveux très bruns. Il est vêtu avec recherche et porte au doigt une bague avec une pierre jaune. Il serait âgé d’une trentaine d’années et il fume des cigarettes américaines qu’il allume à la chaîne, de sorte qu’après chacune de ses visites rue Victor-Massé on retrouvait un plein cendrier de mégots dont quelques-uns seulement étaient tachés de rouge à lèvres.

« Je n’ai pas eu le temps matériel, avant le procès, d’entreprendre une enquête approfondie. Nicolas Cajou est entré à l’hôpital le 26 février. Le 25, il se tenait encore au bureau de l’hôtel et il affirme qu’il a reçu, ce jour-là, la visite du couple.

Un remous se produisait dans la salle, qui restait invisible à Maigret, et le président haussait le ton, ce qui lui arrivait rarement, pour prononcer :

— Silence, ou je fais évacuer.

Une voix de femme tentait de se faire entendre :

— Monsieur le Président, je...

— Silence !

Quant à l’accusé, les mâchoires serrées, il regardait Maigret avec haine.

CHAPITRE III

Personne ne bougea pendant que le président se penchait tour à tour vers ses assesseurs et leur parlait à voix basse. Un colloque à trois s’engageait, qui rappelait aussi des rites religieux car on voyait les lèvres remuer sans bruit comme pour des répons, les visages s’incliner à une curieuse cadence. Un moment vint où l’avocat général en robe rouge quitta son siège pour prendre langue à son tour et on put croire, un peu plus tard, que le jeune défenseur allait en faire autant. Il hésitait visiblement, inquiet, pas encore assez sûr de lui, et il était presque debout quand le président Bernerie frappa le banc de son marteau et quand chaque magistrat reprit sa place comme dans un tableau.

Xavier Bernerie récitait du bout des lèvres :

— La Cour remercie le témoin de sa déposition et le prie de ne pas quitter le tribunal.

Toujours comme un officiant il cherchait sa toque de la main, la saisissant et, se mettant debout, achevait son répons.

— L’audience est suspendue pour un quart d’heure.

Ce fut, d’une seconde à l’autre, un bruit de récréation, presque une explosion, à peine assourdie, des sons de toutes sortes qui se mélangeaient. La moitié des spectateurs quittaient leur place ; certains, debout dans les traverses, gesticulaient, d’autres se bousculaient en s’efforçant d’atteindre la grande porte que les gardes venaient d’ouvrir tandis que les gendarmes escamotaient l’accusé par une issue qui se confondait avec les panneaux des murs, que Pierre Duché suivait non sans peine et que les jurés, de l’autre côté, disparaissaient, eux aussi, dans la coulisse.