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— Mal, autant que je sache.

— À cause de quoi ?

— Je ne sais pas. Cela doit dater d’il y a longtemps. Je crois que le père trouvait son fils trop dur, insensible. Il n’a jamais rien accepté de lui et je me demande si ce n’est pas par défi qu’il n’a pas encore remis son affaire, malgré son âge.

— Chabut en parlait quelquefois ?

— Rarement.

— Vous ne voyez rien à me dire ?

— Non.

— Vous avez d’autres amants ?

— Non. Il me suffisait largement.

— Vous continuerez à travailler ici ?

— Si on me garde.

— Où est le bureau de M. Leprêtre ?

— Au rez-de-chaussée. Les fenêtres donnent sur l’arrière-cour.

— Je passe un instant chez vos collègues.

Ici aussi les lampes étaient allumées et deux des jeunes filles tapaient à la machine tandis que la troisième, qui paraissait l’aînée, classait du courrier.

— Ne vous dérangez pas. Je suis le commissaire chargé de l’enquête et j’aurai sans doute l’occasion de vous voir personnellement. Ce que je voudrais savoir dès maintenant, c’est si aucune de vous n’a pas des soupçons.

Elles se regardèrent et Mlle Berthe, celle qui avait la trentaine et qui était boulotte, rougit légèrement.

— Vous avez une idée ? lui demanda-t-il.

— Non. Je ne sais rien. J’ai été aussi étonnée que les autres.

— Vous avez appris le meurtre par le journal ?

— Non. C’est en arrivant ici que...

— Vous ne lui connaissiez pas d’ennemis ?

Elles détournaient les yeux, se regardaient l’une l’autre.

— Il est inutile de vous gêner. J’ai beaucoup appris sur son genre de vie et en particulier sur ses rapports avec les femmes. Il pourrait s’agir d’un mari, ou d’un amant, voire d’une femme jalouse.

Personne ne semblait disposé à parler.

— Pensez-y. Le plus petit fait peut avoir de l’importance.

Ils descendirent, Lapointe et lui. Au rez-de-chaussée, Maigret poussa la porte du comptable qui répondait à la description qu’en avait faite la Sauterelle.

— Il y a longtemps que vous êtes dans la maison ?

— Cinq mois. Avant, je travaillais dans une maroquinerie des Grands Boulevards.

— Vous étiez au courant des amours de votre patron ?

Il rougit, ouvrit la bouche mais ne trouva rien à dire.

— Parmi les gens qu’il recevait ici, y en avait qui avaient des raisons de le haïr ?

— Pourquoi l’auraient-ils haï ?

— Il était très dur en affaires, non ?

— Ce n’était pas un sentimental.

Il regrettait déjà sa réponse, se demandant comment il avait pu se laisser aller à exprimer une opinion.

— Vous connaissez Mme Chabut ?

— Il lui arrivait de m’apporter les factures de ses fournisseurs. Autrement, elle me les envoyait par la poste. C’est une personne très aimable et très simple.

— Je vous remercie.

Encore un, le triste M. Leprêtre aux moustaches tombantes. Ils le trouvèrent dans son bureau qui était encore plus démodé et plus provincial que les autres. Assis devant une table peinte en noir sur laquelle il y avait des échantillons de vin, il regarda entrer les deux hommes avec méfiance.

— Je suppose que vous savez ce que nous faisons ici ?

Il se contenta de hocher la tête. Un côté de sa moustache pendait plus que l’autre et il fumait une pipe en écume qui répandait une forte odeur.

— Quelqu’un a eu une raison assez sérieuse pour tuer votre patron. Il y a longtemps que vous travaillez ici ?

— Treize ans.

— Vous vous entendiez bien, M. Chabut et vous ?

— Je ne me suis jamais plaint.

— Vous aviez toute sa confiance, n’est-ce pas ?

— Il n’avait confiance en personne qu’en lui.

— Il vous traitait néanmoins comme un de ses plus proches collaborateurs.

Le visage de Leprêtre n’exprimait aucun sentiment. Il portait sur la tête une étrange petite casquette et Maigret pensa que c’était pour cacher sa calvitie. En tout cas, il ne faisait pas mine de la retirer.

— Vous n’avez rien à me dire ?

— Non.

— Il ne vous a jamais confié que quelqu’un le menaçait ?

— Non.

C’était inutile d’insister et Maigret fit signe à Lapointe de le suivre.

— Merci.

— De rien.

Et Leprêtre se leva pour refermer la porte derrière eux.

C’est dans la voiture que le rhume de Maigret, qui n’avait fait jusque-là que couver, se déclara soudain et, pendant plusieurs minutes, il se moucha au point d’en avoir le visage rouge et les yeux larmoyants.

— Excuse-moi, mon petit, murmura-t-il alors à l’adresse de Lapointe. Je le sentais venir depuis ce matin. Avenue de l’Opéra ! Nous avons oublié de demander le numéro.

Ils trouvèrent rapidement car de grandes lettres qui, le soir, devenaient lumineuses, annonçaient : « Vin des Moines. » L’immeuble, lourd et imposant, abritait d’autres affaires importantes, dont une banque étrangère et une société fiduciaire.

Au second étage, haut de plafond, ils se trouvèrent dans une vaste entrée dallée de marbre où, autour de guéridons chromés, des fauteuils de métal très modernes étaient vides pour la plupart. Sur les murs, trois affiches comme celles qu’on voyait dans les stations de métro. Elles représentaient un moine au visage réjoui, à la lèvre gourmande, qui s’apprêtait à boire un verre de vin.

Sur la première affiche, le vin était rouge, sur la seconde il était blanc et il était rosé sur la troisième.

Au-delà d’une cloison vitrée on apercevait un vaste bureau où travaillaient une trentaine de personnes, hommes et femmes et, au fond, une autre cloison vitrée permettait d’entrevoir d’autres bureaux. Tout était clair et abondamment éclairé, le matériel moderne, les meubles dernier cri.

Maigret s’approcha du guichet, dut tirer son mouchoir de sa poche au moment de parler à une jeune réceptionniste qui, sans impatience apparente, attendit qu’il eût fini de se moucher.

— Je vous demande pardon. Je voudrais voir M. Louceck.

— De la part de qui ?

Elle lui tendait un bloc sur lequel on lisait : « Nom et prénom. » Puis, sur une autre ligne : « Objet de la visite. »

Il se contenta d’écrire : Commissaire Maigret.

Elle disparut par une porte qui faisait face à la première fenêtre et resta absente un temps assez long. Après quoi elle sortit du grand bureau, les fit entrer dans une seconde salle d’attente plus intime que la première mais non moins moderne.

— M. Louceck va vous voir tout de suite. Il est au téléphone.

De fait ils n’attendirent pas longtemps. Une autre jeune fille, qui portait des lunettes, vint les chercher et les conduisit dans un vaste bureau qui donnait toujours la même impression de modernisme.

Un très petit homme se leva de son siège et tendit la main.

— Commissaire Maigret ?

— Oui.

— Stéphane Louceck. Asseyez-vous.

Maigret présenta son compagnon :

— L’inspecteur Lapointe.

— Asseyez-vous aussi, je vous en prie.

Il était très laid, d’une laideur peu sympathique. Son nez était long, bulbeux, avec de fines stries bleuâtres, et des poils bruns lui sortaient des narines et des oreilles. Quant à ses sourcils, larges de près de deux centimètres, ils étaient drus et embroussaillés. Son complet avait besoin d’un coup de fer et sa cravate devait être montée sur un appareil en celluloïd.

— Je suppose que vous venez au sujet du meurtre ?

— Cela va sans dire.

— J’attendais plus tôt quelqu’un de la police. Je ne lis jamais les journaux du matin car je me mets au travail de bonne heure et je n’ai appris la nouvelle que par un coup de téléphone de Mme Chabut.

— J’ignorais l’existence de ces bureaux et nous nous sommes rendus d’abord quai de Charenton. Si j’ai bien compris, c’est surtout là qu’Oscar Chabut travaillait.