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— Il joue, mais arrive à équilibrer ses gains. Il aurait mis au point une martingale.

— Une sorte d’expérience pour lui ?

— En quelque sorte oui, répondit le capitaine de corvette. Giulio Dallafavera, lui, est un type un peu bizarre. Il a renvoyé sa femme, car toutes ses grossesses se terminent par des fausses couches. Il paraît que c’est un drame pour le couple qui désire avoir des enfants. Il aurait demandé à sa femme d’aller se reposer six mois chez ses parents, du côté de Milan. Bien sûr, il boit et a eu quelques histoires. Mais c’est un excellent ouvrier.

Il laissa tomber ses notes.

— Et les deux autres ? demanda Kovask.

— La Direction n’a que de vagues renseignements. La femme passe inaperçue et Galtore ne travaille que depuis quelques mois. Il aurait été en sana plusieurs années. Il connaît son métier semble-t-il, mais ces années d’interruption l’ont handicapé. Rien à signaler.

Sacchi leur fournit l’adresse de l’homme et celle de la femme.

— Tous deux habitent des garnis. Nous opérons un contrôle sévère à cause de la proximité de la zone libre de Trieste. Des tas de Yougoslaves essayent de s’infiltrer. Certains vivent cachés des semaines et des mois chez des compatriotes, jusqu’à ce que le loueur se lasse, si ses locataires ne sont pas généreux.

Il ouvrit un classeur, en tira une fiche.

— Voici, Rosa Choumanik.

Trente ans certainement, de fines rides aux tempes et au coin de la bouche. Des yeux tranquilles. Une assez belle fille marquée par la vie.

— Pour Galtore, je n’ai rien. Imaginez un type de taille moyenne, visage long et yeux creux. Chauve en partie, avec le reste des cheveux noirs et raides. Pas tout à fait trente ans.

Les deux officiers allèrent à pied jusqu’au port voisin, tout en échangeant quelques réflexions et en essayant d’établir un plan. Depuis Gênes, de Megli avait renoncé à sa tenue et ils passaient inaperçus, au milieu des touristes.

— Pour la femme, nous pouvons nous présenter comme des fonctionnaires de la préfecture provinciale.

— En principe, dit Kovask, les réfugiés politiques ne sont pas admis à proximité de la frontière de leur pays d’origine ?

— C’est aussi valable en Italie.

— Pourquoi ne pas lui faire passer un test ? Lui dire qu’elle doit quitter la province sous quarante-huit heures pour une autre plus éloignée.

Le visage de son compagnon exprimait sa répugnance.

— Si elle est innocente, ajouta Kovask, c’est assez moche, mais nous pourrons toujours rattraper le coup.

— Si, en attendant, nous allions consulter le dossier médical de Giovanni Galtore ? Il a passé plusieurs années en sana. Nous pourrions téléphoner à cet établissement pour obtenir d’autres renseignements.

Grâce aux laissez-passer dont ils disposaient, ils purent pénétrer dans les chantiers situés à deux kilomètres de la bourgade. Ils étaient nettement plus importants que ceux de la Scafola à Gênes. Plusieurs bâtiments étaient en construction ou en cale de radoub.

Kovask éprouva quelque surprise en découvrant que la responsable du service de santé n’était autre qu’une sœur. Luigi de Megli lui parla avec un très grand respect.

Elle sortit le dossier de Galtore.

— Il a été admis dans un sanatorium français, mais nous n’avons jamais reçu son dossier. De toutes façons, il a été visité régulièrement par notre médecin et la visite d’admission est très sévère. S’il travaille ici, c’est qu’il est guéri. Le sanatorium français ? Saint-Hilaire du Touvet, dans l’Isère.

Kovask se pencha et repoussa une feuille qui lui masquait une photographie. Il put observer l’étrange visage de Galtore, à la fois romantique et énigmatique.

— Je vais écrire aujourd’hui même pour réclamer ce dossier, dit la sœur. Il est inadmissible que nous n’en ayons pas une copie.

Les deux hommes se comprirent à un regard.

Ils avaient trouvé la raison de prendre contact avec le technicien.

— Nous vous remercions ma sœur, dit de Megli.

Ils sortirent et traversèrent les chantiers jusqu’à la route où la Giulietta les attendait.

— Etrange, dit Kovask. Pourquoi se serait-il fait soigner en France ? Je me demande si ce n’est pas une façon de camoufler un séjour en prison.

— Ou à l’étranger, dit son collègue italien. La voiture démarra lentement en direction de la petite ville.

— Inutile de l’attendre à midi, j’ai remarqué l’existence d’une cantine. À moins qu’il ne fasse l’aller et retour sur son scooter.

— Et la fille ? Ce soir également ?

— On peut toujours tenter notre chance à midi. Les femmes seules répugnent souvent à manger sur le lieu de leur travail. Nous allons la guetter dans son quartier.

À partir de midi, la voiture stoppée dans l’ombre d’une petite place aux platanes poussiéreux, ils attendirent.

— Alors, on lui demande de quitter la région sous quarante-huit heures ?

Kovask mordait sa lèvre inférieure, indécis. Si cette femme n’avait rien à se reprocher, il serait odieux de l’arracher à un emploi et une tranquillité pour lesquels elle avait quitté sa patrie cinq années plus tôt.

— Nous allons sonder le terrain. Peut-être, aurons-nous une intuition des le départ.

Ils la reconnurent tout de suite et gardèrent pour eux leurs réflexions. Rosa Choumanik, dans sa robe légère de coton, avait beaucoup de chic. Elle passa non loin d’eux. Son corps était celui d’une fille sensuelle.

Elle pénétra sons un porche, suivit le couloir qui menait à une cour intérieure pavoisée de linges de lessive. Ils la virent monter un escalier de bois.

— Allons-y tout de suite, dit Kovask.

Dans la cour, plusieurs familles déjeunaient en plein air et on les regarda avec curiosité. Ils se dirigèrent sans hésitation vers l’étroit escalier aux marches encombrées de détritus et de jouets d’enfants.

CHAPITRE VI

Rosa Choumanik vint ouvrir la porte vitrée masquée d’un rideau à fleurs qui donnait sur la galerie. Son regard alla de l’un à l’autre tandis que sa poitrine trahissait son émotion.

— Signora, nous sommes des fonctionnaires de la préfecture provinciale, dit Luigi de Megli. Pouvons-nous vous entretenir un instant ?

Trois gosses immobilisés à moitié escalier, la serviette autour du cou et barbouillés de sauce tomate, suivaient la scène les yeux ronds.

— Entrez, dit la jeune femme.

L’unique pièce était éclairée par une étroite fenêtre donnant sur un terrain vague. Malgré la pauvreté des meubles et la vétusté des murs, l’endroit n’était pas désagréable. Quelques couleurs vives, un bouquet de fleurs, une bonne odeur de cuisine lui donnaient du charme…

— Asseyez-vous, murmura-t-elle tandis qu’elle restait debout de l’autre côté de la table. Maintenant, son visage s’était complètement décoloré et les marques d’une vie difficile s’y faisaient plus visibles encore.

— Vous avez quitté votre pays, la Yougoslavie, voici cinq ans, dit Luigi en faisant mine de consulter son calepin.

Elle répondit d’un signe de tête.

— Pour des raisons politiques ?

— Oui. J’étais sur le point d’être arrêtée pour propagande antigouvernementale.

D’une voix mal assurée elle ajouta :

— Mais, depuis que je suis en Italie…

— Nous savons. En fait jusqu’à présent vous avez bénéficié d’une certaine indulgence due certainement à l’incurie de quelque fonctionnaire.

Très inquiète, elle attendait la sentence.