Tournant le dos elle se dirigea vers la petite cuisine dont la lucarne était toujours ouverte à cause de la chaleur. Sans aucune difficulté, car cette voie de secours avait depuis longtemps été préparée par Galtore, elle passa sur le toit en contrebas. De là, elle pouvait entendre tout ce qui se passerait dans le petit appartement. Il lui serait possible d’intervenir, de crier au secours ou de faire du scandale. La minute d’après, elle réalisa que c’était stupide. Ugo Montale était certainement armé et Giovanni serait sa victime. Quoi qu’elle fasse le pauvre garçon risquait sérieusement sa vie.
Suivant le toit, elle s’approcha d’une cour intérieure profonde de quatre mètres. Giovanni avait une fois parlé de la façon que l’on pouvait employer pour se laisser glisser jusqu’au sol, mais elle ne s’en souvenait plus. Folle de désespoir elle revint vers la lucarne, s’apprêtait à pénétrer dans la cuisine lorsqu’elle, entendit des voix.
— Vous êtes certain que personne ne peut nous entendre ? demandait une voix basse mais ferme.
— Absolument, répondait Giovanni. Asseyez-vous. Voulez-vous du café ?
— Rien. Un silence.
— Vous avez installé un merveilleux laboratoire d’appartement.
— Grâce à vous, signore, grâce à vous. Je vous suis infiniment reconnaissant de l’aide que vous m’avez apportée.
Ugo Montale toussa légèrement puis fit quelques pas dans l’appartement.
— Qu’y a-t-il derrière cette porte ?
— La cuisine.
Même s’il désirait la fermer il n’y parviendrait pas. Le plancher raboteux, la porte déformée refusaient ce service.
— Tiens, vous avez laissé cette lucarne ouverte ?
— Toujours. Pour aérer. Elle donne sur un toit.
La jeune femme s’était effacée sur la gauche. Elle n’était pas tout à fait certaine qu’il ne risquerait pas sa tête à l’extérieur pour plus de prudence. L’Américain avait donc raison. Tant de précautions devenaient étranges.
— Bien ! Revenons dans la pièce. Vous me parliez de votre reconnaissance mon cher Galtore.
— Croyez qu’elle est réelle et très vive. Un silence.
— Vous ne désirez pas retourner à cette maison de fous ?
Montale attaquait dur et sans prendre des gants. Rien ne déplaisait autant à Giovanni que cette appellation de la clinique psychiatrique où il avait été enfermé.
— Il n’en est pas question, répondit Galtore d’une voix altérée. D’ailleurs, j’espère faire reconnaître que je suis guéri et…
Le rire de Montale l’interrompit.
— Bien sûr que vous êtes guéri, mais vous n’arriverez jamais à le faire reconnaître. Vous ne connaissez pas les lois de ce pays. Elles sont très dures pour les aliénés. Et les parents de la petite ?
Ils s’acharneront sur vous. Ils n’oublieront pas. Ils ont l’impression que vous leur avez échappé. Vous le savez bien.
Bouleversée, les poings serrés et les larmes aux yeux, Rosa imaginait le garçon. D’abord, il allait être incrédule.
— Mais, signore… Je suis véritablement guéri et on m’a affirmé qu’il m’était possible de régulariser ma situation.
— Balivernes que je vous dis ! Vous ne leur échapperez qu’en vous cachant, qu’en continuant à vivre comme vous le faites. Et je viens vous apporter la possibilité de ne pas être découvert de sitôt.
De nouveau le silence. Dans ces moments-là, Giovanni n’avait plus son attention fixée. Il n’avait même pas dû entendre les dernières paroles de son visiteur.
— Écoutez-moi, Galtore, et prouvez-moi, à moi, que vous êtes guéri, et que vous pouvez accomplir un travail d’homme, sain d’esprit.
— Je vous écoute, signore.
— Vous m’avez parlé de vos recherches sur les matières capables de s’enflammer spontanément. Vous n’avez rien découvert en la matière, mais grâce à votre travail, vous avez des connaissances sur certaines d’entre elles, telles que l’huile de coton, l’huile de lin, les pépins de raisin. D’autres encore…
Les coprahs, les tourteaux, les charbons, récita mécaniquement Giovanni Galtore.
Impatienté Montale lui coupa la parole.
— Je ne dispose pas de beaucoup de temps et je vous demande de m’écouter sans m’interrompre. Pour des raisons qu’il serait trop long de vous énumérer, je vous demande de rendre les panneaux d’isolation que vous installez à bord de l’OLBIA aussi peu ignifuges que possible.
Cette fois, il marqua une pause et la jeune femme, plaquée contre le mur, le visage à hauteur de la lucarne, put entendre parfaitement la respiration oppressée de son amant.
— Je ne comprends pas, dit-il au bout d’un moment.
— Allons donc ! Vous m’avez parfaitement suivi au contraire. Il faut, que d’ici un mois, vous ayez accompli ce travail. Et ne croyez pas me duper. Ces points de combustion lente devront être disposés à proximité des installations électriques de toutes natures. Vous m’en ferez un schéma complet sur un plan et, à l’occasion, je ferai vérifier l’excellence de ce travail.
— Pourquoi me demandez-vous ce sabotage ? Rosa tressaillit. Elle ne reconnaissait pas la voix du garçon. C’était un timbre métallique, dépourvu de vie. La voix artificielle d’un robot par exemple.
— Vous avez le mot exact. C’est exactement ce que je vous demande. Malheureusement, je n’ai aucune explication à vous fournir et je ne vois pas comment vous pourriez refuser.
— Pourquoi ? Montale s’énerva.
— Allons, mon vieux, ne soyez pas stupide. Vous n’avez aucunement envie de retourner à Ronco, n’est-ce pas ?
Elle eut beau tendre l’oreille, elle n’entendait plus rien. Giovanni devait surveiller sa respiration.
— Écoutez, je ne vais pas attendre que vous ayez fini d’examiner cette préparation au microscope. De toute façon, vous n’avez rien à me répondre. Agissez et tout ira bien pour vous.
Quelques flacons tintinnabulèrent. Giovanni devait tenir un de ses appareils entre ses mains tremblantes. Éprouvette ou cornue.
— Vous aviez donc prémédité ce sabotage depuis longtemps, signore ? Voilà pourquoi vous m’aviez aidé et protégé, me proposant même, de payer certaines mensualités à la T.A.S.A.
— Mon cher, vous êtes un garçon sympathique et j’ai toujours eu un faible pour vous. Avouez que je vous ai bien aidé et que, sans moi, vous ne seriez pas ici, dans cette belle chambre, avec vos chers petits flacons. Pour cette affaire, j’ai pensé que vous pourriez m’être utile.
Avec un reproche dans la voix, il ajouta :
— Je ne m’attendais pas à vous trouver aussi réticent.
— Signor, dit Giovanni comme s’il n’avait pas entendu, si je refuse vous me dénoncez ?
— Bien sûr.
— Et si j’appelle, que la police vienne et vous arrête ? Peut-être consentiront-ils à m’examiner sérieusement et établiront-ils que je ne suis pas du tout fou.
L’autre se mit à rire sans la moindre restriction. Rosa se souvenait de ce que les deux hommes lui avaient dit, qu’Ugo Montale était traqué par toutes les polices. Il n’en paraissait pas exagérément ému.
— C’est alors qu’on vous prendra vraiment pour un fou, mon vieux. Je suis honorablement connu et je ne risque rien. Je suis venu vous rendre une visite amicale et je vous ai trouvé dans un état de terrible excitation mentale. Voilà ce que je dirais aux policiers avant qu’ils ne vous passent la camisole de force.
Rosa avait peur. Le calme apparent de Giovanni l’épouvantait. Il aurait dû hurler, gesticuler, se jeter sur son visiteur. Elle entendait seulement un cliquetis de flacon.