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— L’évidence.

Installé au bureau de Montale, il alluma une cigarette.

— L’occasion de couvrir plusieurs pays, grâce à cette école, était trop belle pour que des types intelligents la laissent passer. N’oubliez pas qu’ainsi ils étendent leur réseau à diverses activités techniques et commerciales.

— Ce serait quelque chose d’énorme ?

— Exactement. Les chantiers maritimes n’en sont qu’une faible partie. N’oubliez pas les sociétés construisant des avions, des véhicules militaires, de l’armement même, les laboratoires de toutes natures. Pensez à tous ces techniciens avides de s’élever dans la promotion sociale et qui se laisseront tenter par les annonces des écoles à domicile.

Il pointa sa cigarette vers de Megli.

— Je vais même plus loin. C’est un moyen très psychologique, car, en général, ces études ne permettent pas à un type de franchir plus vite les échelons. La routine existe partout, et ce n’est pas un diplôme de plus ou une attestation d’une école privée, aussi célèbre qu’elle soit, qui vous bombarde un type à un poste d’ingénieur. Aussi, ces cours par correspondance ont parfois, je dirai même, souvent, un effet contraire à celui escompté. D’un client ambitieux, ils font souvent un aigri.

De Megli claqua des mains.

— Jolie démonstration ! Je crois que vous avez finalement raison. Il suffit de petits malins comme Montale pour utiliser ces aigris.

Ils travaillèrent en silence et au bout de deux heures ils avaient l’un et l’autre isolé trois noms. Leurs notes correspondaient.

Le policier qui les accompagnait s’ennuyait et fumait cigarette sur cigarette, les bras sur le dossier de sa chaise, le menton posé sur ses deux poings.

— Toujours le système des éliminations, constata gaiement de Megli. Il ne nous a pas trop trahis jusqu’à présent. L’ennui serait que Montale ait dépendu directement de Londres.

— Je ne crois pas. Rome doit couvrir plusieurs agences. Je ne veux pas dire que toutes soient suspectes, mais celle de Gênes n’était pas suffisante pour toute la besogne.

Profitant de l’inattention du policier, Kovask empocha une brochure sur l’organisation de la T.A.S.A. italienne, avec les noms et fonctions des principaux directeurs, chargés de cours et professeurs correcteurs.

Quand ils furent seuls sur la route de Rome, Kovask sortit la brochure.

— Nos trois gars sont bien placés. L’un, est directeur du personnel, un autre, est responsable du service comptable, et enfin, le dernier, est chef du service de publicité et de propagande. Le voyage à Gênes n’aurait pas été obligatoire si nous n’avions espéré sortir un renseignement de Fordoro.

— À ce propos, répondit de Megli, le croyez-vous sincère ?

— Aucune opinion. Ce garçon ne se livre désormais plus aussi facilement.

Ils arrivèrent assez tard à Rome. De Megli possédait un petit pied-à-terre non loin de la place del Popolo. Après un dîner léger ils se couchèrent et dormirent profondément jusqu’à neuf heures du matin.

C’est devant un café très noir qu’ils établirent leur plan de bataille.

— Nous ne pouvons nous débrouiller seuls. Il faut que ces trois hommes soient surveillés, catalogués, avant que nous puissions intervenir. Ce matin je vais aller trouver mon patron, le capitaine de vaisseau Ucello, et lui demander de mettre des hommes à notre disposition. De toute façon, je suis obligé de lui faire un rapport sur nos dernières découvertes.

Kovask n’était pas très emballé par cette proposition, mais ne pouvait suggérer autre chose. Au départ, qui aurait pu prévoir que l’affaire de l’ELBA prendrait une telle importance ? Le Commodore Rice aurait dû envoyer dix hommes.

— N’oubliez pas que Rome n’est encore qu’une étape et que la solution nous attend certainement au siège social à Londres. Il y a là-bas, en Angleterre, un type qui supervise le tout et oriente les différentes manœuvres.

De Megli eut un sourire goguenard :

— Vous me recommandez la prudence !

— Oh ! vous, je vous connais et me fie complètement à ce que vous entreprendrez.

— Ne vous faites pas de bile. Les types d’Ucello sont à la hauteur.

— Je l’espère, car nous ne tenons plus à ce réseau que par un fil ; Et il me paraît fragile.

Après son entrevue avec Ucello, de Megli annonça qu’il n’y avait plus qu’à attendre. On les préviendrait lorsqu’il y aurait vraiment du nouveau. Kovask se promena dans Rome jusqu’à cinq heures du soir, traîna son ennui d’une terrasse à l’autre, évitant de s’intéresser aux jolies femmes qui l’entouraient, puisqu’il n’aurait pu donner suite à la moindre tentative de rapprochement.

À cinq heures il monta en vitesse les deux étages conduisant au studio de son ami, le trouva en robe de chambre un verre à la main, un illustré dans l’autre.

— Alors rien ? De Megli sourit.

— Vous croyez que tout va se déclencher dans la journée ? Si, d’ici deux jours, nous obtenons quelque chose, nous pourrons nous en féliciter.

Kovask en eut la chair de poule.

— Deux jours ? Le temps pour le gars de camoufler ses activités et de nous filer sous le nez.

— Ne soyez pas pessimiste, Serge. Il est une chose qu’il lui sera difficile de dissimuler, son passé. Cet homme a dû malgré tout commettre quelques imprudences.

Kovask se servit du whisky, trois doigts sur des glaçons.

— Soit, je vous accorde jusqu’à demain, et puis je fonce au bureau du directeur romain de la T.A.S.A., je me plonge dans la lecture de ses dossiers d’élèves et je repars de la base.

— Vous avez peur des temps morts ?

— Ils ne le sont pas pour tout le monde. De Megli caressa son menton de sa main soignée.

— Vous avez peut-être tort. Peut-être ne regretterons-nous pas cette attente. Ucello m’a promis de mettre le gros paquet sur l’affaire.

— Nous ne pourrions pas y assister à ce déploiement de forces ?

Puis il sourit.

— Bien sûr, un officier américain dans les services spéciaux de la marine italienne, même dans le cadre d’une coopération atlantique…

Son ami prit un air confus.

— L’administration a ses raisons habituelles. Je suis navré évidemment de cette incompréhension.

Kovask lui donna une tape sur l’épaule.

— Ne vous chagrinez pas. D’accord, on attend demain.

Contrairement à la nuit précédente, il ne dormit que quelques heures, réfléchissant le reste du temps. Il arrivait toujours à la même conclusion : ils ignoraient toujours à qui ils avaient affaire. Réseau politisé ? Entreprise privée vendant ses renseignements et acceptant des sabotages sur commande ?

Le lendemain matin, quelques renseignements furent donnés à de Megli par téléphone. Kovask put lire sur son visage que tout n’allait pas pour le mieux, dans l’opération lancée par le capitaine de vaisseau Ucello. Luigi raccrocha, l’air ennuyé.

— Malgré un travail acharné les hommes de mon patron n’ont rien découvert de suspect dans la vie des trois personnages. Ils continuent évidemment leurs recherches, mais…

Kovask acheva de nouer sa cravate et enfila son veston.

— C’est O.K., à moi de jouer maintenant. Voua restez évidemment devant le téléphone ?

— C’est la consigne.

— À tout à l’heure. Si, par hasard, je ne pouvais rentrer à midi et je vous passerai un coup de fil.

Le directeur de la T.A.S.A. était un Anglais nommé Arthur Welchand, un petit homme très courtois, buveur de scotch certainement, mais décidé à finir ses jours en Italie. Il écouta Kovask jusqu’au bout. L’Américain ne lui avait pas caché qu’il poursuivait une enquête à la suite de la mort d’Ugo Montale.