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— Vous pensez que lorsque le premier filet de peinture est tombé dans la cale sèche il était déjà enflammé ?

— Oui.

Kovask alluma une autre cigarette, se déplaça pour faire face à nouveau à la pluie.

— Pourquoi ?

— Parce que si un gars avait laissé une lampe à souder dans le fond, nous l’aurions entendue. Une fois les ouvriers partis, le chantier est très silencieux.

— Durant votre ronde vous descendez au fond de la cale ?

— Non. Ce n’est pas prévu au cahier des instructions établies par la direction et les compagnies d’assurance. Pourtant, il arrive que nous allions quand même faire un tour dans le bas. Vous savez, dans le coin, il y a pas mal de chapardeurs à l’affût de quelques kilos de cuivre ou de plomb. Et ils sont malins.

— Allons examiner l’un de ces réservoirs de peinture.

Cesare Onorelli le retint.

— Tous ont brûlé ou explosé. Les enquêteurs les ont fait mettre de côté. Du moins ce qu’il en reste. C’est dans un local tout à fait au fond du chantier.

— Allons-y quand même, dit Kovask. Pendant quelques minutes, ils pataugèrent dans une boue noirâtre, contournèrent des carcasses de vedettes et de yachts à moteur.

— Il se construit ici également des bateaux de moindre tonnage, expliquait l’Italien.

— Avez-vous une idée de l’importance de l’ELBA ?

Ils marchèrent en silence avant que Cesare Onorelli ne se décide.

— Je m’en doute un peu. Des diesels développant plus de trois mille chevaux pour une coque, somme toute assez moyenne, cela donne à réfléchir. Ce sera un beau cargo qui filera comme un transatlantique et, en cas de guerre, un beau ravitailleur, capable d’aller n’importe où et sans se faire trop remarquer.

Kovask se souvenait des paroles de son chef direct, le commodore Gary Rice.

— Dix-huit bâtiments du type ELBA sont en construction, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Norvège et au Danemark. Dix-huit cargos qui seront laissés, en temps de paix, à la libre disposition des armateurs qui les ont commandés, mais qui, à la moindre alerte, seront à la disposition de l’état-major de l’O.T.A.N. Nous avons financé pour 50 % leur construction. Nous les faisons monter dans les meilleurs chantiers, les plus sûrs également, sous surveillance constante. Plus confidentiel encore : N’oubliez pas que certains transporteront des têtes nucléaires, soit pour ravitailler les sous-marins en pleine mer, soit pour servir eux-mêmes de base de lancement. Des caissons spéciaux sont prévus à cet usage. L’ELBA a failli brûler entièrement. Sans une intervention rapide des pompiers, il n’en restait rien. Malgré tout, sa mise à l’eau est retardée de deux mois. D’autres incidents se sont produits dans la plupart des chantiers qui construisent ce type de bateau. Il faut en découvrir l’origine.

Cesare Onorelli s’était tu et paraissait embarrassé. Kovask ne lui accorda pas un regard, mais prononça froidement :

— Vous avez une excellente imagination, signore.

— Un peu de raisonnement seulement. Pourquoi surveiller avec tant de soin ce rafiot ? Et puis j’ai aussi appris que les Lloyds n’avaient fait aucune difficulté pour réassurer la compagnie italienne, ce qui est, quand même, assez rare.

Là, il estomaqua un peu Kovask :

— D’où sortez-vous ça ?

— Un des inspecteurs d’assurance qui me l’a glissé dans le creux de l’oreille. Pour justifier, peut-être, le soin qu’ils ont apporté à leur enquête. Ils sont assez forts, ces gars-là. Ils étaient deux.

Il sortit un trousseau de sa poche en arrivant devant un bâtiment très bas en béton, percé de rares ouvertures semblables souvent à des meurtrières.

— Je vous demanderai de ne pas fumer. Tout ce qui est susceptible de s’enflammer sur le chantier est stocké ici, les vernis, les peintures, et tout ce qui n’a pas été ignifugé.

Les réservoirs avaient été empilés dans une petite pièce sans jour. Seule, une forte ampoule éclairait l’endroit. Kovask fit la grimace en voyant les containers en acier très épais, crevés, boursouflés, difficiles à identifier.

— Je peux vous donner quelques tuyaux. L’air arrivait ici, expliquait Cesare Onorelli.

— Pas de manomètre ?

— Sur le compresseur seulement. La soupape est là.

Kovask lui demanda comment les réservoirs étaient posés sur le sol.

— Eh bien ! ainsi.

L’Américain recula de quelques pas et réfléchit.

— Facile de bloquer la soupape ainsi ! Suffit de trouver un poids qui fasse équilibre à la pression intérieure. Savez-vous si les réservoirs étaient restés reliés an compresseur ?

Onorelli se gratta le front et rejeta en arrière son capuchon. Il portait une casquette plate. Il l’ôta et Kovask qui s’attendait à un crâne chauve fut surpris de lui voir de beaux cheveux noirs et frisés.

— Il faudrait demander à l’ingénieur Galli, responsable de la sécurité. Son équipe te met au travail une heure avant la cessation du travail et ratisse le chantier, pour arriver à la cale sèche lorsque les derniers chaudronniers, peintres et électriciens, sont remontés.

Le lieutenant commander se pencha vers les multiples débris. La peinture en brûlant avait déposé sur les fragments d’acier une sorte de vernis noir qui poissait encore aux doigts.

— Connaissez-vous le résultat de l’analyse ?

— Non, dit le chef des vigiles.

Kovask avait pris connaissance du rapport des services scientifiques de la police. Rien de particulier n’était signalé, mais, évidemment, ils n’avaient pu analyser tous les morceaux de métal. Six containers de plusieurs mètres cubes avaient explosé.

Un bruit de pas les fit se retourner. Un homme de petite taille, aux yeux très noirs et à la peau du visage et des mains très blanche, pénétrait dans le magasin. Kovask remarqua qu’il ne portait pas de vêtements de pluie et que ses cheveux ruisselaient d’eau.

— Pietro Galli. Ingénieur. Je suppose que vous avez besoin de moi.

Kovask serra une petite main nerveuse, une sorte de poignée électrique.

— Vous tombez bien, reconnut-il. Je viens de demander au signore Onorelli si les réservoirs étaient restés reliés au compresseur, cette nuit-là.

L’ingénieur sursauta, comme piqué au vif.

— Certainement pas. Je sais que c’est la thèse admise, mais mon équipe est assez efficiente pour ne pas commettre ce genre de bourde.

Avec perfidie, Onorelli insinua qu’on avait cependant retrouvé des bouts de tuyauterie un peu partout.

— Evidemment, fulmina Galli. Le compresseur n’était pas très loin de là. C’est explicable. La seule erreur qui ait pu être commise, à mon avis, se résume à un oubli, celui de vidanger l’un des réservoirs encore sous pression.

— On pouvait aussi bloquer une soupape, dit Kovask.

Le petit homme se redressa :

— Certainement… Mais après notre départ.

— Voilà, grogna Onorelli. Je suis allé prendre une belle masse en plomb ou en fonte et je l’ai collée sur la soupape. Est-ce ce que vous voulez laisser entendre, signore ?

Galli recula d’un pas malgré lui. La masse du chef des vigiles était impressionnante. Kovask suivait la scène avec attention. L’ingénieur finit par hausser les épaules.

— Les responsabilités sont partagées. À quoi bon essayer de les rejeter sur l’un ou sur l’autre.

— Ravi de vous l’entendre dire, dit Onorelli.

— Un instant, fit Kovask. Qui coupe l’alimentation en courant industriel sur le chantier ?

— Moi, dit Galli. Il n’y a que le courant ordinaire qui fonctionne pour les éclairages divers.