— Bien. Pouvons-nous jeter un coup d’œil aux dossiers qui sont en ce moment dans votre bureau ?
Alberti sourit.
— Désolé. Quand mister Welchand me donne l’ordre de me mettre à votre disposition, c’est dans le cadre de mon emploi. Ici, ces dossiers sont sous ma seule responsabilité et je leur dois le secret professionnel.
— Tant pis, dit Kovask. Vous porterez plainte ensuite. Luigi ne vous en laissez pas conter et surveillez-le.
Il passa dans le bureau, tandis qu’Alberti haussait les épaules. Tout de suite, l’Américain chercha dans le dossier la fiche de renseignements confidentiels. Il y avait une dizaine de dossiers et, au fur et à mesure qu’il les compulsait, son sourire s’accentuait. Il avait posé une fesse sur un coin du bureau et balançait sa jambe en cadence.
— Écoutez ça, Luigi… Felice Pétri… électronicien à la S.T.O. de Milan…
— Ils travaillent pour la défense nationale là-bas, précisa Luigi.
— Il y a autre chose… une petite note épinglée au dossier : sa femme vit en France, divorce en 1959. Et il s’est remarié en Italie. Vous savez ce que ça coûte dans ce pays… Et celui-là, dessinateur en construction métallique qui suit des cours de statique graphique. Petite note : décollement de la rétine. Si ces employeurs s’en rendent compte il sera fichu dehors… Et encore une jeune fille, psychotechnicienne travaillant dans une usine d’appareillage électrique, et qui désire se perfectionner en électricité pour mieux comprendre ses patients, petite note, fille du député communiste Parusci. On fera appel aux principes sucés avec le lait maternel, pour la décider… Rien que des cas spéciaux.
Alberti ne paraissait pas autrement inquiet. Il suivait la démonstration avec un sourire ironique.
— Ça suffit, je pense, dit Kovask.
— Oui, dit de Megli. Comment avez-vous rencontré Ugo Montale, depuis quelle date, comment fonctionnait votre réseau et quels sont les activités auxquelles vous avez participé ?
— Je crois que vous faites une erreur monumentale, dit l’archiviste. Je n’ai jamais été un espion…
De Megli le poussa vers un fauteuil.
— Les clés de ce coffre ?
— Je ne les ai pas.
Kovask le souleva soudain par le col de la chemise et rapide, de Megli lui retourna le haut de la veste immobilisant ses bras. Ils le fouillèrent.
— Je vous fais remarquer que vous êtes en train de m’humilier, dit Alberti toujours de sa voix calme. Vous devrez m’en rendre compte.
Il n’a pas de clé, dit l’Italien. Je vais appeler nos spécialistes.
Kovask, qui surveillait son homme du coin de l’œil, vit un pli se former au coin gauche de la bouche. L’homme se sentait définitivement vaincu.
Allez-y mon vieux, nous tenons le bon bout. Pendant que l’officier italien téléphonait, lui, fouillait le tiroir du bureau. Il trouva un petit 6.35, un couteau à cran d’arrêt.
— Bigre, jouiez-vous, aussi, les tueurs ? Dans un autre tiroir, il trouva une liste de noms et tressaillit en relevant celui de Giovanni Galtore.
— Voilà les agents bénévoles de votre réseau. Il y en a un peu partout. Je suppose que nous allons trouver des renseignements plus précis dans le coffre.
Soudain, Alberti essaya de foncer vers la porte. Kovask veillait et de Megli également. Il se retourna et bloqua l’archiviste d’un magistral croc-en-jambe qui l’envoya contre le mur.
— Ne faites pas l’âne, dit-il ensuite en sortant son arme, ou je vous tire une balle dans une jambe.
Il alla donner un tour de clé à la porte. Prudent, Kovask fit disparaître le petit automatique et le couteau à cran d’arrêt.
— Je demande que la police vienne ici, dit Alberti. Vous n’appartenez à aucun service officiel et… Laissez-moi téléphoner à la questure.
— Fiche-nous la paix, pour l’instant, fit durement Kovask. Ou alors, tiens, dis-moi, tu es tout seul à Rome pour centraliser les renseignements et distribuer les ordres ?
Alberti se renfrognait de plus en plus.
— Et l’argent ? Il en faut quand même un peu… Dans le coffre ? Comment le recevais-tu ?
Plusieurs voitures s’arrêtèrent devant le pavillon. Un homme, aux cheveux gris assez longs pour un marin, entra et embrassa la scène d’un regard d’aigle.
— De Megli, comment avez-vous découvert cet homme ?
— Je vous présente le lieutenant commander Kovask, signore. C’est grâce à son impatience que nous sommes tombés dans ce nid et nous avons l’impression qu’il sera garni.
Les deux hommes se serrèrent la main, puis le patron jeta un regard en coin à Alberti.
— Et lui ?
— L’archiviste de l’école.
— Ah ! bien !
Il alla s’installer dans un fauteuil. Quatre hommes entrèrent ensuite et l’un d’eux s’attaqua tout de suite au coffre, tandis que les trois autres allaient fouiller le reste de la maison. Bientôt, il en revint un.
— Dans la cave, un poste émetteur longueur d’ondes ultra-courtes et aussi une sorte de fosse. Je me demande s’il n’y a pas un cadavre dessous.
— Comment l’avez-vous découvert ? demanda le patron de De Megli.
Kovask l’expliqua.
— Je suis revenu là-bas dans l’après-midi et j’ai profité d’une absence d’Alberti pour aller jeter un coup d’œil dans son dossier personnel.
Tout est dans la même salle. J’ai relevé cette adresse.
Le coffre était ouvert. Il y avait de l’argent dans la partie supérieure, des lires, des livres et des dollars. Puis de nombreux dossiers qui ne paraissaient pas codés à l’exception de quelques pièces.
— Il se sentait en parfaite tranquillité. Peu de personnel et rien que des agents obligés d’obéir.
La fouille continua jusqu’à une heure avancée de la nuit, mais, si elle révéla quantité de faits sensationnels, elle ne donna aucun renseignement sur la structure supérieure du réseau.
— Ce renseignement, c’est Alberti qui nous le donnera, et pas ses papiers, vous pouvez en être certain, dit Kovask.
L’homme était interrogé dans la pièce voisine.
Ucello prenait connaissance des papiers trouvés dans le coffre.
— Bien des accidents inexpliqués, des sabotages dont on n’a jamais retrouvé les coupables, paraissent le fait de cet homme et de sa bande, dit-il. Par contre, des tas de renseignements ont été groupés sur l’aviation, la marine, l’armée et les différentes industries travaillant pour la défense nationale. Il y a également un dossier pour les industries de première nécessité en cas de conflit, des renseignements peu usuels sur les chemins de fer.
Il passa sa main aux grosses veines bleues dans ses cheveux.
— C’est assez affolant. Imaginez une toile d’araignée couvrant tout notre pays.
Kovask prit l’un des dossiers.
— Alberti travaillait uniquement en Italie, mais d’autres s’occupaient de l’Angleterre, de l’Allemagne fédérale, de la France et des autres pays membres de l’O.T.A.N. L’arrestation d’Alberti est importante, mais ne doit pas faire oublier qu’il y a quelqu’un au-dessus de lui, qui dirige peut-être dix hommes de sa valeur.
Depuis quelques minutes, il avait l’impression qu’Ucello et ses hommes se désintéressaient de la tête de la bande.
— N’oubliez pas que si nous ne pouvons l’abattre, il reconvertira son système. Après tout, il y a d’autres écoles internationales, mais aussi des sociétés qui travaillent sur plusieurs pays. Dans la publicité par exemple.
— Ils ne trouveront cependant jamais la même occasion. La façade d’une maison extrêmement respectable, la maison-mère à Londres.
Ils allèrent retrouver les hommes qui interrogeaient Alberti. Sans cravate, col ouvert, l’archiviste transpirait abondamment mais paraissait se défendre avec ardeur.