— Je vais regretter de rentrer aux U.S.A., maintenant que je vous connais, dit-il. Ce serait bon de vivre ici une bonne partie de l’année à ne rien faire.
Elle baissa les yeux comme si elle s’intéressait à la cigarette qui fumait entre ses doigts.
— Il faudrait quand même pas mal d’argent. Il soupira :
— Hélas oui ! Je ne me plains pas de la chance d’entrer dans la T.A.S.A., dit-il. J’ai eu des débuts assez durs. Par chance, mon père était un ami de lord Simons. Je vais pouvoir repartir d’un bon pied.
— Quel âge avez-vous ?
— Trente-cinq. Un peu rassis pour trouver facilement un emploi convenable.
— Combien allez-vous gagner à New York ? Il se versa une autre tasse de café.
— Au moins six cents dollars pour commencer. Par la suite, j’espère que je pourrai atteindre sept ou huit cents.
Moira souriait avec l’indulgence d’une mère écoutant son enfant faire des projets.
— Je vous fais rire ?
— Vous me paraissez assez naïf, non ? La vie est très chère à New York. Croyez-vous que vous pourrez mener la grande vie ?
Jouant le jeu, il prit un air assez confus.
— Oui, évidemment… Fréquenter des filles comme vous me sera impossible, et pour cause.
— Venez, nous allons mettre le bateau à l’eau. Oubliez tout ça, pour le moment.
Il l’embrassa un peu plus tard, alors qu’il venait de remonter le dinghy sur la remorque, et le halait vers le garage sous la terrasse. Il s’arrêta pour souffler un peu.
— D’ordinaire, dit-elle, j’appelle deux pêcheurs pour m’aider et vous, vous y arrivez seul. Vous êtes rudement costaud.
Elle s’approcha de lui pour essuyer sa transpiration avec un linge de bain. Il la prit par la taille, l’attira. Tout de suite, elle répondit à son baiser.
— Il fallait en finir là, murmura-t-elle ensuite, vous me plaisez beaucoup.
Alors qu’il se changeait dans sa chambre elle entra toujours vêtue de son deux-pièces. Sans un mot elle dégrafa le haut, lui jeta un regard en coin, se dégagea du slip avec un déhanchement habile de strip-teaseuse. Il s’approcha d’elle, l’entraîna vers le lit.
Un peu plus tard, elle lui caressait la poitrine tout en bavardant avec lui.
— Je vais souvent à New York, dit-elle. Nous nous rencontrerons plusieurs fois par an.
— J’aimerais avoir une telle maison pour te recevoir.
La jeune femme s’allongea sur le ventre, le visage dans le traversin. Il avait une vue agréable sur son dos et ses fesses.
— Tu es veuve, divorcée ?
— Non. Je ne me suis jamais mariée, dit-elle. Je n’en ai jamais eu envie. J’ai de l’argent, je peux choisir… mon partenaire, quand cela me plaît.
Il sourit.
— Très agréable en effet. Mais tout cet argent te vient de ta famille ?
Elle s’accouda, plongea ses yeux dans les siens.
— Je suis née pauvre comme Job. Kovask fronça le sourcil :
— Veux-tu dire ? … Moira s’esclaffa :
— Que vas-tu t’imaginer ? Je gagne mon argent avec mon cerveau et non avec mon corps.
— Tu devrais me donner la recette, dit-il en plaisantant.
Puis il ferma les yeux, sentant qu’elle l’observait avec attention. N’était-il pas allé trop vite en besogne ? Elle se leva et fit quelques pas dans la chambre. Jamais on n’aurait donné quarante ans à son corps, ni à son visage si une certaine dureté, due à ses activités occultes, ne l’avait marquée.
— La recette est bien simple. Je trouve les éléments dans mon métier. As-tu jamais réfléchi à ce qu’est une école par correspondance comme la T.A.S.A. ?
Kovask pensa qu’ils y étaient enfin. Maintenant plus que jamais tout devait se passer naturellement.
— Oui, bien sûr…
— Non, à ton air tu n’as pas encore compris. Des milliers de gens sont contactés, des spécialistes de toutes sortes. Tiens, regarde un des prospectus et que lis-tu : Énergie nucléaire, électronique, automation, chimie et pétrochimie, constructions métalliques, béton armé, mécanique générale et aussi mécanique auto, aviation, marine, froid…
Il se souleva sur ses coudes.
— Tu le connais par cœur.
— Dix mille, cent mille, un million d’élèves. Oui, dans le fichier, il y a plus d’un million d’élèves, et tous dépendent de la T.A.S.A. Des types intelligents, comme des imbéciles, des cupides et des honnêtes, des illuminés et des méticuleux.
S’approchant, elle se mit à genoux auprès du lit, le fixa dans les yeux.
— Voilà de quoi je tire la meilleure partie de mes revenus.
Il lui caressa la joue.
— Je ne comprends pas bien. Tu fais quelque chose en marge de la T.A.S.A.
— Bien sûr. Pourquoi pas ?
— C’est dangereux ? Elle s’esclaffa.
— Tu as peur ?
Soudain, il se redressa, le visage mauvais.
— Tu me montes un traquenard hein ? C’est le vieux lord qui t’a demandé de m’interviewer ?
— Tu es fou ?
Il continua la comédie.
— Pas tellement. Lord Simons ne paraît pas m’accorder toute sa confiance. Et il a très bien pu te payer, pour voir ce que j’avais dans le ventre.
Moira se coula contre lui, le repoussa contre le lit, cherchant le contact le plus intime.
— Idiot, va, idiot chéri !
Elle l’embrassa longuement, allongée sur lui.
— Tu veux que je continue ?
— Si ce n’est pas un piège, oui. J’espère que je ne vais pas y perdre ma situation.
— Si, au lieu de trois cents dollars, tu en touchais mille, dès le premier mois de ton installation à New York, puis quinze cents ?
La jeune femme le sentit tressaillir. Elle sourit.
— C’est une somme n’est-ce pas ?
— Qui faut-il tuer pour les avoir ?
Elle fit semblant de rire et d’apprécier son humour, mais il devinait une certaine impatience. Elle avait certainement hâte de lui arracher son accord. Peut-être à cause du micro qui enregistrait leur conversation. Il ne devait pas y en avoir sur la terrasse.
— Tu surveilleras les dossiers des élèves, tu relèveras le nom de ceux qui seraient susceptibles de te communiquer par la suite des renseignements professionnels.
— C’est de l’espionnage, ça ?
Son sourire l’abandonna et elle se releva.
— Il s’agit de documentation économique. Tous les pays de l’Europe ou du nouveau monde payent très cher pour connaître, par exemple, un nouveau mode de soudure ou la résistance des métaux dans des conditions données.
— Tu revends ces renseignements à qui ? Aux Russes ?
Elle haussa les épaules.
— Tu me crois folle ? Aux industriels, aux grosses sociétés.
— Et si tu te fais pincer ?
— Lord Simons me fichera dehors, mais je conserverai la liste des élèves en question.
Sans aucune gêne pour sa nudité, elle alla chercher un paquet de cigarettes.
— D’ailleurs, je ne travaille pas seule. Ce serait impossible. Si tu le veux je te ferai connaître mon ami et il te remettra une petite avance. Quatre cents livres peut-être.
Kovask enfila son short.
— C’est très intéressant, dit-il. Peux-tu m’indiquer exactement de quoi il s’agit ? Ça doit donner beaucoup de travail.
— Non, si tu t’organises… Mais, nous continuerons à table. Ça ne te tait rien de manger dans la salle de séjour ? Sur la terrasse, on cuit littéralement.
— Rien du tout, dit-il en souriant.
Il pensait au micro caché derrière le tableau.