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— Vous avez un bon odorat ? demanda soudain Kovask.

Sans s’émouvoir de la question, l’autre répondit aussitôt.

— Assez bon.

— Vous souvenez-vous des odeurs de ce fameux soir de l’incendie ?

Onorelli réfléchit durant une bonne minute, tandis que Kovask l’entraînait vers les bâtiments où les enquêteurs avaient relégué les restes des réservoirs à peinture.

— Oui, assez bien. D’abord l’odeur des vernis en train de brûler. Celle du bois et des métaux fondant à basse température.

— C’est tout ?

— Je crois.

— Aucune odeur d’essence ou d’huile ?

Le gros homme piqua du nez vers la terre, semblant très absorbé.

— Ne cherchez pas à me faire plaisir, dit Kovask sèchement.

— Peut-être, en effet.

Il ouvrit la porte du bâtiment et tout de suite fronça les sourcils tandis que son nez se mettait à palpiter.

— Toujours, ici, ça pue le fuel.

Kovask se précipita vers la petite pièce et découvrit le bidon renversé, et la nappe de fuel dans laquelle baignaient toutes les pièces récupérées après l’incendie.

— Quelqu’un a renversé ce bidon, dit Onorelli.

— Était-il là ce matin ?

— Possible. Le chauffage des bureaux des comptables et du magasinier marche au fuel domestique. C’est bien l’endroit où l’on pouvait stocker ce jerrican.

Kovask calcula qu’il n’y avait pas une heure qu’il avait posé la question sur les diesels à Ugo Montale, le directeur de la T.A.S.A. Maintenant, le doute n’était plus possible, mais les saboteurs venaient de commettre une faute.

— Vous avez raison, dit le chef du service de surveillance. Ça puait aussi le fuel, ce fameux soir.

CHAPITRE III

Le central téléphonique se trouvait dans un des bâtiments centraux. La standardiste répondit avec précision aux questions de Cesare Onorelli.

— Depuis une heure, j’ai reçu trois communications, l’une pour le signore Galli, la deuxième pour le chef magasinier et l’autre pour un des comptables dont la femme est à la maternité.

Les deux hommes ressortirent. Le visage de Cesare s’était transformé en une sorte de mufle impressionnant.

— Galli, hein ?

— Pourquoi pas le chef magasinier ? Il a également les clés du bâtiment où étaient entreposés les containers.

— Bâtiment E. Mais ce n’est pas lui. Venez avec moi.

Il l’entraîna vers une porte marquée chef magasinier. Un gros homme était installé derrière un bureau métallique. Son visage était plus violacé que brun, et Kovask comprit tout de suite, ce que voulait lui démontrer Cesare : l’homme ne pouvait se déplacer rapidement avec les deux béquilles accrochées à sa droite.

Onorelli échangea quelques paroles avec lui et ils ressortirent.

— Vous avez vu ? Un accident vieux de dix ans. Une grosse pièce de trois tonnes sur les jambes. Amputé à ras du bassin. Le meilleur des chefs de travaux chaudronnerie.

— Mais comment peut-il vérifier les stocks du bâtiment par exemple ?

— Il y passe la journée. Mais il lui aurait été impossible, après le coup de fil, d’aller là-bas et de revenir. Reste Galli.

Kovask le dévisagea :

— Vous le détestez ?

— Ouais. Depuis le fameux soir, ce salaud essaye de me mettre toute la responsabilité sur le dos. Et puis ce n’est pas un type normal. Un maniaque qui vit seul dans une villa du Corso Solferino. Un salaud qui s’envoie des mineures racolées sur le port. Il a déjà failli avoir une sale histoire.

Cesare Onorelli cracha sur le côté et glissa ses pouces dans sa ceinture de cuir.

— Laquelle ?

— Une fille qui est allée se plaindre à la police, disant qu’il l’avait enlevée et avait abusé d’elle. Un coup monté pour un beau chantage avec les parents de la petite p…, mais tout de même. N’a qu’à les choisir plus vieilles.

Kovask se demandait s’il était sincère ou bassement jaloux.

— On va le trouver ?

— Pas question.

Le gros Italien eut l’intention de dire quelque chose de senti, mais referma la bouche.

— Nous n’avons qu’un commencement de preuves. Dès maintenant nous allons organiser la surveillance du bonhomme.

— Ça risque d’être long. Et ils sont malins, lui et ceux qui le payent. Car y’a pas de doute, le gars fait ça pour du pognon. Ici, il doit se faire dans les deux cents mille lires. C’est pas avec ça qu’il peut s’envoyer deux ou trois filles par semaine. Les plus jeunes, c’est évidemment plus cher. Pour le sale coup dont je vous ai parlé, on dit qu’il a dû aligner près d’un million.

Kovask se dirigeait vers la sortie des chantiers. Cesare le suivait, le visage perplexe.

— Pourquoi aurait-il renversé ce bidon de fuel ?

— Pour qu’on n’en retrouve pas des traces plus anciennes sur les pièces.

Cesare eut un rire gras.

— Ça je l’avais pigé. Je ne suis pas complètement bouché. Mais pourquoi y aurait-il eu des traces de fuel sur les débris ?

— Je vous l’expliquerai plus tard.

Il suivait le regard de Cesare. Une voiture venait de s’immobiliser devant la conciergerie et il en sortait un officier de marine.

— La flotte intervient, murmura Onorelli.

Kovask reconnut les insignes de capitaine de corvette et sourit imperceptiblement. On lui envoyait un officier de même grade. Avant son départ de Washington le chef de l’O.N.I. l’avait prévenu. Les Italiens voulaient superviser son enquête.

Avec le flair habituel aux hommes de mer, l’officier italien se dirigea droit vers lui. Il ne pouvait tromper un collègue avec son teint recuit, ses cheveux presque blanchis par l’air marin.

— Lieutenant commander Kovask ? Capitaine de corvette Luigi de Megli. Je devais vous voir ici, ce matin, mais j’ai eu un empêchement. Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer.

— J’ignorais que nous avions rendez-vous ici, répondit Kovask un peu sèchement.

L’autre sourit. De belles dents blanches dans un visage régulier. Un rien de suffisance, mais beaucoup de détails sympathiques le faisaient oublier.

— Je vous présente le chef des vigiles. Cesare serra la main tendue, sans grand empressement. Il préférait nettement le Ricain.

— L’amirauté s’intéresse fort à cette affaire. Il y a un cargo similaire en construction sur la côte adriatique. Vous avez une idée de ce qui a pu se produire ?

Kovask eut un geste d’ignorance.

— Il y a certainement malveillance au départ, mais l’enquête sera difficile.

Luigi de Megli parut approuver, mais ses paroles créèrent une certaine sensation.

— Le cas du chimiste me paraît assez curieux. Un gars qui se casse la jambe le jour où il devait rendre ces peintures incombustibles… C’est quand même louche non ?

L’officier italien avait certainement étudié le dossier avec soin et il ne serait pas facile d’agir sans lui. Kovask se tourna vers Cesare.

— Pouvons-nous trouver une pièce tranquille pour bavarder loin des curieux tous les trois ?

— Sûr, dit Onorelli. Suivez-moi.

De Megli regardait Cesare avec curiosité.

— Vous avez l’accent américain, remarqua-t-il. Vous avez dû vivre de nombreuses années dans la patrie du lieutenant commander.