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— Ouais, vingt ans. Et je compte bien y revenir un jour, murmura l’autre avec un regard en coin pour Kovask.

Ils s’installèrent dans une petite pièce qui servait de bureau an chef des vigiles. Un lit de camp était dressé dans un angle.

— Je passe plusieurs nuits par semaine, expliqua Cesare.

Il s’installa dans son fauteuil, offrit des petits cigares. Kovask décida de jouer franc jeu et expliqua à l’officier italien ce qu’il avait découvert au cours de cette première journée d’enquête.

— Eh bien ! fit l’autre quand il eut terminé, vous n’avez pas perdu votre temps. En somme le chimiste et sa femme, le directeur de cette agence et l’ingénieur de la sécurité sont tous suspects. Et, de ces quatre personnes, Fordoro et Galli paraissent les plus vulnérables ?

Kovask approuva silencieusement.

— La sagesse serait de filer pendant quelques jours l’ingénieur. Nous finirions par découvrir un lien entre lui et les autres. Mais nous allons perdre beaucoup de temps.

— Avant votre arrivée, c’est ce que je comptais faire. Nous n’avons qu’un commencement de preuves contre lui, répondit Kovask. Maintenant, noua pouvons envisager une action plus rapide. Le coincer chez lui, par exemple, et le chambrer toute la nuit, s’il le faut, pour le faire parler.

— Momento, dit Cesare. Vous paraissez tous les deux comprendre comment il a pu s’y prendre pour faire exploser les bidons. Ce n’est pas du tout mon cas.

— Nous aurons l’occasion d’en reparler, dit Kovask. Pour en revenir à ma dernière proposition, je n’en suis en fait guère partisan. Galli peut très bien tenir le coup. Si nous l’abîmons un peu, qu’en ferons-nous ? Ou il aura parlé et nous devrons le confier à la police, ou il aura tenu le coup et nous devrons le remettre en circulation.

Luigi de Megli se tourna vers lui.

— Reste le bluff. Et le personnage le plus impressionnable reste le chimiste. Il est blessé, seul, presque abandonné par sa femme. J’ai pris contact avec la Questure. Pourquoi ne pas y aller tout de suite ? Avant que les autres ne réfléchissent trop.

— Nous pourrions ensuite nous occuper de Galli. Cesare va rester ici jusqu’à son départ. Pouvez-vous le prendre en filature ensuite ? Le gros homme était d’accord.

— Et nous nous retrouverons où ?

— À mon hôtel, dit Kovask, le Savoia Majestic près de la gare.

— Ecco, dit le gros homme.

De Megli possédait une Giuletta. Une demi-heure plus tard, ils pénétraient dans la clinique. Un inspecteur de la sûreté les attendait dans le hall. Le capitaine de corvette avait téléphoné depuis les chantiers.

— Il nous faut d’abord savoir si le blessé n’a reçu ni visite ni coup de fil.

L’infirmière responsable de l’étage fut formelle pour le téléphone.

— Moi seule peux répondre à un appel du central et juger si la communication peut être établie avec mes malades. Pour les visites il faut que j’interroge mon personnel.

Dix minutes plus tard, ils avaient la certitude que personne n’était venu voir le chimiste.

— Allons-y, dit Kovask.

L’infirmière les suivit d’un long regard intrigué. Bruno Fordoro lisait quand ils entrèrent. Il y eut un moment de panique dans son regard, et il pâlit lorsque l’inspecteur se présenta, sa carte à la main.

— Je vous préviens, signore, que tout ce que vous pourrez dire sera éventuellement retenu contre vous.

— Mais j’ai déjà répondu aux questions de la police.

— Il y a du nouveau, dit Kovask. Vous allez nous raconter votre soirée du 2 juin.

Fordoro ferma les yeux.

— Je vous ai déjà répondu.

— Vous refusez de parler, signore ? demanda le policier.

— Non. Ce soir-là, en sortant de mon travail, je suis allé attendre ma femme à son bureau.

Kovask intervint :

— Non. Elle ne travaille pas l’après-midi.

Le chimiste tourna sa tête sur le côté.

— Elle ne travaillait pas, mais c’est là que je devais la rencontrer.

— Pourquoi ?

— Nous devions sortir, tous les trois, avec son directeur.

— Vous êtes très liés ?

Le blessé murmura un oui sans enthousiasme.

— Ensuite ?

— Nous avons mangé dans une ostéria du port. Un repas bien arrosé. Et puis nous avons fait la tournée des bars.

— Jusqu’à quelle heure ?

— Très tard.

— Vous êtes rentré chez vous ?

— Non.

Les trois hommes retinrent leur respiration. Ils pressentaient que le chimiste allait enfin aller jusqu’au bout.

— Où êtes-vous allé ?

— Chez Ugo Montale, le directeur de ma femme. J’étais complètement ivre et ne pouvais me traîner. Ils m’ont sorti de la voiture pour me faire boire un peu d’ammoniaque. Emma ne voulait pas que je rentre aussi saoul chez nous.

Ils respectèrent son silence et Kovask, qui était le plus près de lui, vit un point brillant entre ses cils. Ce point grossissait, devenait une larme que l’homme n’essaya pas de cacher. Kovask, bien que prévenu contre la sensibilité des Latins, n’éprouva qu’une grande pitié pour le pauvre diable.

— Allez, mon vieux, débarrassez-vous de ça. Vous vous trouverez mieux ensuite.

— Je ne gais pas ce qui s’est passé, mais j’ai dû m’endormir sur le canapé du salon. J’ai dormi comme une masse. Quand je me suis réveillé, il faisait jour. Les oiseaux chantaient dans le petit parc qui entoure la maison. J’ai voulu me lever et j’ai constaté que je ne pouvais plus me servir de ma jambe droite.

Kovask échangea un regard avec son collègue. Le policier prenait des notes sans la moindre émotion.

— Ensuite ?

— J’ai appelé. Ma femme est venue. Elle portait un pyjama d’homme. Elle m’expliqua qu’elle avait couché à côté, qu’il avait été impossible de me transporter.

— Et Ugo Montale ?

— Il n’est venu que plus tard. J’ai dit à ma femme que ma jambe me faisait terriblement mal. Elle m’a aidé à enlever mon pantalon. Mon mollet était énorme, violacé.

Les larmes lui coulaient sans retenue. Il les essuya d’une main tremblante.

— Excusez-moi.

— Voulez-vous quelque chose ? Boire ?

— Une cigarette simplement.

Kovask la lui alluma et il tira dessus, comme s’il aspirait de l’oxygène.

— Ma femme m’a dit que j’étais tombé du perron en arrivant chez son directeur. Je ne me souvenais de rien. C’était comme si j’avais été drogué.

— Je pense que vous l’avez été, dit Kovask.

— Montale est arrivé. Il a diagnostiqué une fracture et c’est alors, que la comédie a commencé.

— Laquelle ?

Le chimiste laissa tomber sa main dans le cendrier. Il paraissait exténué.

— L’un et l’autre. Il fallait que ce soit un accident de trajet pour que je puisse tirer de ma fracture le maximum avec l’assurance auto et la sécurité sociale. C’était Emma qui insistait surtout. Je savais qu’elle aimait l’argent, mais à ce point !

Il ferma les yeux, continua de parler.

— Lui, disait qu’il pouvait être ennuyé par une enquête de la sécurité sociale, si on apprenait que l’accident était arrivé chez lui. Il m’offrait trois cents mille lires pour que je marche dans la combine. Pendant une heure, ils se sont acharnés et je souffrais. Finalement, j’ai accepté.

— Comment ont-ils procédé ?

— Ugo Montale m’a installé sur la banquette arrière de sa Mercedes et Emma est partie au volant de la 600. Son directeur avait pris un sac de graviers et il l’a répandu sur la route, le l’ai vu faire avec ma voiture. C’est un as du volant. Il a dérapé et est allé s’écraser contre la baraque en ruines. Ensuite, il a fallu m’installer au volant. J’ai souffert le martyre. Eux agissaient froidement, sans un élan, sans une parole d’encouragement. Je serrais les dents. À la moindre plainte, Emma j’en suis sûr, m’aurait injurié. Ils m’ont laissé là. La route est assez déserte. Une demi-heure plus tard un laitier m’a enfin découvert.