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Onorelli comprenait vite. Il fit un pas en avant.

— Fumier, je sais maintenant comment tu t’y es pris. Rien de plus facile, hein ? Soupape bloquée, pression anormale en réglant le compresseur sur quarante ou cinquante.

— Attendez, Onorelli, vous n’y êtes pas tout à fait. À quelle heure allumez-vous les projecteurs du chantier ?

— À la tombée de la nuit. Le 2 juin, vers huit heures et demie, neuf heures.

— Ce qui a mis le compresseur en route. Au ralenti puisque seulement branché sur le courant ordinaire par le signore Galli. Mais la pression s’élevait suffisamment pour obtenir une belle explosion une heure plus tard. Le bruit fait par l’appareil était infime. Onorelli explosa.

— De plus il est protégé par un bâti. Même à pleine puissance il fait moins de bruit que les autres. Alors mon salaud ? Le compresseur n’était pas relié aux réservoirs ?

— Un seul l’était, dit Kovask. Il a explosé et le feu a dû se transmettre par les soupapes aux autres containers. Ouvertes celles-là bien sûr.

Galli, très pâle, le front luisant de sueur, les regardait avec des yeux exorbités.

— Mais vous êtes fous. Et vous m’accusez de ça ?

— Il fallait un technicien et une peinture inflammable. Ne soyez pas plus royaliste que le roi mon vieux, ajoutait Kovask. Bruno Fordoro a avoué qu’il ne s’était pas cassé la jambe dans un accident. On la lui a cassée.

Kovask fit deux pas vers le petit homme.

— Ugo Montale, votre patron.

— Je ne connais pas cet homme. L’Américain éclata de rire.

— Vous expliquerez pourquoi on a relevé votre nom dans ses papiers.

— C’est faux.

Il criait d’une curieuse voix de fausset qui amenait un sourire méprisant sur les lèvres lippues de Cesare.

— Vous ne pouvez nier. On poursuit les recherches et on découvrira combien il vous a payé pour ce sabotage. Un ou deux millions certainement.

Galli trépignait sur place.

— Vous essayez de me faire avouer ce que je n’ai jamais fait. Sortez d’ici ! Sortez !

— Nous attendons la police qui doit nous rejoindre ici, dit Luigi de Megli. Nous espérions pouvoir nous entendre, mais du moment que vous vous obstinez, il n’y a plus qu’à laisser l’affaire se développer. Vous avez déjà eu maille à partie avec elle ?

— C’est ce salaud qui vous a renseigné ? dit Pietro Galli en désignant le chef des vigiles. Il est jaloux. Il est trop avare pour payer une fille et trop hideux pour les avoir à l’œil.

Onorelli sursauta et leva la main. La gifle projeta le petit homme sur le clavier ouvert du piano, et plusieurs notes retentirent lugubrement.

— Restons tranquilles, dit Kovask. Installons-nous dans ces fauteuils et attendons la police.

Galli se redressa, frottant sa joue. La grosse main de Cesare y avait laissé une trace d’un rouge sang, alors que le reste du visage restait blafard.

— Pourquoi vous en prenez-vous à moi ? gémit-il en se laissant tomber sur le tabouret.

— Nous voulions gagner du temps. Nous supposons que c’est la première fois que vous vous laissez aller à un acte aussi regrettable. Nous ne sommes pas là pour traquer les exécutants. Il nous faut la tête. Essayez de nous aider. Est-ce Emma Fordoro qui vous a aguiché ?

L’homme détourna les yeux.

— Oui n’est-ce pas ? Et puis, ils vous ont certainement payé.

Cesare alluma un de ses petits cigares. Kovask sortît une cigarette et se leva pour en offrir une à l’ingénieur.

— Vous allez lutter pourquoi ? L’affaire passera au contre-espionnage, au S.I.M., vous serez arrêté. Ils peuvent vous retenir des jours et des jours ; la direction de la Scafola ne vous reprendra pas.

L’Américain revint s’asseoir.

— Pourquoi ? Pour qui ?

D’un clin d’œil, l’officier italien lui fit comprendre qu’il était sur la bonne voie.

— Nous cherchons plus haut, mon vieux. Dans tous les pays de l’Europe, des cargos du type ELBA sont en construction.

— Je sais, dit l’ingénieur. J’ai visité un chantier anglais à Glasgow. Un mois avant que ne commence la construction de l’ELBA. Vu les circonstances spéciales de cette entreprise, la direction voulait appliquer de nouvelles mesures de sécurité.

— Un peu partout il y a eu des incidents bizarres à propos de ces navires en chantier. Le plus grave est celui qui est arrivé ici. Nous voulons empêcher les autres.

Galli fumait sa cigarette avec des mines qui énervaient Cesare Onorelli. Kovask surveillait ce dernier du coin de l’œil et, quand il le vit marcher vers l’ingénieur, il s’interposa.

— Laissez-moi lui faire une grosse tête à ce singe-là. Il se fout de nous et, avec vos propositions, il va s’en tirer blanc comme neige.

— Allez vous asseoir, fit Kovask durement. L’ingénieur soupira de soulagement. Il avait certainement peur des coups.

— Nous ne disposons plus guère de temps, signore Galli. Reconnaissez-vous les faits tels que je vous les ai exposés ?

Le petit Italien passa un doigt sur ses lèvres sèches, éteignit sa cigarette dans un cendrier.

— Je connais les Fordoro, dit-il. Depuis plusieurs mois. Emma est venue me voir ici, un après-midi. Son mari avait dû se rendre à Rome. Elle est restée jusqu’au lendemain matin.

Il parut sourire légèrement au souvenir des heures passées en compagnie de la jeune femme.

— C’est peu de temps après, que j’ai eu cette malheureuse histoire avec une petite prostituée du port. Bien sûr, elle n’avait que quinze ans.

— Peut-être moins, ricana Onorelli. Kovask le regarda fixement et le gros vigile se tut.

— Maintenant que j’y songe, il se pourrait que cette petite m’ait été envoyée. J’ai eu l’impression de tomber dans un traquenard. Elle accepte moyennant vingt mille lires de me suivre ici. Nous étions sur ce canapé lorsqu’elle se met à crier. Les parents surgissent, le père, un homme terrible, m’a même frappé. La police est arrivée. J’étais coincé. J’ai signé une reconnaissance de dettes de deux millions.

Le lieutenant commander songeait que les méthodes de ce réseau inconnu se ressemblaient. Bruno Fordoro d’abord, puis Galli. Ils étudiaient longuement chaque cas, découvraient le point faible des hommes dont ils avaient besoin.

— C’est assez classique, reconnaissait Galli. Emma m’a dit qu’elle pouvait me procurer un million tout de suite et l’autre, au bout de quelque temps. J’étais quand même aux abois. Je ne l’ai pas tellement crue, lorsqu’un jour elle m’a apporté cent billets de dix mille lires de la part de son patron, Ugo Montale.

— Vous l’avez rencontré alors ?

— Deux jours plus tard.

Galli se leva et Cesare se ramassa sur lui-même, prêt à bondir.

— Je boirais bien un verre.

— J’y vais, dit le chef des vigiles. À la cuisine ? Bien.

L’ingénieur poursuivit.

— Cet homme m’a expliqué très franchement que, tout en travaillant pour l’école internationale par correspondance, il faisait également du renseignement économique et commercial pour une société anglaise. Nos méthodes de travail et nos secrets l’intéressaient. Je lui ai fourni quelques détails sur la soudure des coques, et également sur l’élimination de l’électricité statique dans une construction où de si nombreux métaux sont employés. Rien de bien grave.

Cesare revenait avec une bouteille de Cinzano blanc sortant du réfrigérateur et couverte de buée, et quatre verres. Il déboucha la bouteille, fit bonne mesure avant de servir chacun, même Galli. Ce dernier but presque d’un trait, et le chef des vigiles lui remplit à nouveau son verre.