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Il y eut un silence et il dit encore:

- Et pourtant, qu'est-ce qu'ils lui ont passé! Bon Dieu, si tu avais vu sa tête!

Ils se turent un moment puis Gilberte demanda:

- Tu as peur, hein?

Il répondit sans hésiter:

- De tomber dans leurs pattes, oui!

La petite eut un haussement d'épaules en disant:

- C'est bon, si tu préfères que la mère Vintard soit tuée!

Elle avait dit cela sans élever le ton, mais sa voix était changée. Robert demeura surpris, sans un mot à répondre, avec simplement cette idée que Gilberte allait peut-être se fâcher et partir. Alors, de nouveau il eut peur. La nuit lui parut plus noire, plus froide et surtout plus vide.

- Gilberte, je ne sais plus, moi... Je ne sais plus ce qu'il faut faire. Mais je ne peux tout de même pas les faire coincer? On ne fait pas coincer des copains!

- Des copains!... Des copains...

Elle répétait le mot comme si elle l'eût entendu pour la première fois. Puis, après un temps de réflexion, elle demanda:

- Et s'ils volent la vieille? S'ils arrivent à la voler sans qu'elle se réveille. Si les gendarmes n'arrivent pas à les prendre, est-ce que ce sera toujours tes copains?

Robert baissa la tête. Elle attendit un peu puis s'approcha de lui à le frôler.

- Réponds-moi, dit-elle, est-ce que tu continuerais de les voir?

- Bien sûr, dit-il, ils auront volé... Mais moi... moi je ne suis pas avec eux.

Cette fois, elle se fâcha. Elle ne criait pas, à cause des maisons proches, mais elle parlait à mots hachés et très durs.

- Ils auront volé, et tu le sauras. Et tu ne diras rien. Et moi aussi, je saurai... Et tu m'obligeras peut-être à me taire aussi... Et si on m'interroge, tu m'obligeras à mentir... Et si mon père parle de ça, je serai obligée de me cacher, ou de faire comme toi, à midi, quand je t'ai parlé de la génisse des Bouvier!

- Mais la vieille, elle n'en fait rien, de cet argent...

Gilberte l'interrompit. Cette fois, elle ne put se retenir de crier.

- Alors, c'est une raison! C'est peut-être ce qu'ils t'ont dit pour t'entraîner avec eux. Et toi, tu as marché. Tu voudrais que je te donne raison...

Elle se tut soudain. Un volet s'ouvrait à la maison la plus proche.

- Qu'est-ce que c'est? lança une voix d'homme.

Ils se sauvèrent en courant. Et derrière eux la voix cria:

- Attendez un peu, bande de voyous, que je descende!

Un chien s'était mis à aboyer sur la gauche, dans une autre rue. Il y eut bientôt quatre ou cinq chiens qui se répondirent et un autre volet claqua.

- Allons dans le lavoir, lança Robert sans s'arrêter.

Ils prirent le sentier qui contourne le monument et se cachèrent sous le lavoir. Accroupis côte à côte derrière le grand bac de ciment, ils retenaient leur souffle. Les chiens aboyèrent encore longtemps puis, un à un, ils se turent. Le vent balançait toujours les lampes et la lueur de la plus proche venait parfois jusqu'au fond du lavoir. Le mur s'éclairait un instant, et ils pouvaient se voir dans un reflet.

- On a eu de la chance, dit Gilberte.

- Tu n'aurais pas dû crier comme ça.

- C'est ta faute, aussi. Tu te rends compte, ce que tu ferais! Mais tu sais qu'on est aussi coupable quand on sait et qu'on ne dit rien.

- On n'est pas coupable si les gendarmes ne nous trouvent pas.

- Tu ne comprends pas ce que je veux dire. Tu n'as pas le droit de te taire si tu sais que d'autres ont volé.

- Je ne peux tout de même pas les moucharder!

- C'est pourtant mieux que de laisser tuer une femme, non?

- C'est une vacherie.

- C'est peut-être une vacherie, mais les laisser faire et se taire après, c'est un péché.

Elle se tut, puis reprit en lui pinçant le bras.

- C'est un péché mortel. Tu entends?... Un péché mortel.

Robert ne dit rien. L'eau coulait dans le bassin et, quand le vent était très fort, le bruit changeait et de petites gouttes venaient jusqu'à eux.

Soudain, Gilberte posa sa main sur celle de Robert.

- Ça y est, dit-elle. J'ai trouvé.

- Quoi? Dis. Dis vite!

- Ce qu'il faut, c'est quelqu'un qui les empêche de faire ça et qui ne dise rien aux gendarmes. Quelqu'un qui ne les fasse pas punir. Quelqu'un qui soit capable de les arrêter et de leur expliquer qu'ils sont fous, mais sans les faire mettre en prison et surtout sans que tu sois embêté, toi.

- Alors?

- M. le Curé.

Il y eut un silence, puis Robert dit:

- Le curé?... Le curé?

- Oui, oui, tu vas aller le trouver, tu lui expliqueras. Il a une moto, tu sais bien. Vous irez tous les deux à Malataverne et, quand les autres viendront, il leur parlera. Ils l'écouteront.

Robert ne répondit pas. Gilberte s'était levée. Elle le tira par la main. Il se leva aussi mais n'avança pas.

- Allons, viens, dit-elle, faut pas attendre.

- Non. Je ne peux pas. Tu me vois aller trouver le curé, moi qui n'ai pas remis les pieds à l'église depuis que ma mère est morte?

- Mais tu es fou, voyons. C'est pas pour ça qu'il refusera de t'écouter.

- Non, non, deux ou trois fois, il a voulu me parler, j'ai toujours réussi à me débiner. Mais je sais bien qu'il m'en veut.

- Moi, je suis sûre qu'il t'écoutera.

- Non, c'est impossible.

- Mais enfin, pourquoi?

- Je crois bien que les autres m'en voudraient autant de les donner au curé qu'aux gendarmes.

- Ça alors, c'est un peu fort! Qu'est-ce qu'ils risquent? Se faire disputer un bon coup, peut-être prendre une paire de calottes, pas plus.

Elle attendit quelques instants puis, comme il ne répondait pas, elle reprit:

- D'ailleurs, ils le connaissent, je le sais. Ils vont à la messe, eux!

- Pas Serge.

- Si, quelquefois, avec sa grand-mère; et Christophe, lui, je le vois tous les dimanches.

- Si tu savais pourquoi il y va!

Elle se pencha vers lui. Il hésita, puis finit par dire en ricanant:

- C'est à cause de ses parents. Son père dit: "Quand on est dans le commerce, on n'a pas le droit d'avoir ses opinions, faut avoir celles de la majorité".

- Qu'est-ce que tu chantes là?

- C'est la vérité. Même que Christophe dit: "Si mon père était épicier chez les Zoulous, je serais obligé de faire la danse du ventre".

- Vous êtes des imbéciles, lança Gilberte. Moi, je suis sûre que la mère de Christophe est très pieuse!

- Je m'en fous!

Robert s'énervait. Il fit un pas en direction de la rue, regarda vers le bas, puis revint près de Gilberte qui n'avait pas bougé.

- Faut qu'on fasse quelque chose, dit-il. Tout à l'heure, ça sera trop tard.

- Moi, je ne vois que M. le Curé pour t'aider. Si tu ne veux pas, je crois qu'on ne peut rien faire... alors, c'est pas la peine de rester là si on ne fait rien.

Elle ébaucha un mouvement comme pour s'éloigner. Robert la retint et se planta devant elle.

- Non, non, t'en va pas... Me laisse pas tout seul, tu ne peux pas faire ça!

- Alors, décide-toi...

Elle s'interrompit. Une bouffée de vent venait d'apporter le ronronnement d'un moteur. Ils s'éloignèrent de la route et retournèrent s'accroupir derrière le bassin.

La voiture passa. Les phares éclairèrent le mur du fond couvert d'inscriptions à la craie tout autour de la pancarte: "les parents sont responsables des dégâts causés au lavoir par les enfants".

- Et si tu y allais, toi? demanda Robert.

- Moi?

- Ma foi. Tu le connais mieux que moi, puisque tu vas à la messe, le dimanche.

- Mais il faudrait que je lui dise que je te vois. Que je suis sortie avec toi.

- Pas forcément, tu peux bien dire que c'est toi qui as vu des gens tourner autour de la maison à la mère Vintard.