Выбрать главу

— Vas-tu me dire ce qui se passe ? C’est en rapport avec la banque ? Un de tes clients ? Mais dis-moi !

— Je ne sais pas, ils ont des choses à vérifier.

— Des choses, quelles choses ?

— Je ne sais pas…

— Tu seras rentré pour le dîner ?

— Je ne sais pas.

— Qu’est-ce que je dis à Brian ?

— Surtout rien ! Si qui que ce soit de la banque appelle, ne dis rien ! Invente quelque chose.

— Quoi ?

— Dis-leur que… je ne sais pas, invente !

— Mais quoi, par exemple ?

Fitzpatrick n’eut pas le temps de chercher, un des agents fédéraux lui appuya sur le haut du crâne avec le plat de la main pour le faire monter à l’arrière de la voiture. C’est à ce geste que Ronan comprit qu’il ne serait pas rentré pour le dîner.

Melanie rentra chez elle, paniquée à l’idée de ne pas trouver un mensonge plausible pour justifier ce départ précipité. Ronan est au chevet de son père… Ronan a été témoin d’un accident grave… Ronan est parti d’urgence en Europe ! Qu’est-ce qui pouvait expliquer un départ précipité en Europe à dix-neuf heures ? Il y avait sûrement mieux… quelque chose d’imparable… Ronan est en train de donner un rein dans le Wyoming… Ronan a été pris en otage par un gang… Ronan a fait un détour par chez Tyler pour prendre le sorbet et depuis on n’a plus de nouvelles de lui… Tout mais pas : Ronan est en ce moment interrogé par le FBI. Melanie dut se rendre à l’évidence, en matière de dissimulation, elle avait encore des progrès à faire.

Durant son interrogatoire, Ronan Fitzpatrick entendit d’emblée le nom qu’il aurait préféré oublier, celui de Louie Cipriani. Durant les quatre ou cinq années qui avaient suivi l’affaire Pareto, Ronan n’avait pas eu à regretter ses accointances avec ses « amis » du New Jersey, mais son amitié avec Louie était devenue encombrante quand il avait fait parler de lui dans la presse lors d’un procès pour extorsion de fonds, où il avait été acquitté faute de preuve. Les parties de squash et les week-ends en bateau s’étaient faits plus rares, jusqu’à ce que Ronan lui demande de ne plus appeler à la banque, puis de ne plus appeler du tout.

*

Pendant que Fitzpatrick passait sans grande arrogance sa première heure d’interrogatoire, Louie Cipriani patientait devant l’école primaire du quartier de Lyndale, Minneapolis, Minnesota. À peine un an plus tôt, il avait voulu prendre ses distances avec le tumulte new-yorkais et s’était installé dans un coin sans histoires, avec sa femme et son jeune fils, les deux derniers êtres au monde à vouloir encore de lui. Poursuivi par le fisc, les créanciers et quelques associés grugés, il vivait désormais aux crochets de sa jeune épouse qui multipliait les heures supplémentaires pour payer un avocat de seconde catégorie. Louie n’avait plus qu’un seul désir : solder sa vie d’escroc mondain pour élever son fils dans la dignité.

À cent mètres en retrait, dans la voiture qui le filait depuis le matin, l’agent Hall et l’agent Esteban attendaient les instructions du Bureau de Washington.

— Ils sont en train de cuisiner un banquier de Trenton, dit Hall. C’est une question de minutes, le gars est en train de frire de trouille.

À peine venait-il de terminer sa phrase que, par téléphone, on leur donnait le feu vert pour appréhender Cipriani.

— On va quand même pas le serrer devant son gosse ?

— Il a quel âge ?

— Huit ou neuf.

— Qu’est-ce qu’on fait ?

Les grilles de l’établissement s’ouvrirent et un flot d’enfants en sortit. Louie accueillit dans ses bras un petit bonhomme de six ans qu’il adorait par-dessus tout et qu’il venait chercher tous les soirs.

— Louie ! s’écria l’agent Esteban, un grand sourire aux lèvres.

Puis il embrassa sur les joues cet homme qu’il n’avait jamais vu de près et lui glissa quelques mots à l’oreille. Débordé par cette soudaine affection, Louie fut bien contraint de présenter ses nouveaux amis à son fils.

— Ils viennent de très loin. Papa n’a pas vu ses copains depuis longtemps.

Impressionné par les deux inconnus, le gosse agrippa un pan de la veste de son père.

— Je vais te déposer à la maison et je vais rester avec mes copains, parce que ça me fait très plaisir. Tu veux faire plaisir à papa ?

Le gosse n’y voyait rien à redire. Faire plaisir à son père était comme un honneur. Après l’avoir déposé, Louie se laissa passer les menottes et dit, les mâchoires serrées :

— Merci, les gars.

*

Le FBI avait coordonné toutes les arrestations qu’avaient entraînées les derniers aveux de Fred Wayne. Seul Ziggy De Witt, sur son bateau, fit l’objet d’un mandat d’arrêt international et put naviguer encore deux jours sans se douter que des agents d’Interpol l’attendaient au Cap-Vert. Après avoir appréhendé ces quelques hommes, le Bureau se sentait maintenant obligé de traiter le cas de Nathan Harris.

Fred avait dit vrai : Nathan n’avait jamais participé à l’attaque du fourgon de la Farnell qui avait fait un mort. Pourtant, à la suite d’une dénonciation par pure vengeance et d’un mauvais hasard juste avant l’opération, Nathan Harris avait été inculpé à la place de Ziggy De Witt, et aucun autre membre de l’équipe n’avait démenti, pas même Fred. Nathan avait toujours nié, il avait même plaidé non coupable lors d’un procès mal instruit sous la pression du gouverneur qui réclamait des têtes. Il avait écopé de quatre ans ferme à San Quentin, et n’avait eu de cesse de crier son innocence, d’exiger la révision de son procès avec une virulence jamais atténuée au fil des mois. Les administrations judiciaire et pénitentiaire étaient restées sourdes et Nathan était devenu fou. Après une tentative d’évasion ratée, il avait écopé de deux ans de plus, puis il avait agressé un gardien, et, dès sa sortie du quartier d’isolement, avait pris en otage, dans son bureau, le directeur de la prison. De fil en aiguille, au lieu de ses quatre ans, il en avait purgé quatorze à San Quentin, dont trois sans croiser âme qui vive.

Et tout à coup, on venait de le libérer, alors qu’il n’avait rien demandé, qu’il ne réclamait plus aucune révision, et qu’il avait presque oublié que sa vie avait basculé à cause d’une erreur judiciaire. Tout surpris de longer, son sac à la main, le couloir de la sortie de la prison, il se retrouvait au grand jour et apercevait l’horizon, avec, au loin, la baie de San Francisco. Une silhouette l’attendait, les mains dans les poches, le dos contre la portière d’une voiture.

— … Agent Hargreaves ? C’est vous ?

Le capitaine s’approcha et lui tendit la main.

— Bonjour, Nathan.

— Après quatorze ans bouclé dans cet enfer, la première personne que je croise, c’est vous ?

— Il fallait que je vous parle.

— Ne me dites pas que c’est à vous que je dois la révision de mon dossier ?

Le capitaine Alec Hargreaves, qui, à l’époque, avait mené l’enquête et mis Nathan sous les verrous, avait pris une initiative que personne ne lui imposait en venant l’attendre à sa sortie de prison.

— Non, ce n’est pas moi. Disons qu’un complément d’information est venu éclairer différemment l’affaire du convoi de fonds de la Farnell.

— Un complément d’information…

— Vous n’étiez pas le quatrième homme.

— Ah oui ? Bonne nouvelle. Quatorze ans de ma vie… Quatorze ans, obsédé par cette injustice. Quatorze ans à essayer de comprendre comment vous aviez pu commettre une erreur pareille. Et vous allez faire quoi, là ? Me présenter des excuses ? Des indemnités sont prévues dans pareil cas ? Une seule heure à San Quentin, ça coûte combien, d’après vous ? Je peux attaquer l’Oncle Sam, je me suis renseigné.