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Après des amours réussies, la femme contemple son compagnon pour continuer de lui donner de la tendresse, tandis que l’homme, lui, recommence à se demander s’il va pouvoir faire reporter ou non la traite néfaste qui doit lui débouler sur le compte courant à la fin du mois.

Elle reste prostrée à mes pieds, la Yuchi. Bredouillante d’extase prolongée.

— J’ai failli mourir de plaisir, me dit-elle.

— Le plaisir aurait également été pour moi, réponds-je, en sachant de quoi je parle.

CHAPITRE II

DANS LEQUEL J’AI DES RELATIONS SEXUELLES AVEC UNE DAME

Ça t’est déjà arrivé, técolle, de te balader dans les faubourgs de Palerme à bord d’une calèche délabrée dont le cocher vient de mourir d’une injection d’acier dans le dossard ? Ce, en compagnie d’une demoiselle allemande, moche de vitrine mais fantastiquement douée pour la tringle ?

Justement, elle vient de réaliser le désastre, Yuchi. Tu vas me dire qu’un peuple qui a livré (et perdu, Dieu merci) la bataille de Stalingrad et dont on a rasé la capitale sous ses pieds et sur sa tête, ne se laisse pas impressionner par un simple cadavre. Qu’un meurtre, pour des gens qui ont mis au point des usines de déjuivation, c’est de l’artisanat moyen-âgeux. Bon, je veux bien, n’empêche que ça lui file une sombre secouée à la gosse. La v’là qui prend des teintes de gnons-le-lendemain. Et qui tremble kif-kif la carcasse que Turenne grondait si fort. Elle se blottit contre moi, m’agrippe farouchement.

— Mais qu’est-ce il y a ? Qu’est-ce il y a ? elle demande.

— Je crois, réponds-je avec un maximum de pertinence, que nous venons de traverser un quartier peu sûr, ma dearlinge.

Là-dessus, je risque un z’œil par l’échancrure de la capote. La ruelle est déserte. Les murs de terre continuent, de part et d’autre. Je pige que celui de droite borde un cimetière, et celui de gauche un cloître. Des chants latins montent dans l’air surchauffé… C’est une vraie belle paix religieuse. Dieu et l’été en harmonie, tu mords le topo ?

Autre constatation : notre bourrin n’avance plus. Depuis qu’il a cessé d’être manipulé de la ganache par le pauvre cocher, il s’est arrêté, mais comme les mouches l’houspillent, il piaffe d’abondance, ce qui continue de cigogner la calèche et de nous donner une impression de mouvement.

Moi, tu me connais ? L’homme des décisions rapides.

— Descendez, Yuchi !

Elle obéit en flageolant. Je l’imite. D’une secousse je bascule le cocher à l’arrière du véhicule, là que nous étions. Il était assis sur une vieille couverture. Je la déploie et l’en recouvre. Des poux de plusieurs variétés se dispersent en rangs serrés. Je fais alors signe à mon aimable partenaire de se jucher sur le banc qu’occupait le digne homme ; j’en fais autant et m’empare des rênes.

— Allez, hue !

Un canasson, tu peux pas savoir ce qu’il est sensible à la voix. Lui, depuis plus de vingt piges qu’il faisait équipe avec le père Spaghetti, il comprend plus aucun autre langage que celui de son maître. J’ai beau te lui virguler des Hop hue ! Des Avanti ! Des galoppo ! il continue de s’ébrouer les mouches en redégainant sa nostalgique chopine. Parce qu’un cheval, t’auras remarqué, sitôt qu’il est immobile, il y va sec au tricotin. Le chibroque pendulaire, c’est sa distraction, quand il est en état de farniente.

Comme il n’obéit point à la voix, j’use du fouet. Chlag et chlaggg ! Rien n’y fait. Mister Pégase ne s’envole pas. Je sens que je ne viendrai pas à bout de sa farouche obstination. Et puis, les animaux, ça sent les choses. Qui te dit qu’il n’a pas pigé le décès de son cocher, l’étalon fougueux ? En signe de deuil, il refuse de marcher avec d’autres mains au bout des guides.

Furax, je saute sur le sol et m’avance jusqu’aux naseaux de la brave bête.

Empoigne sa bride.

Il renâcle. Fait un hhhhiiiiiihhhiiiii qui n’en finit pas.

Je tire plus fort. Le mors est arraché de la bouche du bourrin. Alors, il le prend aux dents, pour le coup. C’est l’emballade forcenée.

Le voilà qui se met à tracer comme une météorite dans la ruelle après m’avoir bousculé irrésistiblement. Une roue du carrosse me passe au ras du pif. La calèche ressemble à une casserole à la queue d’un chien. Elle brimbale éperdument, se cogne d’un mur à l’autre, démantèle à tout va.

— Sautez ! Sautez, Yuchi ! j’égosille.

Elle a dû faire du sport dans son jeune âge, parce qu’elle est d’une souplesse de cascadeur, cette petite poule. Je la vois jaillir de la carriole, se mettre en boule, façon parachutiste à la réception, et rouler sans dommages sur la chaussée. Effectivement, elle est relevée avant que je ne l’aie rejointe. Pas même contusionnée. Simplement, sa robe s’est fendue dans le dos, de la taille à l’ourlet et on voit son slip de couleur chair.

— Vous n’avez pas de mal ?

— Non…

Je l’aide à s’épousseter, m’attardant aux volumes les mieux venus.

— Ma robe est perdue, n’est-ce pas ? s’inquiète la coquette.

— Tout m’incite à le croire. Heureusement que vous portez un slip.

Elle fronce les sourcils et se palpe la malle arrière.

— Quoi, un slip ? Le mien est resté dans la calèche.

Mince, excuse du peu, j’avais mal vu. C’est pas son slip qui est de couleur chair, mais ses fesses.

* * *

Quelque part, des capucins ou assimilés continuent de glorifier Dieu à tue-tête. Le bourrin en folie a disparu au bout de la rue. Dans un sens, vaut mieux qu’il coltine le cadavre le plus loin possible, non ?

— Rebroussons chemin, décidé-je. Si on trouve une boutique, je vous achèterai une jupe, ou tout au moins des épingles pour rajuster votre robe.

Elle sursaute.

— Mon sac à main aussi est resté dans la voiture.

— Votre passeport s’y trouve ?

— Non, je l’ai laissé à bord, mais j’avais de l’argent dedans.

— Beaucoup ?

— Une centaine de dollars.

— En travellers ?

— Non, en liquide et aussi quelques milliers de lires.

— Ça n’est pas grave. Vous auriez pu perdre beaucoup plus que cent dollars dans cette aventure. Quelqu’un vous en veut ?

— À moi ? Quelle idée !

— On nous a lâché une rafale de mitraillette sur le paletot.

— Pourquoi décidez-vous que c’est à moi qu’on en voulait ?

Je me mords les lèvres.

Hoche la tête.

Quoi répondre ? Elle a raison, la Yuchi.

On arpente le sol poudreux, la main dans la main. Image de cinoche. Un couple au soleil. La robe fendue. Les chants religieux, tu mates le tableautin, camarade ? On ne parle plus. On a rien à se dire. La surprise, l’émotion, le côté insensé de l’aventure nous cotonnent le bulbe. Et puis, dans le fond, parler est le plus moche moyen de communication. L’homme ne s’exprime pleinement que par ses silences. La vraie éloquence ! Ta gueule ! Tu la fermes hermétique et tu seras compris. Dès que des mots te dégoulinent, t’es marron, trahi, mal interprété. Les autres font ce qu’ils veulent de tes mots, tandis que tes silences les affolent. Tiens ta langue et ils se mettront en huit pour essayer de piger ce que tu ne dis pas. Ils te feront mille propositions. T’auras qu’à choisir. Tu seras fort. Bouche cousue, c’est la position clef. Imprenable.

Donc, on avance dans cette interminable et minable ruelle. Le sol s’incurve pour faciliter l’écoulage de l’eau.

Quand y’a de l’eau.

En ce moment, on joue sècheresse intégrale. Au point que les petites plantes téméraires qui poussaient dans le mur de pisé sont desséchées comme des fleurs-souvenirs (celles qu’on oublie le mieux puisqu’on les fout dans des livres épais).