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Je me dis, moi, que tout ce circus est plutôt burlesque. Celui ou ceux qui voulaient effacer Yuchi ou m’effacer nous a — ou ont — suivis, attendant un endroit, un moment propice à de noirs desseins.

La ruelle déserte, idéale !

Vrrran ! À dégager…

Heureusement, le Sana, roi de la pointe, calçait fräulein dans la calèche. Je ricane pour mon compte personnel. Ça soulage… Il m’arrive même de soliloquer. Ça oui, c’est du bon dialogue. Qui donc pourrait te mieux comprendre, pour en revenir à quelques paragraphes plus haut ?

Soudain, une pétarade nous fait sursauter.

Presque anachroniques, deux motos débouchent dans la ruelle, avec chacune deux passagers. Des bolides flambants neuf, chromes éclatants ! Motards à haume.

Et le Santantonio, immédiately, comprend que c’est du caca en branche qui se pointe. Qu’on va avoir droit d’ici pas tout à fait tout de suite à une jouerie épique. À du baroud forcené. Moderne. L’Équipée Sauvage, rimèque !

Un éclair. Le temps d’un éclair, tu connais ? Bien. Eh ben suppose que je m’ai mis à réfléchir au début de l’éclair, là qu’il montre le bout de son dard. Tu supposes comme il faut ? Bon. Figure-toi, dès lors, qu’à la fin dudit éclair, c’est-à-dire lorsque son cul-de-zag (le zig ayant déjà disparu) fulgure, j’ai déjà tout vu, tout pigé, tout analysé, tout décidé.

Comme t’as une cervelle branchée sur le 110 (et sans compteur bleu) je vais te décomposer pour que tu puisses m’emboîter le caberlot.

Les motards arrière ont quelque chose dans les bras. Comme des housses de canne à pêche, mais ça dissimule des armes. Ils se préparent à nous braquer et on va avoir droit au magique potage, pas çui qu’a le goût de flic, çui qu’a le goût de cercueil. Conclusion, le vaillant commissaire Antonio de mes San doit prendre les devants s’il veut conserver la jouissance de ses droits d’auteur qui tellement emmerdent de monde.

Alors, quoi ? Hein ? D’accord ?

Tu me verrais au carnage, mec !

Ce boulot ! Buffalo en train de se faire du Bill ! J’espère de toutes mes forces spirituelles et physiques être en état de légitime défense, comme disent les éléphants mariés ; sinon je serais obligé d’entrer à la Trappe et d’y demeurer au moins quinze jours pour expier pareil forfait.

Mon feu en poigne. Je lève le coude gauche (Béru, c’est le droit). Prends appui, vise. Poum, poum ! Et poum ! Car une seule valduche suffit pour le second canardeur en puissance. Celui de la moto de gauche qui se trouvait légèrement en avant, soubresaute et bascule de côté. Déjà j’ai frictionné le ventricule de l’autre. Alors s’ensuit un embrouillamotos descriptible, la preuve ! La moto de gauche, déséquilibrée par le foudroyage de son passager arrière embarde et coupe le chemin à l’autre qui la télescope. J’ignore lequel des deux réservoirs explose, en tout cas ça produit un bath feu de joie, crois ! Une flamme de deux mètres. En un instant tout crame. Ceux qui ne sont pas morts se tordent au sol pour s’éteindre. Y’ a un tocycliste qu’est coincé dans le tas de ferraille. Ça gueule tu sais en quoi ? En anglais ! Un bigntz éperdu. Je chope la main de Yuchi, l’oblige à faire volte-face. Nous voici à galoper dans le sens contraire. J’espère qu’aucun de ces quatre messieurs ne récupérera une seringue pour nous arroser, vu qu’on est aussi fastoche à moucher dans cette ruelle qu’une vache normande dans un couloir chilien.

On n’est plus qu’à cent mètres de l’issue de ce piège à rats quand un nouveau quèque chose se produit, tout aussi inquiétant que le premier. Une grosse voiture, que je te dirai pas la marque à mon grand regret, barre la ruelle. Délibérément. Et des visages méchants s’encadrent aux portières. Oh, les vilains vilains ! Oh ! les petits monstres blafards à physionomies torves. Oh ! les gueux sanguinaires…

Ce qui nous accorde un répit, c’est que l’auto se trouve sur une voie passante. Ils ne vont pas jouer Fort Alamo sur place, faut qu’ils s’engagent dans notre ruelle, tu comprends ?

Et toujours ces chants magnifiques qui montent dans l’air immobile, célébrant la gloire de Dieu, de la vierge, des saints, des anges, du pape, des cardinaux, évêques, curés et toutim. Gloire ! Gloire ! Gloria ! Le ciel ! Le bonheur ! Les plumes dans le dos ! L’éclairage au néon en guise de galure ! Les très saints saints, tagadagada ! Gloria ! Pitié ! Encore ! Merci ! Ave ! Ave ! Avé tout ce que tu voudras…

Moi, pour l’instant, ça ne fait pas mon blaud, cette ferveur professionnelle de ces messieurs moines ritals assermentés. Je te veux bien qu’ils implorent pour eux, pour le monde, la Banque d’Italia, les seins tétés, leurs enfants putatifs, leurs nanas putassières, la Paix universelle, les spaghetti à la vongole, pour Charybde et pour Scylla. J’ai mon extrait de naissance qui désagrège, les mecs. Faut que je me rafistole le futur, illico, voire même presto. Mais quoi ? Hein ? La ruelle obstruée des deux bouts.

Par comble de malheur, voilà les affreux qui dégagent de leur pompe, armés de pieds en cap. S’avancent à notre avance, comme dirait Bérurier-le-Vaillant. On serait dans un film chinois, je leur ferais la toute belle séance de kung-fu ; tu sais ? le mec qui, à mains nues, affronte cent mitrailleurs d’élite et les extermine le temps que t’ailles lâcher un fil, comme on dit en Romandie. Le cinoche est l’art de l’illuse. Il ne te laisse pas le temps d’être cartésien. C’est du réalisme qui te masque le réel, donc du surréalisme. Le gus qui démène comme un diable jaune, satonne les burnes de celui-ci, crève les lotos de celui-là, ajuste un coup mortel au plexus de l’autre, fend des crânes du tranchant de pogne, pulvérise des mâchoires, broie des carotides, il a affaire à des gnards patients, qu’attendent leur tour d’être mis k.o. comme chez le dentiste. Ils sont cent, te dis-je, mais nécessairement, il se collette avec pas plus de deux trois à la fois. Pendant ce temps, les autres ne tirent pas, n’interviennent pas, se branlent les méninges en regardant la dérouillée infligée à leurs potes avec des yeux venimeux, ultra-furax.

Bon, j’ai rien d’un émule de Bruce Lee, mégnace. Je karate un brin, donne une jolie réplique à un châtaigneur et réussis quelques belles prouesses en force et souplesse, mais de là à décimer un corps d’armée, hein ?

Donc : S.O.S. à la Providence.

Balladin à la langue merveilleuse, le Sana. On a cessé de courir. La main de Yuchi est aussi moite que tout à l’heure son mignon prosibe en délire. Elle crispe la mienne à outrance, comme pour me puiser de l’énergie.

Soudain, j’avise une porte basse, en bois vermoulu, logée dans le mur de droite (celui du cimetière). Je m’y précipite, y balance un coup de pompe que tu pourrais qualifier de démoniaque sans t’abîmer la glande syntaxique. Tu crois que le panneau va résister à ce rush, toi ? Alors c’est que tu es crédule ! Elle valdingue chez Plume, la pauvre lourde ancestrale. Un gond disloqué. Ressemble à une page de livre à demi arrachée. Bon, tu viens, Yuchi ?

Pas besoin de lui envoyer un carton gravé. Elle est déjà dans le cimetière. On se met à cavalcader à travers les somptueuses tombes marmoréennes. Je ne l’ai pas lâchée. Elle fonce en beauté, pas du tout à la manière des dadames qui se castagnettent les genoux en courant, mais d’une belle foulée de coureuse de stade. On traverse le cimetière, part en part, sous les yeux ébaubis de grosses veuves ébahies venues laver le seuil de leur sépulcre à la larme riche en sodium. Nos poursuivants nous poursuivent, ce qui est normal pour des poursuivants ; mais avec une certaine mesure, comme s’ils redoutaient de déclencher une offensive d’artillerie au royaume des allongés. Ils avancent précipitamment, se déployant en éventail pour aller couper les issues. Ils sont trois. Moi, je cesse de gamberger. Dans ces cas critiques, un conseil, fiston : laisse agir ton instinct. Réfléchir, en de telles circonstances, c’est se neutraliser.