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Au carrefour de Vlaska et de Draskoviceva, interdite aux véhicules, la Golf devait obligatoirement tourner à droite, sur Mose Pijade, la grande avenue montant le long du parc de la cathédrale, prolongement de la rue Vlaska. Pour l’instant, une rame de tram en train de virer à gauche bouchait le passage. Mladen Lazorov croisa soudain dans le rétroviseur de la Golf le regard du conducteur, et eut la conviction que ce dernier venait de s’apercevoir qu’il était suivi…

Arrivée au carrefour, la Golf GTI déboîta et prit à gauche dans Draskoviceva la voie semi-piétonnière.

Mladen Lazorov en fit autant et déclencha sa sirène. Inutile de se cacher.

La Golf dévalait à plus de cent cinquante, zigzaguant entre les piétons et les trams. Brutalement, elle tourna à droite, dans un sens interdit, puis de nouveau à droite, montant vers l’ancienne place de la République, récemment rebaptisée Gelatsu. Malgré la puissance de la BMW, Lazorov avait du mal à suivre…

— Bon sang, mais il est fou ! murmura-t-il pour lui-même.

Le conducteur de la Golf se dirigeait en pleine zone piétonnière ! À grands coups de klaxon, faisant fuir les piétons. Il surgit comme un bolide en bordure de la grande place de la République et longea plusieurs rames de trams arrêtées. Dans sa radio, Mladen Lazorov entendait les messages pressants des voitures de la Milicja qui convergeaient vers le quartier.

De nouveau, il empoigna son micro.

— Il se dirige vers Ilica, annonça-t-il, mais il peut encore changer.

À son tour, il dut piler et se dégager de la foule. Un milicien surgit, agitant son petit disque rouge pour lui faire signe de s’arrêter… Par la glace ouverte, Mladen Lazorov lança :

— Collègue !

Il déboucha sur la place juste à temps pour voir la Golf dévaler le long d’une rame de tram arrêtée, à plus de cent à l’heure ! Mladen ferma les yeux : deux femmes qui n’avaient pas aperçu à temps le véhicule venaient de se faire faucher. Horrifié, il vit les corps littéralement s’envoler pour retomber à plusieurs mètres…

La Golf GTI ne ralentit même pas, presque arrivée à l’entrée de la rue Ilica, l’artère commerçante de Zagreb, filant vers l’ouest. Les mâchoires serrées, craignant à chaque seconde de provoquer à son tour un accident, Mladen Lazorov essaya de ne pas se faire distancer. Soudain, la foule se referma autour de la BMW et il dut freiner. Des dizaines de visages haineux s’écrasaient contre ses glaces fermées, des gens donnaient des coups de pied dans sa carrosserie ! Un groupe horrifié entourait les corps disloqués des victimes, un peu plus loin.

Il allait se faire lyncher.

Arrachant de sa ceinture le pistolet automatique SZ qu’il portait dans son holster, il le brandit en hurlant :

— Policja ! Policja !

Les plus proches s’écartèrent et il put enfin se frayer un chemin. La Golf avait disparu dans Ilica. Il crut d’abord qu’elle avait tourné à droite, remontant Kalciceva vers le nord et le quartier résidentiel. Puis, il l’aperçut, cent mètres devant.

Coincée !

Une voiture était immobilisée au milieu de la rue, peut-être en panne, et deux rames de trams allant en sens inverse, arrêtées toutes les deux, achevaient de boucher le passage. Sauf en volant, la Golf ne pouvait pas passer… Mais au moment où Mladen Lazorov arrivait derrière elle, une des rames s’ébranla et, aussitôt, le conducteur de la Golf se faufila, reprenant sa course folle. Cette fois, Mladen Lazorov ne rentra pas son pistolet. Il avait affaire à des gens dangereux.

— Ils descendent la rue Ilica ! hurla-t-il dans son micro.

La plus longue rue de Zagreb : onze kilomètres, se terminant à l’autoroute de Maribor. Si elle parvenait jusque-là, la Golf s’en sortirait…

La poursuite reprit. Mladen n’avait jamais conduit à cette allure-là ! À un moment, il regarda son compteur : 190. Devant lui, la Golf semblait voler entre les rails, klaxonnant sans arrêt.

Lui avait mis ses phares et sa sirène. Les gens s’écartaient, médusés. Ils n’avaient jamais vu une poursuite de cette espèce dans Zagreb, capitale paisible de la Croatie… Mladen Lazorov réalisa que la Golf allait lui échapper. Alors, à regret, il prit son SZ de la main gauche, ôta le cran de sûreté et attendit de se rapprocher, pied au plancher.

Quand il ne fut plus qu’à une dizaine de mètres du véhicule poursuivi, il étendit le bras et pressa la détente de son arme, visant les pneus de la Golf GTI. Sans s’en rendre compte, aidé par les cahots, il vida tout son chargeur d’un coup. La lunette arrière de la Golf devint opaque. Puis, Mladen Lazorov discerna un léger flottement dans sa course… Enfin, elle se mit franchement à zigzaguer, perdant de la vitesse.

Un tram arrivait en face, faisant désespérément sonner son timbre. La Golf l’évita de justesse, frottant sa carrosserie tout du long et perdant encore de la vitesse. Mladen Lazorov avait levé le pied, lui atissi.

La Golf noire repartit vers l’autre trottoir et termina sa course dans la vitrine d’une librairie, y enfonçant tout son capot… Le policier était déjà à terre. Le temps de remettre un chargeur dans son SZ, il ouvrait la portière de la Golf, attrapait le conducteur par l’épaule et l’arrachait de son siège. L’homme tomba sur la chaussée, inerte.

— Relève-toi, salaud ! lança Mladen Lazorov, le menaçant de son arme.

Puis il réalisa que l’autre ne risquait pas d’obéir. Un des projectiles du SZ l’avait atteint à la nuque, lui traversant tout le cerveau, et ressortant par un œil. Il n’était pas beau à voir. Mladen Lazorov resta immobile, son pistolet à bout de bras. Sonné. C’était la première fois qu’il tuait un homme…

Il vit à peine l’autre portière s’ouvrir et un homme se faufiler à l’extérieur, fendant le groupe de badauds accourus.

— Arrêtez-le ! cria-t-il.

Il avait repris ses esprits trop tard. L’homme s’éloignait déjà en courant dans Ilica. Mladen se jeta à sa poursuite, tirant une fois en l’air. Au début, il aurait probablement pu le toucher, mais le choc d’avoir donné la mort l’inhibait. Ensuite, il perdit de vue le fugitif avalé par la foule dense, et dut rebrousser chemin. L’autre avait dû se réfugier dans une des innombrables cours d’immeubles. Lorsqu’il revint près de la voiture écrasée, deux véhicules de la Milicja étaient déjà là, et leurs occupants écartaient les badauds… Il aperçut à la ceinture de l’homme qu’il avait tué un petit revolver accroché à un holster, avec une cartouchière. Sa gorge se noua soudain. Est-ce qu’il avait tué un collègue ?

* * *

Malko pénétra dans le bureau de Jack Ferguson, intrigué au plus haut point. Le chef de station de la CIA à Vienne l’avait appelé à Liezen, lui demandant de venir le plus rapidement possible. Pour une communication urgente.

— Il y a du nouveau, annonça l’Américain. Nous avons peut-être retrouvé l’assassin de Boris Miletic.

— Où ?

— À Zagreb.

— Qui est-ce ?

— Nous n’en savons rien.

— Vous plaisantez…

— Non, expliqua l’Américain. Il a échappé aux policiers croates.

Il raconta à Malko la course-poursuite en plein Zagreb, et ce qui en était résulté. Le signalement de l’homme qui s’était enfui à bord de la Golf GTI noire sous le nez des policiers correspondait parfaitement à celui donné par Swesda Damicilovic, témoin du meurtre de Boris Miletic. Ainsi que le poignard dont l’inconnu avait menacé les policiers. Hélas, le milicien qui avait examiné le passeport du meurtrier ne se souvenait pas du nom. Seulement qu’il s’agissait d’un document argentin. Comme il y avait au moins deux cent mille Croates en Argentine…

— Nous ne sommes donc pas plus avancés, conclut Malko. Mais nous savons au moins que ce charmant personnage se trouve à Zagreb.