Выбрать главу

— Tout va bien, traduisit celui-ci. Mais le chauffeur, c’est qui ?

Gunther, toujours placide, referma les portes du camion.

— Un Allemand répondit Malko. Il a déjà travaillé avec nous, il est sûr. Comme il est mal payé par son patron, il se fait de petits suppléments.

Le Croate hocha la tête sans rien dire, visiblement satisfait par ses explications, puis échangea quelques mots avec Miroslav Benkovac. Ce dernier précisa la suite des opérations.

— Il faudrait que le camion reparte vers Zagreb. Qu’il rejoigne l’autoroute de Ljubljana et qu’il s’engage dans cette direction. À quatorze kilomètres après Zagreb, il va trouver sur la droite un motel, le Hrvatska. Facile à repérer, il est peint en rose. Un ami vous y attend avec l’argent. Vous demanderez Jozip au barman. Dès que vous l’aurez, nous irons décharger ce qui nous appartient dans un entrepôt voisin. Pour ne pas perdre de temps, il faudrait peut-être que le camion reparte tout de suite, vous le rattraperez facilement, la route est étroite et sinueuse.

— Parfait, accepta Malko.

— Autre chose, précisa Boza. Déposez votre amie à Zagreb avant de vous rendre au motel. Je ne veux pas de témoin.

— Si vous voulez, dit Malko.

Il alla donner ses instructions à Gunther qui fit immédiatement ronfler le moteur du Volvo et quitta majestueusement le parking, contournant un tracteur tirant une énorme charette de foin. La région était idyllique avec des fermes partout et même de coquettes villas essaimées le long de la route. Ici, même du temps des communistes, on avait toujours bien vécu de l’agriculture.

Le Volvo s’éloignant, ils reprirent la Zastava pour regagner le centre de Varazdin.

Malko sentit ses cheveux se dresser sur sa tête en s’arrêtant devant la terrasse de L’Etoile Rouge : Swesda était en grande conversation avec deux militaires de l’armée fédérale, visiblement en permission, installés à la table voisine. Pour une Américaine ne parlant pas croate… Heureusement, lorsqu’ils virent les trois hommes s’approcher, ils s’éloignèrent vivement.

Pourtant, la scène n’avait pas échappé à Bozo. Il enveloppa la jeune femme d’un long regard plein de méfiance, mais ne fit aucun commentaire. Swesda lança à Malko, en anglais :

— Ces deux types me draguaient, mais je n’ai rien compris à ce qu’ils disaient.

Boza tendit la main à Malko, sans le regarder.

— À tout à l’heure.

Sautant sur l’occasion de détendre l’atmosphère, Malko annonça avec un sourire :

— Je vous ai mis 10 000 coups de plus et une caisse de M. 16 supplémentaire : c’est ma contribution personnelle à votre cause. Ainsi que cinq caisses de Johnny Walker Black Label et deux de Moët et Chandon Brut Impérial.

Le visage barbu de Miroslav Benkovac s’éclaira d’un sourire chaleureux, mais Boza ne manifesta aucune reconnaissance.

— Ça ne fait jamais que trois ou quatre mille dollars, souligna-t-il, avec un rien d’ironie. Merci quand même.

Malko les regarda monter dans la Zastava. Swesda semblait perturbée.

— J’espère que je n’ai pas gaffé, s’excusa-t-elle. Les deux troufions voulaient s’asseoir à ma table. J’ai été obligée de leur dire, en croate, que mon mec arrivait. Ce gars, Boza, ne m’inspire pas confiance. Il a l’accent bosnien et ressemble à un voyou.

— Tous les Bosniens ne sont pas des voyous, plaida Malko qui n’aimait pourtant pas non plus le dénommé Boza.

— Presque tous, trancha Swesda d’un ton définitif.

Une fois sortis de la vieille ville historique, ils prirent la direction de Zagreb. La route extrêmement sinueuse ne permettait pas de rouler vite. De nouveau, Swesda somnolait, les pieds sur le tableau de bord, la jupe retroussée sur ses cuisses. Son état naturel était la provocation… De plus en plus, il se demandait si elle allait lui être vraiment utile…

Les tracteurs pullulaient sur la route, trainant d’énormes charges de foin. Soudain, à l’entrée du village de Novi Marov, alors qu’il avait parcouru à peine un tiers du trajet et s’attendait à chaque seconde à recoller au Volvo, Malko vit surgir devant son pare-brise une fille blonde en bicyclette, un petit havresac sur le dos. Elle zigzaguait en plein sur sa gauche, afin de doubler un tracteur arrivant en face de Malko. Venant droit sur la Mercedes. Malko écrasa le frein avec un juron. Trop tard : la fille venait de se jeter littéralement sur son aile avant gauche.

— Himmel !

La blonde, projetée sur le capot de la Mercedes, ne semblait pas s’être fait très mal. Malko ouvrit sa portière. Le vélo, lui, était en piteux état. La roue de la voiture était passée dessus. La fille se remit sur pied et l’apostropha violemment, des larmes plein les yeux. Elle avait un visage très pur et très slave, avec de grands yeux étirés, une bouche sensuelle, un nez minuscule. Une tête de cover-girl… Sa chemise d’homme nouée sur l’estomac moulait une poitrine sans soutien-gorge et son short coupé dans un jeans s’arrêtait au ras des fesses. Lorsqu’elle se pencha pour ramasser les débris de son vélo, Malko eut devant lui un spectacle presque indécent.

Swesda Damicilovic descendit à son tour, considérant la fille d’un œil critique.

— Cette conne n’avait qu’à faire attention… grommela-t-elle. Tirons-nous.

Des villageois commençaient à s’attrouper autour d’eux. La blonde apostrophait Malko, avec de plus en plus d’indignation.

— Qu’est-ce qu’elle veut ? demanda-t-il.

— Elle dit que vous devez lui rembourser sa bicyclette, traduisit Swesda, et ensuite la ramener chez elle. Que les étrangers conduisent n’importe comment. Tout est de votre faute.

Malko n’avait pas vraiment envie de discuter, peu soucieux de laisser le Volvo tout seul trop longtemps.

— Combien ?

— Cinq cents marks.

Cinq fois le prix du vélo ! Mais il n’était pas en mesure de négocier. Tirant une liasse de sa poche, il tendit cinq billets bleus empochés immédiatement par la blonde qui ne lui adressa même pas un sourire… Ignorant délibérément Swesda, elle lança en mauvais allemand :

— Maintenant, moi venir avec toi…

Sans attendre la réponse de Malko, elle s’installa à l’arrière de la Mercedes, abandonnant les débris de sa bicyclette sur le talus. Malko n’avait d’autre solution que de reprendre le volant, outré par ce sans-gêne. Il se tourna vers Swesda.

— Dites-lui que nous sommes pressés, je ne ferai pas un détour pour elle.

Swesda traduisit. Sèchement.

— Elle demande où vous allez. Sa randonnée est fichue, elle veut rentrer chez elle.

— Sur la route de Ljubljana.

— Cela tombe très bien, traduisit Swesda, elle habite de ce côté. Comme ça, elle ne préviendra pas la Milicja de l’accident. Sinon, vous pourriez avoir des ennuis.

Il eut envie de lui dire qu’en Yougoslavie, avec des marks, on ne pouvait pas avoir d’ennuis sérieux mais se retint… Il conduisait le plus vite possible, se faufilant entre les tracteurs et les charrettes, trépignant derrière les vieilles Jugo qui se traînaient sur la route sinueuse.

Le Volvo n’était toujours pas en vue. Gunther ne s’était pas arrêté pour l’attendre, il avait sans doute préféré ne pas attirer l’attention. Après tout, il connaissait la destination finale… Malgré tout, Malko ne se sentirait tranquille que lorsqu’il aurait rattrapé le camion.

* * *

Gunther, le chauffeur du Volvo, freina brusquement. Une voiture bleu et blanc de la Milicja était embusquée dans un virage, juste après Breznica et un milicien posté sur le bord de la route lui faisait signe de s’arrêter en agitant son petit disque rouge. Un autre était resté près de la voiture à côté d’un civil. L’agent du BND obtempéra en maugréant, pas vraiment inquiet. En Yougoslavie, le racket des routiers étrangers était une tradition bien ancrée. Ce n’était pas bien grave… Il stoppa sur le bas-côté et laissa venir le milicien qui tendit la main.