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— Vous honorez la mémoire de Pavelic ?

Son interlocuteur eut un sourire doux.

— Ce n’était pas un mauvais homme, seulement trop nationaliste. Et puis, il a eu le tort de s’allier avec les nazis qui ont perdu la guerre. Les Tchekniks serbes ont commis beaucoup plus d’atrocités, mais eux étaient du côté des communistes…

— Je comprends, dit Malko. Pouvez-vous lui demander, pour Miroslav Benkovac et son amie ?

Longue conversation en serbo-croate. Sagement, les yeux baissés, Swesda écoutait tout. Avant même qu’on lui traduise, Malko comprit aux réponses évasives du responsable du HSP qu’il n’était pas chaud.

— Il dit qu’il ne l’a pas vu depuis longtemps, confirma le franciscain. Il paraît qu’il va parfois dans un bar d’intellectuels et de poètes de la vieille ville. Je peux vous y mener.

— Et la fille ?

— J’ai laissé le message. Je confesse trois fois par semaine à la cathédrale, entre 18 h et 20 h. Demain, par exemple.

— Bien, fit Malko, dépité par cette lenteur, allons voir ce bar.

Ils prirent congé du responsable de la Grande Croatie et filèrent vers la place de la République. Le bar se trouvait dans une rue pentue montant vers la vieille ville..

Jozo Kozari n’arrêtait pas de parler à Swesda, semblant beaucoup plus désireux d’arracher la jeune Serbe aux démons de la religion orthodoxe que de retrouver Miroslav Benkovac et sa mystérieuse compagne.

Le bar indiqué se révéla vide comme l’escarcelle d’un Croate.

Le franciscain entama une longue discussion avec le barman.

— On ne l’a pas vu depuis plusieurs jours, traduisit-il. Ni lui ni sa fiancée.

Malko insista :

— Il ne peut pas nous aider plus ? Il ne sait rien sur cette fille ?

Nouveau dialogue répercuté par Jozo Kozari.

— Elle est étudiante et s’habille toujours avec des bottes, des jeans et de la dentelle en haut. Dès qu’il y a de la musique, elle se met à bouger… Il croit qu’elle va dans les discothèques.

— Il y en a beaucoup à Zagreb ?

— Des dizaines, répondit le franciscain. C’est la seule distraction pour les jeunes.

Entendant le mot « discothèque », identique en croate, le barman se mêla à la conversation. Malko saisit « Best » et Jozo Korazi traduisit aussitôt.

— Il dit qu’elle va sûrement au Best, c’est une immense discothèque au milieu du campus universitaire, qui a coûté des millions de dinars. On ferait mieux de refaire des églises. Mais il doit se tromper.

— Pourquoi ?

— C’était la discothèque des apparatchiks et depuis le nouveau régime, tous ceux qui gagnent de l’argent et les hommes politiques y emmènent leurs amies.

Malko décida d’y aller le soir même. Jozo Kozari ignorait qu’il pouvait identifier Benkovac et la blonde… Ils ressortirent au moment où les cloches de la capitale se déchaînaient, et le franciscain regarda ostensiblement sa montre.

— Je vais être obligé de vous quitter, dit-il, sinon, il sera trop tard pour dîner. Au couvent, nous nous mettons à table assez tôt. Mais je reviens demain, je serai à la cathédrale. J’espère que Sonia aura eu mon message. Dans ce cas, je vous appelle tout de suite à l’hôtel.

Sans vouloir accepter l’invitation à dîner de Malko, il s’éloigna en trottinant vers l’arrêt de trams. Swesda le suivit des yeux avec un sourire salace.

— Celui-là m’a l’air d’un drôle de cochon, remarqua-t-elle. Pire qu’un pope. Il n’arrêtait pas de me reluquer. Il m’a demandé si je ne voulais pas venir le voir à la cathédrale, pour parler religion. À mon avis, il veut me sauter.

— Il veut peut-être seulement vous convaincre…

Swesda haussa les épaules.

— Moi, je connais les hommes. Ce type, il avait les yeux injectés de foutre en me regardant. Franciscain ou pas. D’ailleurs, les vrais, ils ne se mettent pas en civil.

Sur cet argument définitif, elle remonta dans la Mercedes… De retour à L’Esplanade, Malko téléphona à la station de Vienne, pour demander à Ferguson le manifeste du Volvo. Il ne fallait négliger aucune piste.

Il était encore au téléphone, lorsque Swesda lui fit signe.

— On a sonné.

— Vous pouvez aller ouvrir ? demanda Malko.

Swesda disparut dans le long couloir intérieur qui séparait la chambre de la porte donnant sur l’extérieur.

Malko resta à l’appareil, attendant qu’on le transfère au domicile de Jack Ferguson.

Le hurlement de Swesda le prit par surprise.

* * *

Said Mustala n’avait eu aucun mal à se procurer une tenue verdâtre comme celle des employés de L’Esplanade. Boza Dolac en avait volé une, grâce à sa copine. Avec sa tête burinée et sérieuse, le vieil Oustachi avait vraiment l’air d’un maître d’hôtel en fin de carrière. Enveloppé dans un imperméable, il traversa le hall, empruntant ensuite l’escalier pour ne pas avoir à attendre l’ascenseur. Une fois dans le couloir du premier étage, il ôta son imperméable, le roula en boule, sortit de son sac un plateau et une bouteille d’eau minérale, ainsi que deux verres.

Arrivé devant la porte de la chambre 114, il vérifia que son poignard coulissait bien dans sa gaine, rabattit son gilet sur le manche et sonna.

Boza Dolac l’attendait dans le parking sur le côté gauche de l’hôtel, au volant d’une Zastava volée. Ensuite, il le reconduirait dans sa planque jusqu’à la prochaine action. Une seule chose manquait au bonheur de Said Mustala : pouvoir se promener librement dans cette ville couverte d’oriflammes croates. Il se croyait revenu en 1942.

Il entendit des pas derrière la porte et s’efforça de prendre une expression abrutie, un léger sourire aux lèvres. La porte s’ouvrit sur une jeune femme, au regard charbonneux et à l’allure sexy, avec ses cuisses découvertes et sa bouche trop gonflée. Une partie de sa cible. Il savait qu’il avait deux personnes à liquider, un homme et une femme.

— Je viens vérifier le mini-bar, annonça-t-il en serbo-croate.

Il s’attendait à ce que la femme le précède dans le couloir, ce qui lui aurait permis de lui plonger son poignard dans le dos pour s’occuper ensuite de l’homme. Mais la femme ne bougea pas, fixant sur lui un regard concentré. Il se dit qu’elle ne comprenait pas le serbo-croate et répéta en mauvais anglais :

— I come…

Tout à coup, il réalisa l’attitude étrange de la jeune femme.

Les prunelles agrandies, elle le dévisageait comme s’il était un extra-terrestre. Il eut beau se creuser la cervelle, il ne voyait pas où il l’avait déjà rencontrée… Elle ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Sa bouche s’ouvrit sur un cri horrible, venant du fond de ses poumons. Puis, elle fit demi-tour et détala dans le long couloir, hurlant comme une sirène.

— C’est lui ! C’est lui !

* * *

Malko se dressa en sursaut, le pouls à 150. Les glapissements de Swesda avaient quelque chose d’atroce. Comme elle s’exprimait dans sa langue, il ne comprit absolument pas ce qu’elle voulait dire, mais elle semblait totalement terrifiée. Il lâcha le téléphone, sauta du lit d’un bond et fonça vers son attaché-case contenant son pistolet extra-plat.

Le temps de l’atteindre, Swesda Damicilovic avait fait irruption dans la pièce. Il eut à peine le temps de voir son visage convulsé par la terreur que Said Mustala pénétra à son tour dans la chambre. Malkô ne l’avait jamais vu, mais devina immédiatement à qui il avait affaire…

Le vieil Oustachi s’arrêta net. D’un geste vif comme l’éclair, il tira son poignard de sa gaine. Juste au moment où le couvercle de l’attaché-case de Malko se rabattait. Ce dernier plongea la main dans les papiers et attrapa son pistolet extra-plat, sortant l’arme et se retournant du même geste. Malheureusement, il n’y avait pas de balle dans le canon et il ne put tirer immédiatement…