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Said Mustala avait assez fait la guerre pour savoir qu’une arme blanche ne fait pas le poids devant une arme à feu… Le temps de pivoter, il fila à toutes jambes, poursuivi par le claquement de la culasse du pistolet. Instinctivement, il raidit les muscles de son dos, mais il entendit seulement un cri :

— Stop !

Malko, d’abord, n’avait jamais tiré dans le dos de personne, ensuite, il voulait prendre le meurtrier de Boris Miletic vivant… Brandissant son pistolet, il fonça à la poursuite de Said Mustala. Ce dernier dévalait déjà l’escalier comme un fou. Malko déboula sur ses talons. Les deux hommes traversèrent le hall de YEsplanade sous les regards ébahis de quelques clients.

— Stop ! cria encore Malko.

Il tira en l’air, mais Said Mustala ne se retourna même pas. Un seul problème l’obsédait : arriverait-il à prendre assez d’avance pour semer son poursuivant avant d’atteindre la voiture qui l’attendait sur le parking ?

Volontairement, il avait pris à droite en sortant et faisait maintenant le tour de l’hôtel. Il se retourna : son poursuivant se rapprochait. Il voulut accélérer sa course, mais un brutal point de côté lui fit comprendre qu’il allait bientôt atteindre les limites de ses forces…

Il aperçut enfin la Zastava dans le parking, prête à démarrer, avec Boza au volant.

Encore une dizaine de mètres. Il regarda par-dessus son épaule et vit l’homme arrêté qui le visait, tenant son pistolet à deux mains. Il entendit la détonation en même temps qu’il recevait un choc violent dans le genou droit et que sa jambe se dérobait sous lui.

La douleur de son ménisque éclaté effaça tout le reste pendant quelques secondes. Il roula sur le sol, vit d’un côté son poursuivant qui se remettait à courir et de l’autre la Zastava qui s’approchait.

Elle stoppa tout à côté de lui et il vit le canon du riot-gun qui dépassait de la glace baissée.

— Tire ! Tire ! cria-t-il.

Il essaya de se soulever sur sa jambe valide pour monter dans la voiture. Comme dans un cauchemar, il vit alors le canon du riot-gun s’abaisser. Dans sa direction.

Il n’eut pas le temps d’avoir peur ni de regretter quoi que ce soit. Le riot-gun explosa dans un fracas assourdissant et le vieil Oustachi eut l’impression qu’une main de fer lui enserrait la poitrine. Tout se brouilla devant lui et la Zastava parut s’éloigner à toute vitesse… Il ne sentit même pas qu’il mourait. La décharge lui avait fait dans la poitrine un trou gros comme le poing… Il resta allongé sur le bitume, le visage tourné vers le ciel, comme tant de ses camarades du côté de la Bessarabie, quarante-cinq ans plus tôt, lorsqu’il reculait devant les divisions blindées soviétiques…

* * *

Malko n’eut le temps de tirer qu’une seule fois sur la Zastava qui franchit à l’orange le feu de l’avenue Mihanoviceva. La voiture fut aussitôt masquée par l’avancée majestueuse d’une rame de trams bleus… Il avait quand même eut le temps de reconnaître le tueur : Boza, le compagnon de Miroslav Benkovac. Fou de rage, il s’accroupit près du corps de Said Mustala. Le vieil Oustachi avait cessé de vivre et semblait regarder le ciel, les traits calmes. Le manche de son poignard recourbé émergeait de sa tenue de maître d’hôtel. Les badauds, déjà, s’attroupaient.

Une voiture de la Milicja surgit quelques instants plus tard, et Malko se dit que les problèmes commençaient. Les policiers se jetèrent sur lui et mirent un moment à réaliser que la blessure du vieux ne pouvait pas avoir été causée par son pistolet. En allemand, il demanda qu’on prévienne Mladen Lazorov, au ministère de la Défense, ce qui ne les empêcha pas de lui mettre les menottes et de l’embarquer dans leur voiture.

* * *

Il était dix heures du soir quand Malko émergea du ministère de l’Intérieur où il avait été transféré. Il avait fallu l’intervention du ministère de la Défense lui-même pour qu’il puisse conserver son pistolet extra-plat, mais il était lavé de toute accusation. Mladen Lazorov, qui l’avait assisté “tout le temps, lui tapa dans le dos.

— Je vais vous raccompagner.

Said Mustala reposait à la morgue de Zagreb, non encore identifié. Il n’avait aucun papier sur lui. L’assassin de Boris Miletic avait été retrouvé, mais les commanditaires demeuraient inconnus. Malko avait relevé le numéro de la Zastava du tueur, mais, bien entendu, il était faux. La détermination avec laquelle Boza avait abattu le blessé pour qu’il ne tombe pas vivant entre les mains de la police en disait long sur la férocité de ses adversaires.

* * *

Jozo Kozari était au réfectoire du couvent, en train de terminer de dîner, lorsqu’un jeune franciscain vint se pencher à son oreille, le prévenant qu’on le demandait au téléphone.

L’appareil était décroché dans un appentis sous l’escalier, qui servait de cabine téléphonique.

— Allô ! dit le franciscain de sa voix onctueuse, ici Jozo Kozari.

Il y eut quelques secondes de silence, puis une voix presque aussi douce que la sienne lança dans l’appareil :

— Jozo ! C’est Zmiljar. Il y a longtemps que nous ne nous sommes pas parlé. Ça ne te manque pas ?

Jozo Kozari dut s’asseoir, ses jambes se dérobaient sous lui. Il avait espéré ne plus jamais entendre cette voix.

Chapitre X

Mladen Lazorov arrêta sa BMW devant la porte de L’Esplanade, et tendit la main à Malko.

— A demain, faites quand même attention, mais je crois qu’ils ne recommenceront pas tout de suite. Dès que vous aurez reçu le manifeste du camion, prévenez-moi. En attendant, je vais faire mon possible pour identifier ce Boza. Il semble être la cheville ouvrière de toute l’affaire.

Dans l’ascenseur, Malko se demanda dans quel état il allait retrouver Swesda. Il l’avait appelée du ministère de la Défense afin de la rassurer et elle avait répondu avec une voix curieusement calme… À peine eut-il mis la clef dans la serrure qu’elle fut en face de lui. Tout de suite, il fut frappé par l’expression intense, presque égarée, de ses pupilles dilatées. On aurait dit une droguée. Sans un mot, elle se jeta sur Malko, se collant de tout son corps à lui.

— Sans toi, il me tuait, ce salaud d’Oustachi, dit-elle d’une voix de petite fille où flottait quand même un fort relent de sexualité. Tu as vu son couteau ! Comment m’a-t-il retrouvée ?

Malko, dont les nerfs se détendaient, ne put s’empêcher d’esquisser un sourire devant la question de Swesda, toujours accrochée à lui.

— Honnêtement, remarqua-t-il, je crois que c’est moi qu’il cherchait. N’oublie pas qu’il ne t’avait jamais vue, contrairement à toi. Tu ne l’aurais pas reconnu, il m’aurait probablement pris par surprise et tué, comme Boris Miletic…

C’est vrai que sans Swesda, il serait vraisemblablement revenu à Liezen dans un cercueil…

— Et l’autre, dans la voiture ? demanda-t-elle, il voulait aussi te tuer. J’ai tout vu par le balcon.

— Peut-être, dit Malko, mais je crois qu’il était surtout là pour liquider ce vieux tueur.

Swesda buvait ses paroles, toujours collée à lui. Dans un état second. Son corps était secoué de petits tressautements sous l’empire de la peur rétrospective et d’autre chose aussi qu’il sentit poindre à d’imperceptibles mouvements de son bassin.