— Il ne faut pas te laisser faire.
— Vu le prix des loyers à Miami Beach, fit-elle avec simplicité, ce n’est pas possible.
Sur cette remarque pleine de bon sens, elle fila vers le mini-bar, y prit une mini-bouteille de Cointreau dont elle versa le contenu sur de la glace et la but d’un coup.
— Woah ! fit-elle, ça râpe pas comme la Slibovizc.
Swesda tourbillonna devant Malko comme une débutante, lui faisant admirer sa robe noire pailletée de strass avec un décolleté d’enfer. Ses gros seins semblaient prêts à vous sauter à la figure. Elle se planta ensuite devant Malko, une mèche sur l’œil, juchée sur ses talons de quinze centimètres, avec un sourire canaille.
— Comment trouves-tu ma tenue de combat ?
— Superbe !
Elle souleva la corolle de sa robe, découvrant un minuscule slip noir, lui aussi hérissé de strass…
— C’est avec ça que je gagne mon loyer, commenta-t-elle. Mais ce soir, c’est seulement pour toi.
Délicate attention. Lui, se contenta de glisser son pistolet extra-plat avec un chargeur neuf sous sa chemise, dissimulé par sa veste d’alpaga noir. Swesda le regardait, fascinée.
— Je ne reviendrai pas à Miami, dit-elle. Je prends trop mon pied avec toi. Pourtant, je crois que j’aurais fait mon trou. Le Fontainebleau, c’est le rendez-vous de tous les mecs bourrés. Un jour, il y en a un qui m’a emmenée chez lui, c’était pas croyable : il avait un lit à baldaquin en perpex avec de l’or partout, et plein de trucs superbes en marbre avec des pierres précieuses. Il m’a dit qu’il avait tout commandé à Paris, chez un décorateur qui s’appelle Claude Dalle et que ce dernier était venu dans son jet privé lui installer tout.
« Évidemment, avec ce que cela lui avait coûté, il aurait pu m’acheter le Ko-I-Nor… Après, j’ai été voir le magasin d’exposition de Claude Dalle, à Miami, c’était somptueux. Je croyais que tout ça, ça n’existait qu’à la télévision…
— On verra, dit Malko, diplomate.
Le centre de Zagreb était déjà presque désert, à part quelques tziganes qui rôdaient près de la gare et les rares putes autour de L’Esplanade.
— Tu sais où c’est le Best ? demanda Swesda.
— À l’ouest, près du campus, dit Malko.
Malko remontait à petite vitesse une des innombrables allées sillonnant le campus de Zagreb. Après avoir demandé vingt fois leur chemin, ils avaient enfin trouvé. Des centaines d’étudiants rôdaient un peu partout, par groupes ou par couples. Les phares éclairèrent une fille assise sur les genoux de son compagnon, installé sur un banc, en train de flirter outrageusement. Mais toujours pas de Best.
Swesda descendit et alla trouver un barbu, qui, cette fois, les mit sur la bonne route. Ils durent ressortir du campus et aperçurent enfin ce qui ressemblait à un gigantesque blockhaus de béton sur lequel on aurait construit une superstructure de petits pavillons ! À côté, des courts de tennis. Une foule animée longeait le bâtiment, allait et venait comme des colonnes de fourmis. Malko et Swesda s’y mêlèrent. Trouvant enfin des « videurs » en T-shirt gris marqués « Best ». La musique était si forte que le sol en tremblait. Pour quelques dinars, ils eurent accès au Saint des Saints. Les tympans de Malko se mirent à vibrer au tempo endiablé et rythmé d’un orchestre noir. Cela faisait « boum-boum-boum » dans les oreilles et l’ensemble ressemblait à n’importe quelle discothèque de l’Ouest.
Des centaines d’adolescents s’agitaient dans une sorte de fosse carrée, comme pour une cérémonie rituelle, entraînés par une sono diabolique dont le disc-jockey siégeait dans une cage vitrée à gauche. Tous très jeunes.
Les filles étaient habillées de toutes les façons, du short à la mini en passant par de longues robes de coton… Extatiques, elles ondulaient, les bras levés vers les projecteurs. Il fallait hurler pour échanger deux mots. Dans d’autres salles dominant la fosse, se pressaient des centaines de couples, entassés sur des banquettes, flirtant ou buvant.
Cela rappela à Malko la grande époque du Palladium à New York.
— On danse ? suggéra Swesda. C’est formidable, je n’aurais jamais cru qu’un truc comme ça puisse exister à Zagreb…
Elle commença à onduler sur place, pour le plus grand plaisir des garçons assis sur les marches conduisant à la fosse. Sans façon, l’un d’eux fit signe à Swesda de venir le rejoindre sur la piste.
— Va danser, dit Malko. Je vais explorer. Pour l’instant, je n’ai pas besoin de toi.
Elle plongea au milieu des danseurs et Malko l’aperçut quelques secondes plus tard, enlacée au grand escogriffe qui l’avait draguée. Il se glissa dans la foule compacte, poursuivi par le « boum-boum » lancinant.
On s’agitait moins en haut… Debout dans un coin, un garçon se frottait contre une grande brune en dentelles, à mettre le feu à son jeans. Le regard noyé, sa partenaire s’abandonnait, sans souci des spectateurs. Une enfilade d’ivrognes sirotaient de la bière au bar, indifférents à la musique. Malko revint ainsi vers l’autre balcon dominant la fosse. Swesda avait disparu dans le magma s’agitant à ses pieds.
Le « boum-boum » fit place à un slow et la fosse se remplit brutalement, à déborder. Malko repéra enfin dans un coin Swesda dont le cavalier caressait les seins sous la robe endiamantée. Il n’y en avait pas beaucoup comme elle dans la salle, c’était plutôt le’ style jeans et chemise. Fatigué, il alla s’asseoir sur les marches et une fille au visage aigu vint aussitôt le rejoindre, s’adressant à lui en croate.
— Je ne parle pas votre langue, dit-il, seulement allemand.
— Moi aussi, un peu, répondit-elle. Vous êtes dans la politique ?
— Pourquoi ?
— Les membres du HSP viennent ici recruter des sympathisants. Ils sont très drôles.
— Pourquoi ? ‘
— Vous verrez quand ils viendront. Vous m’offrez une bière ?
Il se fraya un chemin jusqu’au bar et obtint deux « pivo » qu’il ramena à sa « conquête » qui le remercia aussitôt d’un baiser sur la bouche. Mousseux à souhait. Au Best, les filles draguaient ouvertement.
La musique changea, revenant au « boum-boum ». Soudain, des marches d’en face, Malko vit s’élever de la foule un immense drapeau croate, applaudi aussitôt par tous les danseurs qui en oublièrent de se trémousser ! Il était tenu par un grand garçon athlétique et barbu visiblement très fier, qui entreprit de se promener au milieu des danseurs.
La musique s’arrêta presque aussitôt et une voix de femme un peu aiguë se mit à haranguer la foule, saluée de sifflets et de cris divers. La voisine de Malko traduisit tant bien que mal.
— C’est la porte-parole du HSP. Ils réclament la Grande Croatie. Ça fait plaisir à tout le monde bien sûr, mais ils préfèrent la danse aux discours politiques…
D’ailleurs, la musique « normale » recommença, tandis que le drapeau croate continuait à flotter sur la fosse. Malko repéra une fille dont le chemisier était confectionné dans une oriflamme. On était en pleine hystérie nationaliste…
— Vous ne dansez pas ? demanda la fille à Malko.
Il s’apprêtait à refuser lorsque, soudain, il aperçut un nouveau groupe de danseurs qui venaient de monter sur une petite estrade à ses pieds. Ils se démenaient avec la vigueur des troupes fraîches. Au centre, se trouvait une fille aux longs cheveux blonds et raides. Malko ne la voyait que de dos : un jeans bien rempli et un chemisier de dentelle blanche. Son pouls s’accéléra. La silhouette ressemblait furieusement à la cycliste qu’il avait « renversée »… La complice de Miroslav Benkovac et de Boza. Il se tourna vers sa conquête et lui prit la main :