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— Choisissez ! lança Boza Dolac en se dirigeant vers un bureau vitré, je vais chercher à boire.

Les deux gosses montaient déjà à l’assaut des cartons avec des piaillements aigus.

Lorsque Boza Dolac ressortit du bureau, le couple de Polonais était penché sur les cartons, essayant de déchiffrer les inscriptions. L’homme se retourna, lançant :

— Ils sont bien « tous systèmes » ?

C’est à ce moment qu’il aperçut le riot-gun Beretta braqué sur lui. Les petits yeux noirs de son « vendeur » avaient presque disparu au fond de leurs orbites.

Le Polonais jeta les mains en avant, comprenant instantanément.

— Non ! Non ! je vais vous donner tout ce qu’on a ! cria-t-il.

Boza Dolac se fichait royalement de leurs quelques centaines de marks. Il fit deux pas en avant et appuya sur la détente du riot-gun. Rejeté contre une pile de cartons, le Polonais tomba, la bouche ouverte, la poitrine et l’estomac déchiquetés. Comme il avait huit cartouches dans son magasin, Boza prit quand même la précaution de lui tirer une seconde décharge dans la tête… La femme hurlait, tétanisée, incapable de bouger.

C’est presque à bout touchant que Boza lui lâcha sa décharge dans le ventre. Les deux garçons s’étaient éparpillés dans le hangar, terrorisés, cherchant une sortie.

Boza cueillit le plus grand au sommet d’une pile de cartons et la décharge du Beretta le coupa presque en deux, à la hauteur des cuisses. Pour le plus petit, ce fut plus difficile : il s’était blotti dans un espace vide entre deux rangées de cartons. Boza Dolac dut les escalader en maugréant et viser de haut en bas ; la tête en bouillie, l’enfant cessa de hurler. Celui-là n’avait pas besoin de coup de grâce.

Boza Dolac regagna le bureau vitré, la sueur lui coulait dans les yeux. Sa sensibilité étant celle d’un bloc de béton, il n’éprouvait rien d’autre que la satisfaction d’une affaire bien menée.

Il restait une corvée. Après être allé chercher un grand sac en plastique, il fouilla les cadavres, y mettant tout ce qu’il trouvait dans leurs poches. Des mouches venues on ne sait d’où commençaient à tournoyer au-dessus du sang frais. Son sac rempli, Boza ressortit, laissant les corps là où ils étaient et prit le volant de la Volga dont les clefs étaient restées sur le tableau de bord.

Toutes glaces baissées pour respirer un peu, il reprit la direction de Zagreb. Avant tout, il fallait récupérer la caravane avant de se la faire piquer par des Albanais.

Ensuite, il reviendrait faire le ménage et les corps de la famille polonaise rejoindraient celui du chauffeur du Volvo.

Cette fois, le major Tuzla ne lui reprocherait pas d’avoir saboté son travail.

* * *

Impossible de mettre la main sur Mladen Lazorov. Le « bip » étant inconnu en Yougoslavie et son bureau ne répondant pas, il n’y avait plus qu’à attendre leur rendez-vous du lendemain matin pour localiser l’appartement de Sonia.

— Si on dînait en bas ? Ça a l’air sympa, proposa Swesda Damicilovic, de nouveau sur son trente et un.

En trois jours, la furie teigneuse et allumée s’était métamorphosée en créature douce et docile, l’œil humide en permanence.

— Pourquoi pas ? acquiesça Malko.

La plupart des restaurants de Zagreb se trouvaient dans des sous-sols sinistres. Au moins, de celui de L’Esplanade, en terrasse, on pouvait voir passer les trams.

* * *

Une file ininterrompue d’hommes, de femmes et d’enfants avançaient lentement sur le sentier au sommet de la digue dominant la Sava, comme une procession de fourmis. En direction de Jakuçevac, le marché aux puces du dimanche, distant encore de trois bons kilomètres.

Un véritable exode, stoppé tous les dix mètres par un Polonais offrant sur une toile à même le sol les objets les plus hétéroclites : quelques hardes, une vieille Bible, des engrenages, des disques tordus, des pièces de voitures. Ils arrivaient par le train, espérant glaner quelques marks qui leur permettraient de ramener en Pologne des choses introuvables là-bas.

En contrebas de la digue, les voitures avançaient au pas, sous la chaleur accablante.

Malko bâilla. Mladen Lazorov était venu le chercher à huit heures pile, s’excusant pour son absence de la veille au soir : il était dans sa famille. Concernant Sonia, il avait rassuré Malko : « Dès lundi, je me procurerai la liste des locataires de cet immeuble. Nous procéderons par élimination. »

— On arrive bientôt ! annonça enfin le policier.

La chaleur était déjà écrasante. Malko aperçut sur sa droite des milliers de voitures garées dans l’herbe, sur des kilomètres. Avant tout, c’était le marché aux véhicules d’occasion. Grâce à son badge, Mladen Lazorov échappa aux 150 dinars du parking, somme exorbitante, explicable par le caractère vénal du lieu. Nombreux étaient ceux qui repartaient à pied, sans leur voiture, un chèque dans la poche. Le policier se gara et ils gagnèrent les éventaires.

La plupart des vendeurs, étalaient leurs trésors sur le capot de leur véhicule. Cela allait des pièces de voitures aux fripes en passant par les statues religieuses, les objets de culte, les livres, les disques, n’importe quoi. Un grand gaillard coiffé d’une toque ronde aiguisait un énorme poignard recourbé et coupait avec, ensuite, des feuilles de papier, pour vanter sa pierre à affûter.

Malko et son guide arrivèrent dans une zone calme où on ne voyait rien d’apparent à vendre. Des jeunes gens à la mine patibulaire, pas rasés, hirsutes, étaient accroupis devant des fourgons, se connaissant tous visiblement, s’interpellant d’un « stand » à l’autre.

— Voilà le coin des Albanais, annonça Mladen Lazorov. C’est là qu’on trouve des choses intéressantes : des armes, des bijoux et tout le matériel volé.

Il engagea une conversation à voix basse avec un des vendeurs qui finit par lui indiquer une Zastava bleue au capot surchargé de statuettes religieuses.

— Celui-là vend des télévisions et des magnétoscopes, annonça le policier.

L’Albanais n’était pas rasé, en haillons, l’air méfiant. Ce n’est qu’au bout de dix minutes de palabres qu’il consentit à soulever la bâche de sa camionnette, découvrant des cartons Akai et Samsung portant des inscriptions en allemand. Le pouls de Malko s’accéléra. Cela ressemblait furieusement au matériel transporté dans le Volvo… Tandis que le policier discutait prix, Malko parvint à décoller discrètement l’étiquette d’un magnétoscope comportant tous les codes d’expédition.

Puis, à la déception visible de l’Albanais, ils s’éloignèrent. À l’abri d’un stand de saucisses, il fut facile de comparer l’étiquette à la liste. Les numéros correspondaient.

— Ce matériel était dans le camion, annonça Malko.

— Bien, dit Mladen Lazorov, laissez-moi faire.

Cinq minutes plus tard, il était plongé dans une discussion sordide avec l’Albanais. Cela dura un bon moment. Finalement, il fit signe à Malko.

— Je lui ai dit que je lui achetais tout le stock, annonça-t-il. Nous partons avec lui.

— Pourquoi ?

— Ici, si je dis qui je suis, nous risquons tous les deux un coup de couteau. Les Albanais sont des violents et n’aiment pas les flics. Il faut y aller en douceur.

L’Albanais avait déjà rangé ses statuettes religieuses et attendait, au volant de sa voiture. Ils le retrouvèrent à la sortie de l’immense parking et Mladen prit la tête. Ils parcoururent quelques kilomètres jusqu’à un chemin désert en contrebas de la E 94, l’autoroute contournant Zagreb par le sud.