— Où allez-vous ? demanda-t-il.
— À Cmzok. Juste après le restaurant Kaptolska Klet. Je te montrerai.
Sa voix était bizarre et il réalisa qu’elle avait bu. Lorsqu’elle retira ses lunettes noires, il vit la lueur dans ses yeux noirs. Intrigué, il demanda :
— Vous m’avez déjà utilisé ? Vous avez demandé mon taxi au standard ?
L’inconnue eut un rire de gorge aussi vulgaire qu’excitant.
— Non, moi, je ne te connais pas, mais une amie m’a dit que tu traitais bien tes clientes.
Il y avait un tel sous-entendu dans sa voix qu’il eut l’impression de s’embraser d’un coup. Cherchant mentalement qui avait pu lui faire cette bonne pub. Il avait culbuté sur sa banquette arrière tant de femmes que c’était difficile de deviner. Sa passagère chantonnait toute seule. Croisant et décroisant sans arrêt les jambes. ‘ Du coup, il commençait à regarder un peu moins la route. Ce qui provoqua une embardée.
— Hé, fais attention ! lança sa passagère, je ne veux pas mourir ce soir.
Ils montaient une route sinueuse, serpentant dans une zone boisée. À gauche, une pelouse en pente qui aurait pu être un golf, si les golfs existaient en Yougoslavie, à droite un bois assez touffu. Tout à coup, sa passagère eut un hoquet et se pencha vers lui.
— Arrête-toi, j’ai besoin d’un peu d’air.
Impossible de stopper sur le bas-côté, la route était trop étroite. Trente mètres plus loin, un chemin s’enfonçait dans les bois. Ivan Dracko s’y engagea et stoppa. Aussitôt, sa passagère sauta à terre. Il en fit autant et, comme elle titubait, il la prit par la taille. Elle se fit toute molle contre lui, écrasant un de ses seins contre sa chemise.
Au bout de quelques instants, elle sembla aller mieux et caressa son bouc d’un geste amusé, en disant d’une voix rêveuse :
— Il paraît que les barbus en ont des grosses…
Joignant le geste à la parole, elle lui empoigna l’entrejambes, serrant à lui faire mal. Ivan Dracko crut défaillir. C’était l’occasion de la nuit… Il l’attira contre lui et une bouche chaude se colla contre la sienne, lui laissant un goût de Cointreau.
Sans perdre de temps, il voulut fourrager sous la mini, mais elle le repoussa violemment.
— Pas ici, on va nous voir de la route. Va plus loin.
Ivan Dracko ne fit qu’un bond jusqu’à son volant, tandis qu’elle se laissait tomber sur la banquette arrière. Le chemin se terminait cent mètres plus loin en cul-de-sac. Ivan Dracko éteignit ses phares, sauta de son siège et ouvrit la portière arrière.
Sa passagère était vautrée sur le siège, les jambes ouvertes, la jupe relevée si haut qu’il lui sembla apercevoir son ventre.
Quelquefois, la nuit, il avait des occasions semblables. Des filles travaillant dans des restaurants qui se faisaient sauter sur la banquette pour ne pas payer la course. Une fois, il s’était même offert une petite Tzigane de quatorze ans. Il en avait retiré la peur de sa vie quand son grand frère était venu lui réclamer son pucelage avec un très grand couteau… Celle qui se trouvait là appartenait à une autre catégorie. Une femme de trafiquant ou d’apparatchik qui avait envie d’un sexe prolétaire.
Une vraie salope.
Il se déboutonna, faisant jaillir un membre déjà raide et se jeta sur la fille..
Aussitôt, celle-ci referma la main sur lui, le tirant en avant en riant. S’accrochant à son sexe comme à une bouée de sauvetage. Il commençait, penché en avant, les pieds encore sur le sol, à farfouiller entre ses cuisses, quand il sentit quelque chose de rond et de froid se poser sur sa nuque. Une voix lança calmement :
— Sors de là, Ivan, et ne joue pas au con.
Le cerveau en capilotade, Ivan Dracko obéit. Se trouvant en face de deux hommes dont il distinguait mal les visages dans la pénombre. Par contre, le gros automatique noir était, lui, parfaitement visible.
Sa passagère émergea à son tour de la Mercedes, et se planta devant lui, mauvaise comme une teigne.
— Alors, espèce de porc, tu en as une grosse, hein ?
Ivan n’eut pas le temps de répliquer. D’un violent coup de genou, elle le transforma en soprano. Ébloui de douleur, il tomba à genoux et aussitôt, les deux hommes le saisirent sous les aisselles, le traînant vers l’avant. Pendant que l’un le maintenait, l’autre baissait la glace. Puis, à deux, ils lui engagèrent la tête dans l’ouverture avant de remonter la glace. Jusqu’à ce qu’il sente le bord rond s’enfoncer dans la chair de son cou.
Il était pris comme dans un carcan, à demi étranglé. Pour plus de sûreté, un de ses deux agresseurs arracha la poignée et la jeta hors de la voiture. Ivan continua à vomir, avec l’impression qu’on s’acharnait avec un marteau sur ses parties vitales.
Se demandant ce que ces deux-là lui voulaient.
Chapitre XVI
— Qu’est-ce que c’est que tout ce bel argent ?
Ivan Dracko avala sa salive, encore sonné. La douleur aiguë de son bas-ventre commençait à s’atténuer, mais il lui restait une lourdeur dans tout le bas du corps qui faisait de chaque mouvement une souffrance. Désespérément, il cherchait une réponse à la question posée par son adversaire. Il y en avait pour cent mille marks. Une fortune qu’il devait remettre à Boza à onze heures au restaurant Dubrovnik. Sa part de la vente du matériel hi-fi aux Albanais.
Comme il ne répondait pas, son interlocuteur, un grand brun au visage acéré, demanda ironiquement :
— Ce ne serait pas l’argent que tes copains albanais t’ont donné cet après-midi ?
Le chauffeur de taxi demeura muet. C’était plus grave qu’il ne l’avait pensé. Mais à qui avait-il affaire ? La Milice ne procédait pas de cette façon. Ou alors, ils cherchaient un arrangement discret… Il releva la tête coincée dans la glace et dit humblement :
— Si vous voulez, on peut s’arranger.
— Il n’y a rien à arranger, coupa le brun. Tu connais ce monsieur ?
Le second personnage se plaça dans la lueur des phares. Ivan se tordit le cou, mais son visage ne lui disait absolument rien.
— Ne.
— C’est bizarre, fit le brun, tu ne l’as pas regardé quand ton copain Boza a tiré sur lui ? Toi, tu étais au volant.
Ivan Dracko sentit ses jambes se dérober sous lui et souffla comme un phoque. Cette fois, c’était vraiment mauvais. Il était lié depuis longtemps avec Boza Dolac et c’est dans le coffre de son taxi que le corps du routier assassiné avait été transporté. Contre la promesse de 50 % de la cargaison. Il avait pensé que Boza faisait un gros coup et n’avait pas voulu rester à l’écart.
Ivan, connaissant tous les voyous de la mafia albanaise, était sûr de pouvoir écouler son stock.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez, dit-il sans conviction.
Pour se donner un peu de courage, il regarda la fille qui fumait à l’écart, les jambes découpées par le faisceau des phares. Le brun revint à la charge, penché sur lui.
— Ivan, dit-il, tu es foutu. Tu as participé à un meurtre et à une tentative. Je vais te coller deux balles dans la tête.
« Et ton fric, on ira le dépenser au casino.
L’homme brun leva le bras au bout duquel se trouvait le gros SZ automatique et posa l’extrémité du canon juste entre les deux yeux d’Ivan Dracko, sur l’arête du nez. Le froid du métal se répandit dans ses os à la vitesse de l’éclair. Le cliquetis du chien qu’on relevait acheva de le liquéfier. L’autre avait une tête de tueur. Calme et glacial.
— Salut, Ivan, fit-il, tu n’aurais pas dû te mêler des affaires de Boza.