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Ivan Dracko vit l’index se crisper sur la détente. Il était à quelques millimètres de l’éternité. La terreur envoya une formidable décharge d’adrénaline dans ses artères. Il ne voulait pas mourir.

— Attendez ! Attendez ! bégaya-t-il. Qu’est-ce que vous voulez ?

La pression du pistolet se relâcha imperceptiblement.

Ivan louchait à cause du long canon entre ses deux yeux.

— On veut Boza, dit l’homme brun. Si tu peux nous aider, tu as une petite chance. Une toute petite chance de ne pas terminer ici.

Ivan Dracko était broyé entre deux paniques. On ne trahissait pas un type comme Boza Dolac sans risque. Mais ceux-là allaient le tuer tout de suite.

Il essaya quand même de biaiser.

— Je le connais très mal, Boza, plaida-t-il. On se voit comme ça dans des cafés. Je ne sais même pas où il habite.

— Vous mentez !

C’était le second homme qui avait parlé, en allemand. Il ajouta aussitôt :

— Vous conduisiez la voiture quand Boza a voulu me tuer ! D’abord, comment s’appelle-t-il Boza ?

Là, c’était difficile de ne pas répondre.

— Boza Dolac, murmura-t-il.

— Il habite où ?

— Je ne sais pas, je vous le jure, je le vois toujours au Dubrovnik.

Dans la Mercedes, la radio grésillait sans cesse, égrenant les appels du standard. Avec angoisse, Ivan réalisa qu’il devait maintenant être onze heures. Boza Dolac l’attendait au Dubrovnik, pour récupérer sa part de l’argent de la vente du matériel volé dans le camion.

Il eut soudain une idée. À manier avec précaution.

— Vous ne pouvez pas un peu baisser la glace ? demanda-t-il humblement, j’étouffe.

Avec ses mains accrochées aux montants de la portière et sa tête prise dedans, il ressemblait aux gravures anciennes représentant des suppliciés chinois au XIXe siècle.

— On la baissera quand tu auras parlé, reprit le brun. Si tu ne nous dis pas très vite où est Boza Dolac, ça ne sera pas la peine.

— Mais enfin, qu’est-ce que vous lui voulez, à Boza ? gémit le chauffeur de taxi.

— C’est notre problème.

Il comprit qu’il n’en sortirait rien de plus. L’heure de la négociation avait sonné.

— Écoutez, fit-il d’un ton soudain changé, moi, Boza, je m’en fous. Si je vous dis où il est en ce moment, vous me laissez tranquille ?

Le grand brun eut un sourire froid.

— Peut-être que si on le trouve, on te laissera tranquille. Ne nous prends pas pour des cons. Où est-il ?

Ivan Dracko en avait trop dit et s’en rendit compte. Le sentant prêt à basculer, l’homme blond proposa :

— Si nous le trouvons, nous donnons un coup de fil à la Milicja et ils viennent vous délivrer.

— Et l’argent ?

Il n’avait pas pu s’empêcher de dire ça…

— On vous le laisse.

Coûte que coûte, il fallait le décider. La vie n’était pas toujours morale…

Ivan Dracko craqua d’un coup.

— J’ai rendez-vous avec lui, avoua-t-il. Maintenant. Au Dubrovnik. Il doit être en train de m’attendre.

— Pourquoi ?

De nouveau, il s’était fait piéger.

— Pour lui remettre l’argent, avoua-t-il faiblement.

L’homme brun eut un sourire satisfait.

— On va savoir très vite si tu dis la vérité. Si Boza est là-bas, pas de problème, on envoie quelqu’un te délivrer. Sinon, c’est nous qui revenons.

Sans un mot de plus, les deux hommes s’éloignèrent, rejoints par la jeune femme. Soudain, Ivan Dracko réalisa qu’ils emportaient la mallette contenant les marks !

— Hé, l’argent ! hurla-t-il.

Le brun se retourna.

— On a changé d’avis…

Ce serait un excellent argument pour débloquer Boza et lui éviter de trop mentir.

Ses interlocuteurs disparurent dans la pénombre.

Déchaîné, Ivan Dracko se mit à donner des coups de pied furieux dans la portière, dans sa portière. Même avec sa force hors du commun, il ne pouvait l’arracher. De toutes ses forces, il pesa sur la glace. Sans résultat. Et personne ne viendrait le secourir au fond de ces bois, à cette heure-ci. Une pensée s’insinua tout à coup dans sa tête, le glaçant de panique. Et si Boza leur échappait ? Il comprendrait immédiatement qu’Ivan l’avait balancé. Lui seul connaissait le lieu et l’heure du rendez-vous. Sa vengeance serait terrible. Ivan Dracko parvint à voir le cadran lumineux de sa montre : 11 h 15. Ne sachant s’il fallait prier pour que Boza l’ait attendu. Ou l’inverse.

* * *

Boza Dolac n’écoutait pas le juke-box à côté de lui et n’avait même pas touché à sa bière, perdu dans ses pensées. Son agacement était en train de se transformer en anxiété. Ivan Dracko avait vingt minutes de retard et ce n’était pas dans ses habitudes… La faune habituelle du Dubrovnik, chauffeurs de taxis, putes, étudiants prolongés, marginaux, faisait un vacarme infernal. Lui guettait toutes les voitures qui stoppaient devant l’établissement.

Pas de Mercedes bleue.

Des craintes informulées s’entrechoquaient dans sa tête. Et si le major Tuzla avait décidé de se débarrasser de lui, au lieu de le renvoyer à Belgrade ? Normalement, il ne connaissait pas Ivan Dracko, mais « Le Serpent » avait le bras long…

Boza Dolac avait appris qu’un des membres de l’équipe qui avait massacré Sonia Bolcek avait eu le temps de parler à un policier. La Croatie allait devenir malsaine pour lui.

Il ne pouvait pas continuer à se promener dans Zagreb au risque de se faire reconnaître. Pour l’instant, la police était désorganisée, mais cela ne durerait pas éternellement. C’est la raison pour laquelle il avait houspillé Ivan Dracko pour que ce dernier brade rapidement le contenu du Volvo. Son viatique pour une vie normale.

Si le major Tuzla avait appris qu’il n’avait pas respecté ses ordres à la lettre, il l’aurait tué. Mais, c’était un risque à courir. Avec cet argent, il s’achèterait un commerce et pourrait enfin se reposer. Il en avait assez des dangers et de la trahison. Parfois, il repensait à ceux qui pourrissaient encore en prison à cause de lui. Ceux-là ne l’avaient pas oublié. Avec tous les changements politiques, le pire était à craindre.

En plus, « Le Serpent » était parfaitement capable de le trahir, en le livrant à ses ennemis.

Il regarda sa montre. Onze heures vingt-cinq. Que faisait ce salaud d’Ivan ? Pourvu qu’il ne se soit pas tiré avec le fric… La musique l’énervait. Le restaurant appartenait à des Serbes, et, par défi, ceux-ci mettaient sans arrêt des chansons qui ressemblaient à des chants arabes. Boza Dolac en avait par-dessus la tête… Il se leva et fila vers le téléphone. Il composa le numéro du standard radio des taxis et attendit.

— Le taxi 2250, demanda-t-il.

— Je vais voir s’il est libre, répondit la voix indifférente de la standardiste.

Elle le mit en attente, tandis qu’il rongeait son frein, pour le reprendre quelques minutes plus tard.

— Il ne répond pas, annonça-t-elle, il doit être en train de manger. Je vous envoie le 2032.

— Non, cria Boza, je veux le 2250.

— Il n’est pas disponible, répéta la standardiste agacée.

Boza Dolac, l’appareil collé à l’oreille, écumait de rage intérieure. Dracko s’était tiré avec les cent mille marks ! Il était peut-être déjà dans un avion. Il raccrocha, puis quelques instants plus tard rappela le 970.

— Vous voulez encore essayer le taxi 2250 ? demanda-t-il. Il est peut-être disponible maintenant.

* * *