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Ivan Dracko égrenait des jurons à faire tomber le ciel sur sa tête. Le piège où l’avaient enfermé ses adversaires était diabolique. Sa tête était toujours coincée entre le montant et la glace, comme dans un carcan.

Impossible de s’en dégager sans se priver de la moitié de son menton. Son coude était enflé et douloureux, seul résultat de ses tentatives de briser la glace Sécu-rit.

Il avait longuement appelé à l’aide, mais avait fini par renoncer.

Seule distraction, sa radio ouverte diffusant les appels du standard aux différents taxis. Deux fois déjà, on l’avait demandé, sans qu’il puisse répondre. La voix de la standardiste le fit sursauter à nouveau.

— Le 2250, vous pouvez prendre une course ? Au restaurant Dubrovnik.

C’était la seconde fois en quelques minutes. Boza Dolac devait être fou de rage.

Ivan Dracko allongea le bras droit pour attraper le combiné, à se désarticuler l’épaule, comme il l’avait fait auparavant et sans plus de résultat. Il en sanglotait de rage.

Le désespoir lui donna une idée. À force de se contorsionner, il parvint à effleurer le combiné du bout de sa chaussure. Un ultime effort et il arriva à le faire tomber sur la banquette, mettant la radio en circuit. Encore trop loin pour qu’il puisse le saisir, mais s’il parlait assez fort, on devait l’entendre. Au même moment, une voix sortit du haut-parleur.

— Ivan ! Ivan ! C’est Boza ! Où es-tu ?

La standardiste avait branché Boza Dolac directement dans le circuit.

— Boza, hurla aussitôt Ivan Dracko. Je suis là !

— Qu’est-ce que tu fous ! fit la voix exaspérée de Boza Dolac. Où es-tu ?

Ivan Dracko se mit à brailler, précisant l’endroit où il se trouvait, disant qu’il ne pouvait pas bouger, donnant d’humiliantes précisions. Sans être sûr que Boza l’entende.

Aphone, il se tut, la bave aux lèvres ; et tendit l’oreille. Le silence. Boza n’était plus en ligne. Ivan jouait sur les deux tableaux. Si les autres attrapaient Boza, ils le délivreraient. Si Boza leur échappait, c’est lui qui viendrait.

Il n’y avait plus qu’à compter les étoiles.

* * *

Ivan Dracko hurlait tellement que Boza fut obligé d’éloigner l’appareil de son oreille. Affolé. Que signifiait toute cette histoire ? Il ne comprenait pas bien qui avait attaqué Ivan Dracko. Ni pourquoi. Mais au moins, l’autre lui avait expliqué clairement où il se trouvait. Avec son argent…

L’estomac noué, il raccrocha et regagna la salle du Dubrovnik. Il crut vomir. Une BMW 316 S grise était arrêtée devant le restaurant avec deux hommes à bord. Or, ce type de voiture n’était utilisé que par les barbouzes de la Présidence. Ça sentait de plus en plus mauvais. Il posa un billet de 20 dinars sur la table et glissa la bandoulière de sa sacoche à son épaule. Elle contenait deux pistolets : un Makarov et un Herstall 14 coups, avec plusieurs chargeurs. Le problème était maintenant de gagner sa voiture et de semer les autres s’ils le suivaient.

D’un pas faussement assuré, il prit le volant de sa Jugo. C’était sa voiture personnelle avec un moteur gonflé qui lui permettait d’atteindre le 160… Il tourna autour du rond-point et franchit une des grilles du campus voisin. Il connaissait le dédale des allées par cœur, allant souvent y draguer des étudiantes. Du coin de l’œil, il vérifia que la BMW suivait. Alors, il se déchaîna… Manquant plusieurs fois écraser des étudiants, il zigzagua dans les avenues étroites, effectuant de brusques changements de direction, empruntant des sens interdits et finalement jaillissant par une porte qui donnait sur une avenue se terminant en impasse.

Peu de gens savaient qu’un chemin presque invisible permettait de se faufiler parallèlement à elle et de regagner une grande voie un peu plus loin.

Cette fois, la BMW n’était plus là. Il s’arrêta, éteignit ses phares et se força à attendre plusieurs minutes. Rien. Trente secondes plus tard, il fonçait à tombeau ouvert sur l’avenue Proleterskih Brigada… Tout en conduisant, il sortit le Herstall et le posa à côté de lui. La gorge nouée. C’étaient ses affaires privées. « Le Serpent » ne lui viendrait pas en aide. Il ne pouvait compter que sur lui-même.

* * *

Quand il entendit le ronflement d’un moteur, Ivan Dracko sentit son cœur se mettre à battre follement dans sa poitrine… Mais le véhicule dépassa le chemin où il se trouvait et le bruit décrût.

Vingt minutes s’étaient écoulées depuis son appel. Or, à cette heure tardive, il fallait moins d’un quart d’heure pour traverser Zagreb… Cinq minutes passèrent encore et des phares apparurent de nouveau, montant la côte. La voiture ralentit et tourna dans sa direction. Bien qu’elle soit encore à cent mètres, Ivan se mit à hurler comme un fou. Enfin, il allait être délivré ! Il fit pivoter la portière pour voir qui arrivait. Les épaules larges et tombantes de Boza Dolac étaient facilement reconnaissables, même dans la pénombre. Il s’immobilisa devant Ivan Dracko, pistolet au poing, et lui jeta un regard méfiant, tournant autour de la voiture, comme un chien de chasse. Il aperçut la manivelle de la glace à terre et la ramassa. Puis il consentit enfin à s’intéresser à Ivan.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Le chauffeur de taxi s’étrangla de rage.

— Putain ! Baisse cette saloperie de vitre, j’étouffe.

Boza Dolac ne bougea pas, ses petits yeux vrillés dans ceux du chauffeur. Demandant simplement :

— Où est mon argent ?

— Ils l’ont pris, avoua Ivan Dracko.

— Qui ? « Ils » ?

— Deux types. Armés ! Je ne les connais pas, mais ils te cherchaient, toi. J’ai rien compris. Il y avait celui que tu as voulu flinguer.

Boza Dolac arriva à demeurer impassible, en dépit de sa panique.

Le visage fermé, il remit la manivelle en place.

— Tourne vers l’avant, dit Ivan soulagé. Dépêche…

Sa phrase se termina en gargouillement. Boza Dolac avait tourné vers l’arrière. L’arête de la glace lui coupait presque le souffle. Il réussit à lancer :

— Tu es fou ! Qu’est-ce que… ?

— Calme-toi. Je n’aime pas ton histoire, fit Boza Dolac. Raconte-moi tout ce que tu sais… D’abord, comment tu t’es retrouvé ici.

Ivan s’étrangla de fureur, mais comprit que l’autre ne céderait pas. Boza Dolac l’écoutait, impassible, jouant avec son Herstall. Quand le chauffeur eut fini, il remarqua d’une voix douce :

— Tu ne me dis pas tout. Je me demande si tu n’es pas en train de me trahir.

Tranquillement, il s’assit sur le siège avant et saisit la poignée commandant la glace.

— Tu vas me dire la vérité, dit-il, toute la vérité. Sinon, tu vas crever.

Avec une lenteur sadique, il se mit à pousser la poignée vers l’arrière, faisant monter la glace… Qui écrasa un peu plus le larynx du chauffeur. Ivan Dolac poussa un cri étranglé et devint cramoisi, ses yeux lui sortaient de la tête. Boza l’observait attentivement. Quand il le vit devenir violet, il relâcha brutalement la pression. Il voulait deux choses : son argent et savoir ce que Ivan avait vraiment fait… Mort, il ne lui serait d’aucune utilité. Brutalement, il relâcha la glace de deux centimètres et le chauffeur se mit à gronder comme un soufflet de forge !

— Salaud ! lança-t-il quand il eut retrouvé la voix. Ton pognon, tu ne le reverras jamais…

Boza Dolac, de rage, remonta la glace si violemment qu’Ivan Dracko faillit suffoquer pour de bon.

— Connard ! Tu vas crever. Tu vas voir tes tripes descendre sur tes genoux.

Il tira un court poignard de sa ceinture, avec une lame très fine et terriblement aiguisée. Pour s’amuser, il traça une longue estafilade sur le flanc d’Ivan Dracko, puis s’arrêta, coupant du même coup sa chemise à la hauteur du foie.