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« Quelques-unes de ces anecdotes ont été subrepticement publiées il y a vingt ans. » Il prétend en un mot que c’est lui qu’on aurait pillé et fait remarquer que « le nom d’un comte Potocki n’a jamais figuré sur aucune de ces publications ». La Presse, qui payait cent francs par feuilleton à Courchamps pour un texte inédit, la preuve faite qu’il s’agit d’une escroquerie, lui intente un procès et réclame vingt-cinq mille francs de dommages-intérêts. À ce procès, qui fit beaucoup de bruit et où Courchamps est défendu par Berryer, Me Léon Duval, qui plaide pour La Presse, produit un exemplaire des épreuves imprimées à Pétersbourg en 1805, avec un dessin et une dédicace manuscrite de Potocki à son ami le général Sénovert.

Courchamps est confondu9.

Dans Le National, le dénonciateur du plagiat de Courchamps avait été Stahl, grand ami de la famille Nodier.

J’ai dit que sur l’exemplaire des épreuves de Pétersbourg que possède la Bibliothèque nationale, est collée une note manuscrite. Je la reproduis ci-dessous (les mots entre crochets sont raturés sur l’original) :

Ne peut-on supposer que [le comte P.] [c’est Nodier q] que [le] c’est Nodier que Klaproth a voulu désigner, en 1829, comme la personne [entre les mains de qui le] chargée de revoir avant l’impression le Manuscrit trouvé à Saragosse et entre les mains de qui la copie manuscrite est restée. Et [ne serait-ce pas Nodier qu’avec le consen…] n’est-il pas probable [que détenteur] qu’ayant entre les mains [un man…] le travail du comte Jean Potocki, il ait songé à en tirer le meilleur parti possible littérairement et financièrement parlant. Mais il n’en est pas moins fort étonnant qu’il ait cru devoir garder le silence lors du scandaleux procès fait au comte de Courchamps qui [deux mots raturés illisibles] avait cru pouvoir publier dans le… le Journ. La Presse en 1841-1842, d’abord sous le titre de Le Val funeste, puis sous celui de l’ Hist. de don Benito d’Almusenar, de prétendus extraits des Mémoires inédits de Cagliostro qui n’étaient que la reproduction d’Avadoro et des Journées de la Vie d’Alphonse van Worden.

[C’était là]

Ce Val funeste était un vol manifeste. Nodier, qui n’est m. qu’en 1844 [q] aurait pu éclairer la justice à ce sujet et n’a pas soufflé mot. [Il quatre mots raturés illisibles.]

L’exemplaire porte un cachet rouge avec la mention : don n° 2693. Ce numéro d’ordre correspond à un don fait le 6 août 1889 par Mme Bourgeois, née Barbier.

Dans ce cas, l’accusateur de Nodier a toute chance d’être Ant.-Alex. Barbier, l’auteur du Dictionnaire des Anonymes, lequel précisément attribue à Potocki Avadoro et Van Worden.

En 1866, dans ses Énigmes et Découvertes bibliographiques, Paul Lacroix, contre toute évidence, conteste à Potocki cette paternité. Il est persuadé que Barbier s’est laissé égarer par un faux renseignement et que des « circonstances particulières » ont empêché Charles Nodier de revendiquer Alphonse van Worden et Avadoro.

Pour lui, sur la foi du style, il n’a pas hésité à l’époque à attribuer à Nodier les deux ouvrages. Il a maintenant la preuve qu’il ne s’était pas trompé :

Eh bien ! j’avais deviné juste, il y a seize ans. Charles Nodier est réellement le seul auteur d’Avadoro et des Dix Journées de la Vie d’Alphonse van Worden : le manuscrit autographe existe ; il est là sous mes yeux… Avis à l’éditeur futur des œuvres complètes de notre ami Charles Nodier.

Reste que ce mystérieux manuscrit, sur lequel Lacroix ne donne aucun détail et qui, aujourd’hui, témoignerait terriblement contre Nodier, n’est peut-être aucunement de la main de celui-ci.

L’année suivante, Auguste Ladrague, bibliothécaire du comte Ouwarov, publie dans Le Bibliophile belge (Bruxelles, 1867, pp. 280-294) un article où, d’après la bibliographie russe de Storch et Adelung (St-Pétersbourg, 1810), il donne la description de l’édition de 1805 qui y figure sous le n° 508 et précise que le manuscrit comprend quatre tomes. Il suppose, lui aussi, que c’est Nodier qui s’est occupé de faire paraître Avadoro et Alphonse van Worden.

L’énigme demeure entière. De toute façon, une lourde présomption continue de peser sur le bibliothécaire de l’Arsenal.

Au moins le procès de 1842 a-t-il attiré l’attention sur l’œuvre de Potocki. En 1855, Washington Irving, dans son recueil Wolfert’s Roost and Other Stories, introduit un récit, The Grand Prior of Malta, pure et simple traduction de l’Histoire du Commandeur de Toralva, telle qu’elle figure dans Avadoro. Dans le récit qui précède The Grand Prior of Malta, Washington Irving explique qu’il a d’abord entendu raconter l’histoire qui va suivre par le chevalier L…10, mais qu’ayant perdu ses notes il a plus tard retrouvé un récit analogue dans des mémoires français publiés sous l’autorité du grand aventurier Cagliostro. Pendant une journée de neige, à la campagne, il s’amusa, continue-t-il, à le traduire approximativement en anglais « pour un cercle de jeunes, autour de l’arbre de Noël ».

L’invocation de Cagliostro montre que c’est dans La Presse que Washington Irving a trouvé le texte dont il s’empare. Probablement, il n’a même jamais su qu’il s’appropriait, ce faisant, des pages écrites par un grand seigneur polonais mort depuis longtemps. Il convient de pardonner à Irving une traduction qu’il présente d’ailleurs comme telle, tout en laissant croire, il est vrai, qu’il s’agit d’une ruse d’écrivain pour accréditer une fiction. L’indulgence s’impose d’autant plus qu’il avait été lui-même victime d’un emprunt identique.

En effet, un de ses Contes du Voyageur (1824), l’Aventure d’un Étudiant allemand, avait été traduit et adapté de la même manière par Petrus Borel, en 1843, sous le titre : Gottfried Wolgang11. Pour comble, cette fois aussi, l’emprunt avait été à demi avoué, à demi dissimulé par une ingénieuse et équivoque présentation.

Quelque temps après le procès de Courchamps, s’installe à Paris un émigré polonais, EdmunDe cette manière, je pense procurer,dans sa version intégraled Chojecki, qui collabore à plusieurs journaux français sous le pseudonyme de Charles Edmond. Il eut entre les mains la copie intégrale du roman envoyée à Paris à un énigmatique destinataire. Il la traduisit en polonais. En 1947, à Lipsk (Leipzig), sa version paraît en six volumes sous le titre : Rekopis Znaleziony w Saragossie, qui traduit Manuscrit trouvé à Saragosse, titre qui semble avoir été préféré par Potocki et qui s’explique par l’Avertissement. Celui-ci, certainement postérieur à 1809, date de l’expédition française en Espagne, apparaît dans l’édition parisienne des Dix Journées, en 1814.

Dans une lettre, Potocki nomme son roman : Journées espagnoles ; Stanislas Potocki l’appelle : Au Milieu des Pendus ; Pierre Wiaziemski, Pouchkine et la comtesse Edling : Les trois Pendus, par allusion aux épisodes macabres des premières journées.

La traduction de Chojecki fut remise en vente en 1857, avec une autre page de titre et précédée d’une biographie de l’auteur. Elle fut rééditée en 1862, à Bruxelles, puis en 1917 par Lorentowicz dans sa collection Les Muses, enfin à Varsovie en 195o. M. Leszek Kukulski en procura une édition critique en 195612, accompagnée d’études et de notes. Après Bruckner, il compare la version polonaise au texte français et donne des exemples des nombreux changements introduits par le traducteur qui semble avoir pris avec l’original d’assez grandes libertés.