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Barabbas hésita. Il les toisa tous. Puis il déclara, avec un calme inattendu :

— Si ton père possède ton caractère, je commence à comprendre ce qui lui est arrivé !

Il désigna l’un des recoins sous les murs peints entourant la piscine. L’endroit était meublé comme une chambre : une paillasse recouverte de peaux de mouton, deux coffres, une lampe. Deux tabourets aux bois rehaussés de bronze encadraient un grand plateau de cuivre chargé de gobelets et d’une cruche d’argent. Des meubles et des objets de luxe sans doute volés à de riches marchands du désert étaient disposés çà et là.

Malgré son impatience et sa tension, Miryem remarqua la fierté de Barabbas tandis qu’il lui remplissait un gobelet de lait fermenté mêlé de miel.

— Raconte, dit-il en s’installant confortablement sur des balles de coton.

*

* *

Miryem parla longtemps. Elle voulait que Barabbas comprenne pourquoi son père, qui était la douceur et la bonté incarnées, en était venu à tuer un soldat et à blesser un percepteur.

Lorsqu’elle se tut, Barabbas laissa échapper un petit sifflement entre ses dents.

— C’est sûr, ton père est bon pour la croix. Tuer un soldat et percer la panse d’un percepteur… Ils ne vont pas lui faire de cadeau.

A nouveau, ses doigts fourragèrent dans sa barbe, en un geste machinal qui le vieillissait.

— Et, bien entendu, tu veux que j’attaque la forteresse de Tarichée ?

— Mon père ne doit pas mourir sur la croix. Il faut l’empêcher.

— Plus facile à dire qu’à faire, ma fille. Tu as plus de chances de mourir avec lui que de le sauver.

Sa moue avouait plus d’embarras que d’ironie.

— Tant pis. Qu’ils me tuent avec lui. Au moins, je n’aurai pas baissé le front devant l’injustice.

Elle n’avait encore jamais prononcé de telles paroles, si violentes et si définitives. Mais elle comprit qu’elle disait la vérité. Si elle devait prendre le risque de mourir pour défendre son père, elle ne tremblerait pas.

Barabbas s’en rendit compte. Sa gêne n’en fut que plus intense.

— Le courage ne suffit pas. La forteresse n’est pas bâtie pour que l’on y entre et que l’on en sorte comme d’un champ de fèves ! Tu te fais des illusions. Tu n’arriveras pas à l’en arracher.

Miryem se raidit, la bouche pincée. Barabbas secoua la tête.

— Personne n’y arrivera, insista-t-il en se frappant la poitrine. Personne, pas même moi.

Il avait martelé cette dernières phrase en la toisant de toute sa morgue de jeune rebelle. Le visage glacé, elle soutint son regard.

Barabbas fut le premier à détourner les yeux. Il grommela, quitta nerveusement son tabouret, s’avança jusqu’au rebord du bassin. Quelques-uns de ses compagnons avaient dû entendre Miryem, et tous l’observaient. Il se retourna, la voix dure, les poings serrés, tendu par cette force qui faisait de lui un chef de bande redouté.

— Ce que tu demandes est impossible ! lança-t-il avec hargne. Que crois-tu ? Qu’on se bat contre les mercenaires d’Hérode comme on brode une robe ? Qu’on attaque ses forteresses comme on pille une caravane de marchands arabes ? Tu rêves, Miryem de Nazareth. Tu ne sais pas de quoi tu parles !

Un frisson d’effroi secoua Miryem. Pas un instant elle n’avait songé que Barabbas puisse lui refuser son aide. Pas un instant elle n’avait pensé que ceux de Nazareth puissent avoir raison.

Barabbas n’était-il donc qu’un voleur ? Avait-il oublié les grandes déclarations qui autrefois justifiaient ses rapines ? Le mépris gagna sur la déception. Barabbas le rebelle n’était plus. Il avait pris goût au luxe, se corrompant au contact des objets qu’il volait et devenant comme leurs propriétaires : hypocrite, plus excité par l’or et l’argent que par la justice. Son courage se réduisait à des victoires faciles.

Elle se leva de son tabouret. Elle n’allait pas s’humilier devant Barabbas, le supplier. Elle plaqua un sourire hautain sur ses lèvres, prête à le remercier pour son accueil.

Il fut devant elle d’un bond, la main levée.

— Tais-toi ! je sais ce que tu penses. Tes yeux sont éloquents. Tu crois que j’ai oublié ce que je te dois, que je ne suis qu’un voleur de caravanes. Tu penses ces âneries parce que tu ne réfléchis pas plus loin que ton cœur.

La colère faisait vibrer sa voix, crispait ses poings. Quelques-uns de ses compagnons s’approchèrent tandis qu’il parlait de plus en plus fort.

— Barabbas n’a pas changé. Je vole pour vivre et faire vivre ceux qui me suivent. Comme ces gamins que tu as vus tout à l’heure.

Du doigt, il pointa ceux qui s’approchaient.

— Sais-tu qui ils sont ? Des am-ha-aretz. Des gens qui ont tout perdu par la faute d’Hérode et des rapiats du sanhédrin. Ils n’attendent plus rien de personne. Surtout pas des Juifs trop soumis de Galilée ! Rien des rabbins, qui ne savent que marmonner des paroles inutiles et nous abrutir de leçons. « Que le peuple de la boue retourne à la boue ! », voilà ce qu’ils pensent. Si nous ne volions pas les riches, nous crèverions la gueule ouverte, c’est ça la vérité. Ce n’est pas dans ton village de Nazareth qu’on s’en soucierait.

Il criait, les veines du front gonflées, les joues rouges. Tous se serraient derrière lui, face à Miryem. Abdias les bouscula sans ménagement pour parvenir au premier rang.

— Jamais je n’oublie mon but, Miryem de Nazareth ! clama Barabbas en se frappant la poitrine. Jamais. Pas même quand je dors. Abattre Hérode, repousser les Romains hors d’Israël, voilà ce que je veux. Et botter le cul de ceux du sanhédrin qui s’engraissent de la pauvreté du peuple.

Sans se laisser impressionner par la violence de ces propos, Miryem secoua la tête.

— Et comment comptes-tu abattre Hérode, si tu n’es pas même capable de tirer mon père de la forteresse de Tarichée ?

Barabbas claqua les paumes sur ses cuisses, les paupières plissées de rage.

— Tu n’es qu’une fille, tu ne comprends rien à la guerre ! Que je meure, moi, je m’en fous. Mais eux, là, ils me suivent parce qu’ils savent que jamais je ne les entraînerais dans une aventure perdue d’avance. À Tarichée, deux cohortes romaines gardent la forteresse. Cinq cents légionnaires. Plus une centaine de mercenaires. Compte-nous ! Jamais nous ne pourrons atteindre ton père. À quoi servira notre mort ? À réjouir Hérode !

Livide, les doigts tremblants, Miryem hocha la tête.

— Oui. Tu as certainement raison. Je me suis trompée. Je te croyais plus fort que tu ne l’es.

— Ah !

Le cri de Barabbas rebondit sur l’eau du bassin, vibra entre les colonnes. Il agrippa le bras de Miryem, qui déjà se dirigeait vers la sortie.

— Tu es folle, folle à lier… As-tu seulement pensé à une chose : même s’il pouvait s’échapper de la forteresse, ton père sera comme nous pour le restant de ses jours. Un fuyard. Il n’ira plus dans son atelier. Les mercenaires détruiront votre maison. Ta mère et toi devrez vous cacher en Galilée toute votre vie… Miryem se dégagea sèchement.

— Ce que tu ne comprends pas, toi, c’est qu’il vaut mieux mourir en se battant ! Mourir en affrontant les mercenaires que d’être humilié sur la croix ! Hérode gagne, Hérode est plus fort que le peuple d’Israël, car nous baissons la nuque quand il supplicie sous nos yeux ceux qui nous sont chers.

La réplique creusa un silence étonné. Abdias fut le premier à le rompre. Il approcha tout près de Miryem et de Barabbas.

— Elle a raison. Moi, je vais avec elle. Je me cacherai et, la nuit, j’irai décrocher son père de la croix.

— Toi, tu te tais ou je te botte les fesses ! commença Barabbas avec humeur.